02/11/2020 – Une journée particulière: témoignage
Le commentaire d’une prof qui s’exprime dans la rubrique « journée d’hommage » à l’issue de la reprise des cours le 2 novembre 2020 dans un collège de Saint Denis. C’est du langage parlé tiré de twiter. OK, ce n’est pas Marseille, mais bon, ce pourrait être à St Ex ou à l’Estaque, l’Education n'est pas née quelque part. Pour patrick.
« Il y a ceux qui blablatent sur le code civil (alors qu’ici, c’est du pénal, mais c’est pas grave, on a mis son grain de sel) d’autres qui “signalent” (si en plus on doit faire de la pédagogie, mais où va t-on?) et il y a ceux qui parlent, dialoguent, expliquent, échangent avec les enfants:
J’aimerais bien raconter comment ça s’est passé (notamment comment on a bossé pendant deux jours de grève) dans mon collège pour qu’aucun incident ne soit déclaré à l’issue de la reprise avec au moins une heure sur l’attentat dans chaque classe, alors qu’on a une principale qui ne sait que “faire remonter aux autorités compétentes”, quel que soit le sujet, mais ça demande un peu d’écoute, et je vois que vous n’êtes pas prêts.
Bon, quelques mots rapides. C’est pas sur mes positions personnelles, vous les connaissez. C’est sur ce qu’on a fait dans mon bahut. Collège rep de Saint Denis, pour les détails et les amateurs morbides de croustillance made in quartiers pop.
Prenez donc ça juste pour ce que c’est : un récit de la manière dont on a collectivement pris les choses en main, pour que l’accueil des élèves dans le contexte que vous connaissez soit le plus décent possible pour tout le monde : les élèves, les profs, les morts.
J’avais pas tellement envie d’étaler tout ça ici, pour plein de raisons, je le fais quand même pour d’autres
Donc, lundi et mardi : grève très, très massive au collège. La revendication principale est qu’on demande du temps pour organiser la rentrée, sur deux points : le protocole sanitaire, et la préparation de l’hommage à Samuel Paty.
S’ajoute à cela chez nous la question du rapport à notre direction. Les motifs personnels sont variables, certains font grève uniquement sur la question de l’hommage. Pas moi, par exemple.
Pendant ces deux jours, beaucoup de travail collectif. Intense, rude et violent parfois, nécessaire.
On a fait ce qu’on demandait d’obtenir, mais sans être payé pour, en préparant les modalités d’accueil et sur le plan sanitaire, et sur le retour en classe après l’assassinat de SP et les demandes de l’institution/besoins du collège sur ces questions.
Rude parce que ben la salle des profs c’est une mini société. Avec par exemple des daesh arabes qui écoutent sans rien dire des blanc.he.s parler et décider, notamment en leur nom.
Avec un collègue qui dit si vous dites ça, ils – les terroristes – ont gagné quand on en revient à la question de Charlie et que certains – dont moi – critiquent leur ligne depuis bien avant les attentats, mais bien après aussi.
Mais tous les débats qu’on a bien du mal à avoir sur twitter, par exemple, et bien on les a eus. Parce que si on veut ensuite accueillir la parole des élèves, et c’est ce qu’on avait décidé collectivement de faire, et bien il faut savoir qu’on peut tout entendre, et voir comment répondre à tout.
Donc, on a décidé qu’on accueillerait tous les élèves mercredi, pour un temps d’échange dans chaque classe, avant un temps d’hommage sous la forme d’une minute de silence.
On a établi un planning en constituant pour que chaque classe accueillie un binôme, afin de ne laisser personne seul, surtout parce qu’on avait des collègues, notamment dans leur première année d’enseignement, qui ne se souhaitaient pas être seul pour cette heure là.
Et pendant une grande partie de ces deux jours, on a discuté, on a appris, on a listé tout ce qu’on imaginait comme paroles possibles de nos élèves, on a réfléchi à ce qu’on pouvait répondre pour tout.
On n’a pas rédigé un vademecum façon hotline et SAV, chacun restait maître et libre dans sa classe. Mais on a partagé des ressources, des infos, des manières de penser. La matinée de mercredi s’est très bien passée. Dans toutes les classes. Parce qu’on avait anticipé.
Anticipé aussi la question de la délation. J’ai rappelé qu’en 2015 des gosses se sont retrouvés en GAV. J’ai donné ma position. La discussion là dessus était essentielle, pas forcément facile comme je l’ai dit plus haut.
Mais parce qu’on savait en même temps qu’on faisait tout ça pour une cheffe qui se revendiquait être une fonctionnaire fonctionnante et un simple maillon d’une grande chaîne, il était très facile pour chacun.e de voir l’engrenage possible. Ca responsabilise un petit peu, on va dire.
J’ai beau penser ce que je pense de la police, il arrive aussi, oui, qu’on soit obligé de passer par là, on sait aussi faire la part des choses.
Voilà, je suis allée un peu vite, j’avais pas envie d’en parler d’ailleurs à la base.
Mais en fait, la réalité ne s’anathèmise pas, elle est rugueuse, et la semaine écoulée a beau être peut-être la pire de toute ma vie pro, on a réussi à accueillir les élèves d’une façon décente, et à rendre hommage aussi à notre collègue d’une façon décente.
Une précision: il y en a qui ne l’avaient pas encore compris après une semaine à en parler beaucoup.
Si dans toutes les classes de ce collège qui fait peur à certains, la minute de silence s’est très bien passée, c’est parce qu’elle a été préparée systématiquement, et pas balancée par dessus l’état des élèves.
Aussi : il y a eu des choses dites qui auraient peut-être entraîné signalement de certains ici. Des : mais il avait qu’à pas, c’est normal si. Et bien les élèves qui ont été écoutés et à qui on a apporté des réponses complexes, il me semble qu’ils ont évolué, en cette matinée.
Je ne dis pas ça pour dire qu’on a fait un truc héroïque, parce que je ne le pense pas du tout. Mais il me semble qu’on a fait notre travail. De la pédagogie. Et on l’a fait en prenant et en nous donnant les moyens que nos hiérarchies refusaient de nous donner pour le faire. »
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