Accusé de corruption, un brigadier marseillais vendait des fiches de police à des dealers
Mis en examen et placé en détention pendant six mois, Thierry Z. fournissait des informations à des personnes ciblées par ses collègues. Une entrave grave au déroulement d'enquêtes qui, pour certaines, concernaient de gros trafiquants de drogue.
Accusé de corruption, un brigadier marseillais vendait des fiches de police à des dealers
Le 30 août dernier, une juge d’instruction toulousaine est particulièrement courroucée. Auprès d’une de ses collègues du parquet, elle dénonce “le caractère particulièrement nuisible de l’enquêteur ripou qui entrave voire anéantit tout le travail réalisé par ses collègues, le parquet et les juges d’instruction”. L’homme qui a nui à son enquête est un modeste brigadier des quartiers Nord de Marseille. Âgé de 53 ans, il a pour principale mission d’assister les huissiers dans leurs opérations d’expulsion.
Pendant des mois, Thierry Z. a multiplié les consultations non autorisées de fichiers de police pour en faire commerce. À Toulouse par exemple, c’est un “gros trafiquant” du cru qui a pu bénéficier de ses précieuses informations. Mis en examen pour de multiples chefs liés au commerce illicite de drogue et placé en détention provisoire, celui-ci est notamment soupçonné d’avoir forcé le péage du Boulou (Pyrénées-Orientales) au volant d’un véhicule contenant 488 kilos de résine de cannabis. En perquisition, plusieurs photos d’écran d’ordinateur affichant des fichiers de police ont été retrouvées sur son téléphone.
Un autre jour, ce sont des gendarmes amiénois qui ont à subir les conséquences des agissements de Thierry Z. Certains de leurs dispositifs techniques permettant la géolocalisation de véhicules ont été découverts. Les écoutes des malfaiteurs présumés font alors clairement état des renseignements fournis par des “ripoux”. Ces délinquants seront peu de temps après mis en examen et placés en détention provisoire.
Deux trafiquants nîmois ont su qu’ils étaient recherchés
Mais c’est un autre cas qui a précipité la chute de Thierry Z. Comme l’avait révélé Blast, début 2023, deux beaux-frères nîmois soupçonnés d’être d’importants trafiquants de cannabis depuis l’Espagne ont soudain “tout abandonné de leur actuel mode opératoire et sont en train d’opérer le ménage aux diverses cachettes dont ils disposent”, explique une source à la police judiciaire locale. Leur réseau d’information semble performant : la demande d’inscription sur le fichier des personnes recherchées a été faite le 17 janvier et dès le 20, les deux trafiquants sont au courant. En cas de contrôle, la fiche préconisait avant tout la prise de renseignements discrète pour permettre à l’enquête d’avancer. Elle va être grandement perturbée.
Cette entrave entraîne rapidement l’ouverture d’une enquête préliminaire, confiée à l’antenne marseillaise de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). Ses conclusions, que Marsactu a pu consulter, sont accablantes. Thierry Z. a effectué des centaines de recherches n’ayant rien à voir avec son affectation. Sur la seule période de septembre 2022 à février 2023, la police des polices va trouver trace d’interrogations pour une centaine d’individus au fichier des personnes recherchées ou dans le celui répertoriant les antécédents judiciaires (TAJ). Elle découvre 400 recherches au fichier des immatriculations de voitures et une centaine dans celui des véhicules signalés, c’est-à-dire déclarés perdus, volés ou recherchés par la police ou la gendarmerie.
Thierry Z. prenait des photos de son écran d’ordinateur après avoir effectué les recherches puis effaçait les messages.
Le procédé est toujours le même. Une fois la recherche effectuée sur son ordinateur de service et sous ses identifiants, Thierry Z. prend une photo de son écran d’ordinateur qu’il envoie par une messagerie cryptée à la personne ayant passé commande. Après confirmation de lecture, il prend alors bien soin d’effacer chaque message incriminant.
L’interpellation du policier le 4 juillet 2023 au petit matin va ouvrir une suite judiciaire implacable. Thierry Z. sort de sa garde à vue mis en examen pour corruption passive, révélation d’informations d’une enquête aux auteurs ou complices de l’infraction, détournement de la finalité de fichiers, associations de malfaiteurs. Sa chute va le conduire en détention provisoire durant six mois à Grasse puis Draguignan et l’empêcher d’exercer son métier depuis sa sortie de prison et son maintien sous contrôle judiciaire.
Un risque identifié par les autorités
Le cas Thierry Z. se range dans la catégorie des affaires très sensibles de corruption de fonctionnaire. Il est ainsi devenu une des incarnations des risques d’atteinte à la probité qui gangrènent la police. Le phénomène a tendance à s’accroître avec 56 enquêtes pour corruption recensées par l’IGPN en 2022, selon le rapport annuel de l’institution. Celui-ci témoigne d’ailleurs d’une préoccupation particulière sur la consultation des fichiers de police qui a été facilitée au fil des ans “afin de permettre une plus grande réactivité et une meilleure efficacité des services de police”. L’Inspection annonce même “envisager la mise au point d’un algorithme permettant de détecter en temps réel les consultations de fichiers effectuées par des fonctionnaires, présentant un profil atypique”.
En matière de trafic de stupéfiants plus spécialement, la question est là encore brûlante, comme l’ont formulé les sénateurs qui se sont récemment penchés sur le sujet. “La commission d’enquête estime que l’un des phénomènes les plus préoccupants qu’il lui ait été donné de constater au cours de ses travaux est la montée en puissance de la corruption, véritable venin”, constatent-ils.
Des clients recrutés sur Snapchat
L’enquête n’a à ce stade pas permis de déterminer l’ampleur exacte de l’affaire Thierry Z. et des conséquences de ses agissements. Lui-même raconte qu’il ne connaissait qu’un homme qui a joué un rôle d’intermédiaire lui versant en tout et pour tout “4 à 5 000 euros”. Sur le réseau Snapchat, ce dernier, Malik B., promettait à qui voulait bien le lire qu’il pouvait permettre de “voyager tranquille”. Tous les jours, ses stories clamaient sa capacité à fournir des informations contenues dans des fichiers de police.
En garde à vue, il a reconnu avoir rétribué et fait commerce des renseignements fournis par le brigadier Thierry Z. “Au début, je lui demandais des infos pour un frère, des amis, un cousin sans aucune rémunération, sans graisser la patte. Par la suite, il a commencé à me demander des cartouches de cigarettes en échange du renseignement. Il me disait que les informations étaient difficiles à obtenir.[…] J’ai compris que pour avoir un renseignement, il fallait qu’il y ait une monnaie d’échange. Au début, c’étaient des cadeaux, des parfums, une montre Swatch et par la suite de l’argent. J’ai commencé à lui donner 70 euros par renseignement. Cela pouvait monter jusqu’à 100 euros.”
En quelques mois, 23 000 euros sont versés sur le compte de Malik B. via Paypal.
Officiellement sans emploi, loueur de bateaux clandestin, Malik B. a été mis en examen notamment pour corruption active et détenu provisoirement pendant huit mois. C’est via son compte Snapchat qu’un proche des deux beaux-frères nîmois l’avait approché. Anas E, dit “l’ambulancier”, s’était taillé à Nîmes la réputation de pouvoir fournir des informations issues de fichiers de police. En quelques mois, un compte Paypal qu’il a créé avec un ami verse près de 23 000 euros sur celui de Malik B. Un décalage frappant avec les “4 à 5 000 euros” que Thierry Z. déclare avoir touchés. Malik B. indiquera pour sa part qu’il “facturait le renseignement 200 euros quel que soit le résultat”.
D’autres pratiques hors des clous
Ce système mis à jour, la juge d’instruction qui le met en examen a tenté de confronter Thierry Z. à ce qu’elle qualifie d’association de malfaiteurs. Revenant sur le cas nîmois, elle s’étonne : “Ces deux individus sont inscrits au fichier des personnes recherchées, on a du mal à penser qu’en transmettant le contenu de leur fiche à un tiers, vous n’ayez pas conscience des conséquences à venir sur l’enquête visant ces individus ?”. “Je n’ai pas mesuré l’importance de tout ça”, jure Thierry Z. “Il me demandait si c’étaient des personnes fiables, il me disait que des fois, c’étaient des personnes qui voulaient travailler avec lui”, dira-t-il encore.
Cette naïveté affichée colle mal avec le profil d’un policier qui avait franchi la ligne rouge de plus longue date. En s’intéressant à son parcours au sein de la police, l’IGPN a vite compris que, depuis 2016 au moins, Thierry Z. abusait de sa fonction, notamment en faisant sauter des amendes ou des immobilisations de véhicules. Il se faisait aussi payer hors service par des huissiers pour servir de témoin lors de certaines de leurs opérations.
Mais c’est à travers la relation avec Malik B. que les faits de corruption prendront un caractère industriel. Les deux hommes se connaissent de longue date. Le père de Malik possède une casse auto que le policier fréquente régulièrement. Malik B. finit par créer une relation avec ce client de son père. Il le consulte une première fois pour une histoire de faux papier, qui l’empêche, lui et son frère, de voyager. De fil en aiguille, il crée une relation pécuniaire, allant même jusqu’à se déplacer au commissariat Nord, pour régler ses commandes. Les renseignements de Thierry Z. bénéficient aussi au commerce du père et à d’autres membres de la famille.
Pour l’ensemble des faits qui lui sont reprochés, Thierry Z. risque désormais jusqu’à dix ans d’emprisonnement. Dans l’attente de son procès, l’intéressé est toujours présumé innocent. Contacté par Marsactu, son avocat n’a pas répondu à nos sollicitations.
Commentaires
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d’après darmanin et moretti il n’y pas de problèmes dans la police
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“envisager la mise au point d’un algorithme permettant de détecter ” … il semble urgent de ne pas se presser : et pourtant on ne parle pas de blocage ou de sanction automatique, juste d’alerte . C’est une caméra de video-protection qu’il faut proposer ?
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La mexicanisation du pays avance, doucement mais sûrement.
Et sinon, si le rédacteur de l’article lit les commentaires, il y a une coquille à corriger au début du 13ème paragraphe : “Ce système mis au jour” et non “Ce système mis à jour”
La mise au jour est une découverte. La mise à jour une actualisation.
Merci
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