À Notre-Dame-des-Marins, la poussière de la démolition retombe et l’avenir reste incertain
En septembre dernier à Martigues, d'immenses fissures sont soudainement apparues sur deux immeubles de la cité Notre-Dame-des-Marins. Après évacuation, les travaux de démolition sont aujourd'hui terminés. C'est désormais la question de la réhabilitation qui concentre les attentes et les angoisses.
Les décombres des bâtiments M et K commencent à être évacués à Notre-Dame-des-Marins. (Photo : Grégoire Mothe)
Sur l’écran du téléphone, la vidéo est frappante : des trombes de poussières tourbillonnent autour d’une grande grue, et plongent tout un quartier dans un brouillard irréel. Sur d’autres images, des plaques de béton chutent lourdement au pied des immeubles. Madame Hanrard, qui a filmé la scène, habite le hameau de Ferrières. Cette tranquille rangée de petites maisons est accolée à la cité Notre-Dame-des-Marins, à Martigues. D’habitude, le voisinage est calme, et les tracas du quartier sont somme toute banals, entre quelques motos qui roulent parfois trop vite, et le ramassage des déchets qui n’est pas toujours fait dans les temps. Alors, quand une gigantesque grue de plusieurs dizaines de mètres de haut a surgi dans le paysage fin avril et qu’elle s’est mise à grignoter les tours K et M de “la ZUP”, comme on l’appelle volontiers ici, elle n’en a pas cru ses yeux.
Accompagnée d’une autre habitante du hameau, elle décrit la poussière “qui recouvre tout”, les déchets en tout genre qui tourbillonnent dans les airs, et le bruit assourdissant qui commence “dès 07 h 30, parfois jusqu’à 21h, et même les jours fériés !” Ces nuisances, elles vont les subir durant tout le mois de mai, comme tous les habitants du secteur. Et à l’intérieur de la cité, c’est un véritable calvaire que racontent les locataires.
Après le premier épisode traumatique de l’évacuation des bâtiments il y a neuf mois, ce nouvel évènement vient s’imprimer sur les souffrances des occupants. Et obscurcit encore plus un avenir incertain.
Relogements dans la douleur
Pour comprendre leur vécu, il faut revenir quelques mois en arrière. En septembre dernier, les 150 résidents des tours K et M sont déplacés en urgence suite à l’apparition de fissures et de craquements provoqués par des mouvements de terrain. Un grand choc pour des habitants qui ont pour beaucoup toujours vécu sur place, et qui ont vu apparaître en une nuit d’impressionnantes fêlures lézarder leurs murs.
À ce jour, sur les 35 foyers déplacés, un seul est toujours en attente d’un logement. Si la plupart ont pu être été relogés à Martigues, cela n’a pas été le cas pour tout le monde. Le contexte de l’habitat social étant tendu, il a fallu compter sur la solidarité d’autres bailleurs, ou trouver ailleurs “des logements pas forcément comparables, et parfois plus chers”, tacle Thierry Del Baldo, président de la Confédération générale du logement des Bouches-du-Rhône (CGL 13), une association de défense des locataires intervenue en soutien aux habitants. Selon lui, la gestion du relogement par le bailleur 13 habitat a été désastreuse. Et il n’a pas de mots assez durs pour décrire cet épisode : “Je suis écœuré, 13 habitat n’a eu aucun respect pour les locataires. Il y a eu un vrai manque d’humanité”. Sollicité, le bailleur évoque, par la voix d’un représentant, “un relogement compliqué”, notamment du fait des locataires qui auraient “abusé de la situation en restant plus longtemps que prévu à l’hôtel et en y invitant des proches”.
Parmi les personnes relogées, Jean-Claude et Claudine Mourre n’arrivent pas à tourner la page, et semblent encore sonnés. Ces deux retraités ont retrouvé un appartement à Arles “pour se rapprocher de ma fille”, explique Claudine, “mais avec 200 euros de charges de plus qu’ici… et sans balcon”, déplorent-ils. Pour Jean-Claude, qui a vécu 56 années de sa vie dans le quartier, le déracinement est violent. “Ils sont presque tous les jours ici”, soupire une autre riveraine, avec un sourire de résignation.
Le calvaire des travaux
Après cette délicate période du relogement, vient la non moins délicate période de déconstruction. Elle commence à la fin du mois d’avril. L’objectif est de détruire les deux tours fragilisées, sur la vingtaine que comporte ce quartier construit dans les années 1960 et qui compte 689 logements.
La suite, c’est Rhym Allel qui la raconte, en énumérant les manquements qui seraient intervenus pendant le chantier : les poussières donc, mais aussi les barrières de délimitation mal adaptées, les bâches de protection trop fines, les remontées d’égouts… et la proximité des bâtiments entre eux, qui a provoqué des situations dangereuses. La trentenaire, qui a vécu toute sa vie dans le quartier, se souvient de l’époque où les bâtiments “étaient reliés ensemble par des passerelles en béton. On parlait même du bâtiment J-K-L”. Elle était donc aux premières loges, le jour où, alors qu’elle buvait un café chez son amie Angélique dans le bâtiment L, des gravats sont venus fracasser la jardinière en béton qui se trouve en prolongement de son balcon.
Thierry Del Baldo ne décolère pas au sujet de la gestion de 13 habitat : “Pour eux, ces locataires sont des invisibles. Ils ont fait les travaux comme si les immeubles voisins étaient vides !” La CGL 13 réclame a minima des loyers offerts pour la période de démolition.
Ces désagréments, Saoussen Boussahel, adjointe (PS) au maire de Martigues, interrogée en marge d’une réunion de quartier mercredi 5 juin, les relativise. “Les gens sont sur un fond d’inquiétude permanente depuis septembre. Les conditions de destruction ont été assez compliquées, en particulier à cause du mistral”. Si le vent a bon dos, l’élue reconnaît que le canon à eau, mis en place à la demande de la mairie et censé limiter la diffusion des poussières, n’a par exemple pas été aussi efficace que prévu. De son côté, 13 habitat admet également certains “soucis” avec l’entreprise de travaux qui n’a “pas pris toutes les précautions qu’elle aurait dû prendre”.
Ceux qui restent
La succession de ces évènements a en tout cas porté un coup au moral des habitants. D’autant que les bâtiments encore debout souffrent de nombreuses scories, pointées par un rapport d’expertise commandé par des locataires et consulté par Marsactu. À l’intérieur du bâtiment L, des craquelures apparaissent dans les encadrements des portes, parfois rafistolées au mastic, et les couloirs se gondolent sous le lino hors d’âge. Les boiseries sont fatiguées, et la moisissure rampe dans plusieurs appartements. À l’extérieur, les murs de soubassement sont truffés de capteurs pour détecter les mouvements des fissures qui sont apparues. Selon les locataires, ils sonnent en permanence, à tel point qu’une habitante ironise : “quand est-ce que ces canaris vont s’arrêter de siffler ?” Bien que du côté de 13 habitat, on assure que ces interstices ne bougent pas, la présence de ces capteurs crée un climat anxiogène.
Dans ce contexte, faut-il rester ? Pour combien de temps ? Et dans quelles conditions ? “Franchement, je ne sais même plus”, soupire Rhym qui se laisse aller au découragement. Avant de tout de suite se reprendre : quand bien même elle se dit “épuisée par les travaux”, elle ne veut pas entendre parler de résignation. Elles étaient bien allées, elle et sa copine Angélique, bloquer le chantier suite à l’épisode de la jardinière. “On a pris des chaises, on s’est plantées au milieu et on a dit qu’on ne bougerait pas !”, rigolent encore les deux amies. Mais il est compliqué de mobiliser tous les locataires. Les membres de la CLG13 soulignent d’ailleurs cette difficulté : “Les gens sont trop dociles. On veut inculquer une culture de lutte pour qu’ils puissent réclamer leur dû.”
Et demain ?
Pour connaître le sort réservé aux bâtiments restants, il va falloir encore patienter. Une opération de réhabilitation générale de la cité – “qui n’en a pas connu depuis sa création”, précise Saoussen Boussahel – est prévue depuis plusieurs années. Estimée à 45 millions d’euros, son programme n’est pas encore totalement figé. Il devrait l’être en septembre, et 13 habitat prévoit de débuter les travaux fin 2025. Thierry Del Baldo prévient : “franchement, vu le manque de logements, si on détruit encore un immeuble, il faudra faire un village de tentes”.
Parmi le groupement d’entreprises retenues pour participer à la réhabilitation, le cabinet spécialisé Chorus, spécialisé en “ingénierie sociale et urbaine, communication, sensibilisation et concertation”, doit aller à la rencontre des habitants pour “co-construire” ce projet. Dans le contexte actuel, le dialogue risque de s’avérer compliqué. Devant le bâtiment L, le ballet des camions qui évacuent les déblais doit encore durer un mois.
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