À la tête de plusieurs maisons pour tous, l’association Episec en liquidation judiciaire
Plombée par près de 3 millions d'euros de dettes, l'association Episec est en voie de liquidation depuis cet été. En 2018 et contre toute attente, elle avait obtenu de la Ville la charge de quatre maisons pour tous et trois crèches. Celles-ci tombent dans l'escarcelle de la Ligue de l'enseignement.
L'entrée de la maison pour tous Corderie, gérée par lEpisec sur le boulevard du même nom. Photo : Violette Artaud.
Le renouveau n’aura pas duré très longtemps. L’association Episec, qui depuis 2018 gérait cinq maisons pour tous, trois crèches et un centre social pour le compte de la Ville de Marseille, a été placée en liquidation judiciaire cet été. Dans le jugement du 28 juillet 2023 que Marsactu a consulté, le tribunal judiciaire de Marseille pointe que des “dettes importantes obéraient la situation financière de l’association”. Ces dernières sont chiffrées à 2,9 millions d’euros.
L’activité des maisons pour tous, gérée en délégation de service public, est reprise par la Ligue de l’enseignement, les crèches par l’IFAC. Une vente à la découpe pour les fondateurs de cette association de quartier, qui a grandi trop vite. Pourtant, lorsque l’association s’était taillée une place sur le marché, rien n’aurait pu lui prédire une dégringolade aussi rapide.
Jusqu’en 2018, les 27 maisons pour tous de Marseille, qui proposent animations et actions sociales auprès des petits et grands, étaient principalement dans le giron de fédérations bien connues. Qu’il s’agisse de la Ligue de l’enseignement, du Centre de culture ouvrière (CCO) ou de Léo-Lagrange, et dans une moindre mesure de l’IFAC, leurs noms renvoient aux grandes heures de l’éducation populaire. Mais la répartition votée par l’ancienne municipalité en 2018, lors du renouvellement de la délégation de service public (DSP), a totalement rebattu les cartes.
Au détriment des fédérations habituelles, elle offre une place de premier rang à de nouvelles structures, qui vantent une meilleure rentabilité de leurs actions. Parmi elles : Synergie family et Episec. Installée dans le quartier de la Rose, cette dernière a connu un développement continu de ses activités, avec un centre social à Val Plan (13e) puis une crèche d’insertion destinée aux familles monoparentales et un centre de vacances, à Seyne-les-Alpes, dans les Alpes-de-Hautes-Provence. Avec ces DSP, d’un coup, elle récupère en plus quatre maisons pour tous, dans des secteurs très éloignés de son territoire d’origine.
Structures très politiques
Le directeur général d’alors, Joël Desroches, assure à Marsactu en 2017, vouloir “inscrire les habitants dans les projets et proposer des choses modernes, dans l’air du temps, avec de l’innovation, la transformation de notre travail social”. Mais les détracteurs expliquent cette percée autrement, en accusant les cadres d’Episec d’être trop politiques. Joël Desroches avait fait partie du comité de soutien de l’adjoint aux sports Richard Miron, lorsqu’il avait été candidat LR aux législatives.
Cette proximité aurait-elle entaché la neutralité de la Ville au moment d’attribuer la gestion des maisons pour tous ? Pour de nombreux acteurs de l’époque, les élus municipaux cherchaient surtout à rebattre les cartes de l’éducation populaire, en faisant entrer de nouveaux acteurs dans le jeu. Quelques années auparavant, l’arrivée de l’IFAC, fédération créée dans le département des Hauts-de-Seine, avait été perçue comme l’entrée de la droite sur un secteur traditionnellement ancré à gauche.
Sur les trois anciens présidents, deux figurent sur la liste de Martine Vassal dans les 13/14.
Avec Episec et Synergie family, ce sont des structures du cru qui prennent leur envol, forcément en lien avec des élus en quête d’implantation. Richard Miron au Nord, Lionel Royer-Perreaut, à l’époque maire de secteur LR des 9/10, au sud. Joël Desroche entre au conseil d’administration du centre communal d’action sociale (CCAS), dont la vice-présidence est Sylvie Carréga, l’adjointe chargée des maisons pour tous. Très vite, le directeur embauche Nicolas Trouillet, ancien de l’IFAC, dont le père Jean-Max Trouillet a longtemps été un cadre de la Ville avant de diriger le CCAS de longues années.
Durant ces années d’expansion, les présidents se succèdent, souvent issus des quartiers du Nord de la Ville et non dénués d’intentions politiques. Sur les trois anciens présidents, deux figurent sur la liste de Martine Vassal dans les 13/14. Sami Benfers finit par rejoindre le Printemps marseillais quelques mois après son élection. Quant à Karim Bettira, président historique de la structure, il siège encore dans la majorité de Marion Bareille à la mairie de secteur.
“Mais dans ses statuts, l’association interdisait qu’on siège en tant qu’élu. Nous avons tous démissionné en temps et en heure, justifie Karim Bettira. Les associations d’éducation populaire ont toujours suscité un intérêt politique, ce n’est pas pour ça qu’elles coulent“. Pour lui, les raisons du naufrage sont à aller chercher ailleurs. Elles tiennent notamment à une mésentente entre le directeur historique, Joël Desroches et son adjoint, Nicolas Trouillet.
Renvois de responsabilités
En 2019, un audit est commandé par Sami Benfers qui, lui aussi, a participé à la campagne à droite, dans le 13/14. Il débouche sur le licenciement pour faute grave du dirigeant historique. Contacté par Marsactu, ce dernier ne souhaite pas s’exprimer du fait d’une procédure de contestation toujours en cours devant le conseil des prud’hommes. Lui invoque encore d’autres raisons à ce dénouement. Fin 2019, les finances ne sont pas dans le rouge malgré d’importants travaux suite à un incendie dans le centre de vacances alpin.
Un an plus tard, la situation est tout autre. Pour d’anciens salariés, la dégringolade rapide de l’association à partir de 2020 est toute entière imputable à la gestion de Nicolas Trouillet. “Je n’ai pas tous les tenants et les aboutissants. Mais ce que j’ai vécu, c’est un climat malveillant à partir de la prise de fonction de Nicolas Trouillet, pointe Christelle Lopez, ancienne directrice de crèche et salariée de l’association pendant 16 ans. Il y a eu une dégradation très nette dans la conduite d’équipe. Pour moi, ce sont eux qui ont coulé une association de quartier qui avait réussi à s’inscrire dans une dynamique de développement pendant plusieurs années. Au fil du temps, le conseil d’administration a cessé d’être un contre-pouvoir et la direction a pris la main“.
Erreur de gestion ou conséquences de la conjoncture, le passif commence à se creuser à partir de la fin de l’année 2020. Le secteur de la petite enfance connaît un contrôle de la caisse d’allocations familiales qui amène à un redressement de plusieurs dizaines de milliers d’euros. La gestion du centre de vacances contribue également au déficit.
“Pour moi, c’est vraiment le Covid qui ne nous a pas fait du bien, explique Nicolas Trouillet. Le modèle économique des maisons pour tous implique un équilibre financier que permet l’organisation d’activités de loisirs. Cela pèse pour 50 % dans le budget du centre”. En dehors de Val Plan qui a le statut de centre social, les maisons pour tous gérées par Episec sont toutes dans des quartiers plutôt cossus où les subventions sont moins importantes que dans les quartiers prioritaires. “Or, avec le Covid, on a connu une vraie baisse d’activité qu’on n’a jamais réussi à compenser“, reconnaît l’ancien directeur.
Une proposition interne de reprise
Ce qui est vrai pour les maisons pour tous l’est encore plus pour un centre de vacances. Acheté grâce à un prêt immobilier en 2009, il a fait l’objet d’importants travaux au fil des années, sans que l’association parvienne à en faire une ressource. “La plupart des structures d’éducation populaire n’ont plus de centres de vacances, analyse le dirigeant. C’est très difficile à rentabiliser.”
Après une période d’observation, en 2021, l’association est placée en redressement avec recherche de repreneur. Un collectif de salariés tente de présenter un projet de reprise avec le soutien de Karim Bettira, mais celui-ci est sèchement repoussé lors de l’audience du 28 juillet dernier. “Nous avons appris quelques jours avant l’audience qu’il fallait s’y présenter avec la totalité de la somme nécessaire au rachat, explique l’ancien président. Comme il s’agissait d’un compte épargne salarial, il n’était pas mobilisable avant que le transfert des actifs soit effectif“.
Au final, le tribunal a opté pour une reprise des activités par pôle. La Ville apportant son soutien à ce partage du gâteau entre la Ligue de l’enseignement pour les maisons pour tous et le centre social et l’IFAC pour les crèches. “Notre volonté était avant tout de privilégier la continuité du service public, justifie Ahmed Heddadi, adjoint aux centres sociaux. Lors de l’audience, nous avons donné un avis favorable aux projets qui préservaient le plus d’emplois. Ce sont ces repreneurs qui ont été choisis.” Cette reprise est effective depuis la rentrée. Seul le centre de vacances reste dans le giron de l’association avant d’être mis en vente par la mandataire judiciaire. Trois salariés sur les 93 permanents de l’association sont licenciés, dont Nicolas Trouillet.
“Cela me me laisse forcément un sentiment ambivalent, constate ce dernier. C’est toujours triste de voir disparaître une boîte dans laquelle tant de gens ont investi du temps et de l’énergie. Ma satisfaction est de voir que la quasi-totalité des salariés ont conservé leur emploi”. Mais pour les anciens administrateurs et d’anciens salariés, cette liquidation ressemble à un sabordage, loin des aspirations de développement des quartiers populaires que portait la structure à sa création.
Bonne analyse me semble-t-il de la part de C. Martot Bacry. En fond, le copinage politique, jamais positif dans ce type de structures. Embauche à la fidélité politique plutôt qu’aux compétences. Ces ingrédients se retrouvent dans tous les naufrages d’organismes similaires. Hélas, trois fois hélas…
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Epusec gérait 4 centres sociaux, Val Plan et 3 autres adossés à des MPT. Qu en est il de la CAF qui agrée ces équipement sur un projet social et sur un gestionnaire ? Par ailleurs, comment s ‘est faite administrativement cette nouvelle ” délégation”? Vous donnez la parole à Mr Heddadi élu aux centres sociaux, qu en est il de Madame Bayoux élue aux MPT? Et oui, les DSP relèvent trop souvent d un clientélisme aux antipodes d un fonctionnement associatif…sain.
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Madame Batoux
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Drôle d’alliance entre la Ligue de l’Enseignement et l’IFAC !
Joël Desroches ancien directeur d’Episec a depuis rejoint Synergie Family.
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Grâce à Marsactu je découvre avec à la fois avec délice et étonnement ce milieu associatif marseillais. Sacré panier de crabes. Les politiques ne pouvant pas tous les embaucher car entre la ville,le département, la métropole, la région cela est déjà l’armée mexicaine, sans compter les satellites.
Alors les associations amies et qui rament pour les politiques permettent de nourrir et de caser les copains à coup de subventions,renoi d’ascenseur oblige,mais force est de constater visiblement tous ne sont pas au top en matière de gestion, le COVID a bon dos,alors la solution est simple, les contribuables payent.
La prochaine fournée c’est pour LONGCHAMP, on vire les gens qui y travaillent depuis des années ( des artisans et pas des milliardaires) sans autre forme procès pour y caser les copains associatifs avec les subventions qui vont bien avec.
Tout cela pour finir en biberine
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Encore un p’tit cadeau d’adieu de la précédente municipalité. Ces associations qui ont fait leurs preuves depuis des décennies – Ligue de l’Enseignement (à Marseille depuis 1909), Léo Lagrance 1946, CCO 1060 – ont un gros défaut: elles sont de gôôche ou à tout le moins laïques. Comment nos chères têtes blondes (à breloque de collier cruciforme cf: carnet de correspondance des lycées) des quartiers plutôt favorisés peuvent-ils être ainsi endoctrinées?
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C’est marrant ces dynasties, ça doit être pour ça que Monsieur Desroches siège aussi au conseil d’administration de l’UDAF 13, dont le slogan est “Unis pour les familles”.
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