À Aix, tous (désunis) contre Joissains

Reportage
le 13 Mar 2020
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La dernière ligne droite de la campagne des municipales aixoises dessine une ligne de fracture. D’un côté, la maire Les Républicains sortante en lice pour un quatrième mandat ; de l’autre, des candidats qui – de droite, de gauche et du centre – rêvent de lui succéder… sans pour autant être capables de s’unir pour réussir à la battre.

La mairie d
La mairie d'Aix-en-Provence (Photo : Emilio Guzman)

La mairie d'Aix-en-Provence (Photo : Emilio Guzman)

Même quand elle n’est pas là, Maryse Joissains reste présente. Une sale petite bruine glacée donne de faux airs bretons au marché ce jeudi matin-là. Place des Prêcheurs et place Verdun, quelques courageux colistiers du dissident de droite, Jean-Marc Perrin, ancien adjoint de la sortante Les Républicains, tendent leurs tracts aux chalands. Un couple décline. “Ah non, désolé, on est du Finistère”, glisse l’homme, guère traumatisé par la météo.

Ici et là, toutefois le dialogue prend. Avec des retraités, peu pressés par le temps, surtout. En creux, les thématiques soulevées sont des critiques à la gouvernance de Maryse Joissains maire depuis 2001, en lice pour un quatrième mandat. Sans détour, on parle “changement”, “probité dans la gestion municipale”, “air frais”… Danièle Brunet, conseillère départementale fidèle soutien de Perrin, lâche : “Dire stop à Maryse ce n’est pas de la trahison, c’est du courage.” Jean-Marc Perrin, compagnon de route de la première magistrate depuis 2008, qu’elle compare à “un petit poulet” qu’elle aurait élevé au grain, a poussé la témérité jusqu’à écrire à Christian Jacob, président des Républicains. Courrier dans lequel il regrette que son parti ait investi “une personne condamnée” et appelle sa famille politique à “plus de comportement éthique” et à revenir sur cette investiture.

« Maryse ? J’en ai un peu marre »

Une dame aixoise – coupe au carré bien nette, boucles d’oreilles graphiques, imper sombre ajusté, gants de cuir – soupire : “Maryse ? J’ai toujours voté pour elle. Heureusement qu’elle a eu Bramoullé [premier adjoint en charge des finances, ndlr] ! C’est un ami. Il a sacrément bien géré, lui.” Devant le tract de Jean-Marc Perrin, elle fronce le nez : “Mais ce Jean-Pierre (sic), là, on me l’a un peu démonté. C’est tout de même une girouette, non ?” Ira-t-elle (re)mettre un bulletin Joissains dans l’urne ? Elle ne sait pas trop : “Maryse, on n’arrive jamais à la voir. J’en ai un peu marre.”

L’absente si présente est au cœur de bien des attentions. “Elle ne se montre plus, par peur du coronavirus”, pique un sympathisant de gauche, pointant l’air de rien les 77 ans de l’élue. Un front anti-Joissains se dessine-t-il pour autant ? Pas si simple. Tous, le divers droite Perrin, la marcheuse Anne-Laurence Petel, la frontiste Nathalie Chevillard, la tête de liste de Génération écologie Stéphane Salord ou le leader de la gauche unie Marc Pena font campagne sur l’air du “tout sauf Maryse“. Même les centristes plus ou moins teintés de vert – Dominique Sassoon (transfuge de la République en Marche passé chez Europe écologie les Verts) et Mohamed Laqhila (Modem) – jusqu’alors relativement amènes avec la sortante se font plus mordants.

Droit comme un i, ceint de son écharpe tricolore, Mohamed Laqhila assiste – en tant que député de la majorité présidentielle – à la cérémonie d’hommage national aux victimes du terrorisme au côté de ses camarades parlementaires et néanmoins adversaires, la sénatrice Sophie Joissains (UDI) et la députée Anne-Laurence Petel (LREM), ce mercredi. Avant la célébration, il sirote un café dans une belle brasserie et égrène ses priorités : écoute, équité territoriale, écologie pragmatique et honnêteté. Depuis la confirmation de la condamnation de Maryse Joissains par la cour de Cassation, malgré l’invalidation de ses peines, le ton a changé. “L’objectif c’est de la battre. J’aurais pu travailler avec sa fille, mais elle n’est pas tête de liste”, regrette-t-il. “Avec Maryse ce ne sera pas possible. A moins qu’elle se retire…” Hypothétique.

Œillet et ligne rouge

À quelques heures du premier tour, l’équation – inextricable – du second se pose à tous. Assurée d’arriver en tête dimanche soir, la sortante se trouve toutefois bien isolée. Dominique Sassoon rentre tout juste du marché d’Encagnane où avec ses colistiers dûment vêtus de coupe-vent verts il a défendu ses couleurs et son ambition : “Être le médecin qui va prendre soin de la santé des Aixois, grâce à une écologie transversale et pas prisonnière d’une idéologie.” Une vidéo, un rien surréaliste, montre le néo-écolo dans la permanence de Maryse Joissains en train de distribuer le dimanche précédent des œillets colorés aux dames, la maire LR d’Aix et la présidente de la métropole, LR aussi, Martine Vassal, en tête. “C’était la journée des Droits de la femme, évacue la tête d’EELV (qui n’a pas encore pris sa carte). Je ne vois pas en quoi être opposés dans une campagne électorale oblige à manquer de courtoisie.” Et le second tour, alors ? Pas question d’une alliance avec la toute-puissante maire. “Sa condamnation est pour moi une ligne rouge. Je n’appellerai pas à voter pour elle”, assure-t-il.

Huiles essentielles et agents municipaux

Gérard Bramoullé vient de déposer une gerbe au nom de Maryse Joissains en hommage aux victimes du terrorisme. Il s’approche de la députée marcheuse et lui tapote l’épaule : “Bon combat !” lance le premier adjoint à Anne-Laurence Petel. Bramoullé lui tend la main d’un air bonhomme. La tête de liste des marcheurs la lui asperge de deux coups de spray : “C’est rien, c’est des huiles essentielles !“, s’amuse-t-elle. À grandes enjambées, elle rallie sa permanence. “Maryse Joissains n’écoute plus, ne voit plus, elle n’est plus dans son époque. La ville et ses problématiques ne se résument pas à la rue Mignet !”, pique la challengeuse.

Ses colistiers sont dans les starting-block. Ils filent devant les bâtiments de six services municipaux. Objectif : distribuer une lettre aux agents municipaux aixois. Tous ont reçus le 15 janvier un courrier signé du directeur général des services Bernard Magnan, rappelant la nécessité du devoir de réserve en cette période électorale que l’équipe de LREM interprète comme un coup de pression. “En interne, on fait campagne contre moi, s’irrite Anne-Laurence Petel. On leur dit que je vais tous les virer. Ce qui est ridicule ! Moi je fais campagne sur le renouvellement des visages en politique, par sur celui des agents !” Midi sonne. Sophie et Laurent tendent la lettre aux employés municipaux qui sortent de la mairie, sous l’œil étonné des agents de sécurité. Un homme prend l’épitre. “C’est pour vous rassurer”, glisse Sophie. Il rend la feuille. “Me rassurer ? Mais de quoi ? Elle est nulle, dit-il en pointant les fenêtres de l’Hôtel de Ville, d’un coup de menton. Mais elle est pas méchante… “

Alain Joissains supervise

Marc Pena, lui aussi, parle aux employés municipaux. Le matin même, il est allé à la rencontre d’agents des piscines, avant d’échanger avec des retraités de la CFDT. Choisi par « Aix en partage » pour incarner l’union de la gauche, le professeur de droit marche le long du cours Mirabeau. Il l’affirme, il sent poindre “une dynamique favorable” en même temps qu’un “rejet du clan Joissains, de ses pratiques clientélistes, de sa manière autoritaire de gérer la ville”. Il passe devant la permanence de la sortante. Un sympathisant, accroupi, bricole la porte automatique récalcitrante. Un pas derrière lui, dans l’entrée de la permanence de Maryse, un homme surveille l’opération : c’est Alain Joissains, ancien maire et époux de l’actuelle locataire de l’hôtel de ville. Un quart de seconde Marc Pena en reste bouche bée. “Et voilà ! Il est là. Inébranlablement là !“, lâche-t-il. Le juriste déploie ses axes de campagne en s’attablant dans un bar. Devant son Perrier-citron, Marc Pena veut y croire : “Dans cette ville atomisée, fracturée par la politique des Joissains, on peut construire du commun, grâce à deux outils : la démocratie participative et la solidarité.”

Construire. Oui, mais avec qui ? Les challengers ne l’ignorent pas, pour battre Maryse Joissains il faudra d’une part, arriver en seconde position avec un beau score et de l’autre, être en capacité de fédérer. Et là, les choses se corsent. Le Modem Mohamed Laqhila n’a pas très envie de travailler avec sa collègue marcheuse du Palais Bourbon : “Anne-Laurence Petel c’est l’erreur de cette élection. Quand je me suis déclaré, elle n’avait pas envie d’y aller…”, dit-il en prenant garde de ne pas insulter l’avenir et de s’annoncer, mollement, ouvert au dialogue. Anne-Laurence Petel de toute façon rejette l’idée “d’une liste gloubiboulga, fourre-tout” : “Les gens ne veulent pas voter contre. Mais choisir un projet cohérent. Un front « tous contre Maryse » n’aurait pas de sens.”

Dans le même temps, Marc Pena et Aix en Partage comptent sur “les alliés naturels de la gauche, EELV”. Mais Dominique Sassoon, lui, refuse s’asseoir à la même table que la France insoumise et des Gilets jaunes, au motif “qu’on ne peut pas bâtir un programme apaisé sur cette ligne de conduite un peu extrême”. Il n’envisage pas, non plus, de se rapprocher de Stéphane Salord (Génération écologie). Et on imagine mal qu’il se rabiboche avec une Anne-Laurence Petel, avec laquelle il est à couteaux tirés, mais dont il est pourtant le suppléant à l’Assemblée nationale…

À droite, Jean-Marc Perrin a déjà prévenu qu’il ne se rangerait pas derrière la sortante. La gauche ne s’associera pas pour autant à lui. Sa marge de manœuvre n’est pas très épaisse non plus. Reste, enfin, l’hypothèse de voir le second tour prendre la forme d’une triangulaire, voire d’une quadrangulaire nécessairement plus favorables à celui arrivé en tête au premier tour.

Omar Achouri prend un tract

Sur le marché, une Diabline – ces minibus électriques qui sillonnent silencieusement le centre d’Aix –, disperse des sympathisants tracts en main, à coup de « ding-ding » intempestifs. Omar Achouri qui passe par là, attrape un tract de Jean-Marc Perrin, “par respect”, dit-il. “Perrin, c’est un ami, mais je lui ai dit que je voterai pour madame le maire”, glisse le chauffeur-conseiller politique de l’édile, dont la promotion turbo vaut sa condamnation à sa patronne. Un homme dans une doudoune orangée, la tête couverte d’un bonnet, s’approche et glisse à Omar : “Tu le sais, hein, pour moi, ce sera Perrin-Pin-Pin.” Pas de quoi entamer le moral des troupes. Dans son manteau à col en cuir, sur costume marine et cravate bleu ciel, Omar Achouri se contente d’un fin sourire et contemple le ballet des opposants. La réélection de Maryse Joissains ? “Je pense qu’il n’y a aucun problème, le bilan est bon.” Les affaires ? “Personne n’en parle. À part les adversaires.” Yvette, cabas de courses dans une main, parapluie à motif Burberry dans l’autre, ne dit pas autre chose. “Maryse j’aime son caractère entier. Comme chez tout le monde, il y a à prendre et à jeter. Mais cette femme, au moins, on la connaît par cœur.” Au point de la réélire ?

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