À Air-Bel, les nouvelles canalisations ne noient pas la défiance des habitants
Victoire judiciaire, mise en demeure des bailleurs et avancée des travaux : les locataires n'ont jamais été aussi proches de voir leur eau débarrassée de la légionelle, bactérie à l'origine du décès d'un voisin en 2017. Mais l'installation de "filtres" provisoires, demandée par la préfecture, ne convainc pas les habitants.
À Air-Bel, les nouvelles canalisations ne noient pas la défiance des habitants
Novembre 2018, à Air-Bel, pause cigarette pour quatre ouvriers devant l’entrée du bâtiment 38. La porte est maintenue ouverte par des tuyaux noirs. “C’est de l’aluminium recouvert par du plastique”, explique un jeune homme en bleu de travail, qui disparaît rapidement vers un appartement du rez-de-chaussée. Le couloir qu’il emprunte est encombré par les vestiges de ce qui fut la canalisation de cet immeuble pendant 46 ans. C’est-à-dire des tuyaux en fer, dont l’intérieur est aujourd’hui recouvert de caillots de rouille, et qui ont abrité, au moins depuis 2011, une bactérie : la légionelle.
Novembre 2018, soit un an et deux mois après le décès par légionellose d’un habitant d’Air Bel. Si le lien entre son décès et les souches de légionelle retrouvées chez lui n’a jamais été confirmé scientifiquement, les prélèvements effectués dans la cité ont agi comme un électrochoc. Pourtant, et malgré un traitement régulier par chloration depuis, la bactérie est toujours présente dans certains immeubles, parfois à des taux très préoccupants. Il y a un mois, un relevé effectué dans le réseau d’eau de la cité par les trois bailleurs affichait 55 000 UFC (unité formant colonie) par litre. Soit, 55 fois plus que le seuil légal. Un problème que les bailleurs sociaux, exhortés par les pouvoirs publiques, espéraient régler grâce à l’installation de filtres. Une solution pour laquelle les habitants n’ont pas souhaité jouer la coopération.
“Il semblerait que le rapport de force se soit inversé”
Rania Aougaci est présidente de l’Amicale des locataires. Bien que toujours inquiète, elle peut aujourd’hui se féliciter d’un premier constat : “les bailleurs sont plus communicatifs. Maintenant, ils tiennent des réunions techniques avec nous. Cela fait longtemps qu’on se bat depuis notre petit local pourri. Il semblerait enfin que le rapport de force se soit inversé. Ils ont compris que nous étions prêts à aller jusqu’au bout.”
Une victoire en deux temps. Médiatique en avril, lorsque Jean-Luc Mélenchon repart de la cité avec une bouteille d’eau marron, qu’il expose dans une vidéo atteignant 50 000 vues. Puis judiciaire, lors d’une audience en juin débouchant sur la nomination d’un expert indépendant. S’ensuit le “coup de grâce”, sourit Rania Aougaci : la mise en demeure des bailleurs par la préfecture exigeant la pose “de filtres terminaux” provisoires en attendant la rénovation des canalisations.
Des filtres “inefficaces” et “dangereux”
Quatre mois et deux prolongations de délai plus tard, la préfecture affirme que tous les locataires identifiés comme exposés au risque se sont vus installer des douchettes. Sauf qu’une grande majorité d’entre eux les ont enlevées. “Déjà c’est inefficace, en plus c’est dangereux !” dénonce Djamila Haouache, qui rapporte plusieurs cas : sous la pression de l’eau, accentuée par un filtrage extrêmement serré, la douchette a explosé au visage d’une voisine. “C’est inutilisable. C’est trop lourd pour ma fille, et elle a 11 ans”, regrette un autre locataire. Djamila Haouache confirme : “il n’y a pas assez de débit. Et quand c’est gorgé d’eau, vous n’avez pas intérêt à la faire tomber sur votre pied !”
“Les bailleurs le savent, assure Françoise Mesliand, directrice territoriale à Logirem, bailleur social d’Air-Bel. On installe rarement des douchettes en logements car c’est contraignant. L’ARS a voulu mettre en place une mesure de sécurité maximale, c’est sa décision, et elle en connaissait les risques.” Du côté de l’ARS, Karine Huet, délégué départementale, assure que “si les locataires ont un souci, ils peuvent le signaler directement au prestataire, qui viendra reposer une douchette.” En clair, le problème est sans fin.
Enfin, les locataires rapportent “une sortie d’eau quasi bouillante”. Chez le bailleur Logirem, le constat ne trouve aucune explication… ou presque : “nous maintenons l’eau chaude à une température raisonnable, mais qui permet de tuer les bactéries.” Soit, au moins, à 50 degrés. Chez une personne âgée du rez-de-chaussée, bâtiment 38, le sol en lino s’est en grande partie gonflé et décollé sous l’effet de la chaleur. “Quand j’approche la main du sol, je sens la chaleur qui remonte des tuyaux”, explique-t-elle.
Plusieurs immeubles oubliés du dispositif
Mais il y a encore autre chose qui préoccupe Rania Aougaci : les bailleurs ont équipé 630 logements, soit, un peu plus de la moitié de la résidence, en se basant sur les mesures de l’eau prises à quatre dates. Sauf qu’un immeuble fortement infecté peut voir les légionelles disparaître rapidement, notamment grâce à la chloration, mais revenir encore plus, une fois la chloration cessée.
Ainsi, huit immeubles – dont celui de Rania Aougaci – alimentés par la même chaufferie, n’ont pas été équipé. Le 17 avril, son taux de présence de légionelles était conforme. Peut-être grâce au traitement au chlore qui avait débuté la veille, et dont les locataires avaient été informés par le syndic Unicil. Mais le 22 mai, dix jours après l’arrêt de la chloration, 60 000 UFT/l ont été mesurées. C’est 60 fois plus que le seuil légal.
Or, l’arrêté préfectoral assure que les deux dates de mesures ont été prises en compte lors de l’identification des immeubles à équiper en douchettes. L’ARS s’en dédouane : “les logements équipés ont été identifiés par un cabinet indépendant choisi par les bailleurs”, développe Karine Huet, tout en assurant que “l’ARS contrôle les mesures relevées par les bailleurs.” Avec 60 000 UFC/l, l’immeuble de Rania semblait correspondre aux critères d’équipement mais ne l’a pas été.
Des légionelles dans la salle des maîtres
L’ARS ignore également un incident pourtant notoire survenu à l’école élémentaire situé au cœur de la cité Air Bel. Les habitants ont toujours entendu que deux réseaux d’eau distincts desservaient l’école et les logements, ce que la préfecture vient de confirmer à Marsactu. Mais depuis l’année dernière, les parents d’Air Bel nourrissent une hypothèse tout autre : selon eux, l’eau de l’école sent régulièrement le chlore. Des “bruits de couloir” rapportés à Me Soraya Slimani, avocate des habitants, transmis à la mairie des 11/12, et restés sans réponse.
Mais à la mairie centrale, responsable du réseau d’eau de l’école, Patrick Padovani, délégué à l’hygiène, est formel : “durant les vacances de la Toussaint, nous avons en effet noté une présence de légionelles légèrement supérieure au seuil légal dans une arrivée d’eau chaude de la salle des maîtres.” Un problème lié, dit-il, à la vétusté d’un chauffe-eau, et réglé depuis par les services de la ville.
“L’entretien sur le réseau d’eau aurait pu débuter plus tôt”
En revanche, concernant les logements de la cité, le stade de la réparation ponctuelle est largement dépassé. Les bailleurs ont ainsi entamé des travaux de rénovation sur le réseau entier. “Changer tous les tuyaux est la seule solution. Sur les canalisations actuelles, le niveau de rouille est tel que les bactéries peuvent se nicher dedans, ce qui rend la chloration inefficace” concède Françoise Mesliand de Logirem.
Partout dans la cité, les tuyaux en aluminium et plastique remplacent donc peu à peu l’ancien réseau en fer. Puisque le chlore ne fonctionne plus, les encombrantes douchettes sont la seule alternative, en attendant la fin des travaux en mars 2019.
Les bailleurs auraient-ils pu anticiper cette crise ? Analyse de François Mesliand, après-coup : “lorsque monsieur Haouache est mort, nous ne nous sommes pas posés de question, il fallait changer toute la tuyauterie rapidement, sans attendre le plan de rénovation urbaine [toujours au stade de projet, ndlr]. Mais il est vrai que l’entretien et l’intervention sur le réseau d’eau auraient pu débuter plus tôt.” Véritable aveu, lorsque l’on sait que les bailleurs ont été informés par leur syndic Unicil de la présence de légionelles et d’un premier cas de légionellose dès… 2011.
Commentaires
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Il faut aller jusqu’au bout de l’article : “les bailleurs ont été informés par leur syndic Unicil de la présence de légionelles et d’un premier cas de légionellose dès… 2011.”
C’est comme pour ces immeubles du centre ville qui tombent : Les autorités savent mais ne font rien.
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Attendez, je cherche un élément de langage dans le catalogue des explications toutes faites : “C’est la tradition ici” ? Non. “La loi socialo-communiste est inapplicable” ? Non. “C’est du Marseille bashing honteux” ? Non. Ah, voilà : “c’est difficile”…
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Gaudin s’est déplacé en personne pour résoudre le problème appartement
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