LES PAS DE LA TRANSITION : LE BOULEVARD D’ATHÈNES
Je consacre une partie de mes chroniques de « Marsactu » à réfléchir à la signification des noms des lieux de la ville, de ses rues, de ses sites. Empruntons aujourd’hui le boulevard d’Athènes.
Le boulevard d’Athènes
Après avoir eu plusieurs noms, le boulevard d’Athènes est cette artère importante que nous avons tous empruntée, qui va du grand escalier de la gare Saint-Charles à l’allée Léon Gambetta et au boulevard Dugommier qui le prolonge vers la Canebière. Il s’agit d’une voie qui mène de la gare à la ville elle-même. En ce sens il s’agit d’une voie de transition, d’une sorte de « sas » qui mène de l’arrivée des voyageurs à la gare vers le centre de la ville. En empruntant cette rue, nos pas quittent l’extérieur de Marseille et nous conduisent à la ville elle-même. Cette voie va du voyage au séjour. C’est pourquoi il est important d’en parler, car il s’agit bien souvent de la première rue que l’on rencontre après avoir descendu le grand escalier, lui-même une transition, en quelque sorte en douceur, qui nous amène, pas à pas, marche après marche, du quai du chemin de fer aux rues de la ville, de l’espace de la gare à celui de la ville. Pourquoi s’agit-il d’un « boulevard » ? Dans l’histoire des noms français de rue, un boulevard s’appelait ainsi parce que c’était un passage dans lequel on pouvait jouer aux boules. C’est pourquoi certains boulevards marseillais sont en réalité de très petites voies. C’est seulement après, avec l’avènement des transports urbains, que les boulevards ont fini par désigner des artères importantes, assez larges pour que les voitures, à cheval puis à moteur, puissent circuler sans encombres. Aujourd’hui, le boulevard d’Athènes est entièrement destiné à la circulation, au passage : il est assez large pour recevoir d’importants flux de véhicules, et ses trottoirs sont eux-mêmes assez larges pour que des flux de piétons puissent y circuler. Le boulevard d’Athènes n’est pas une rue où l’on s’arrête pour regarder des vitrines, car il n’y en a guère, ni pour prendre un café, ni même pour flâner, tout simplement : le boulevard d’Athènes est fonctionnel, il s’agit d’une voie destinée aux circulations.
Athènes : la transition entre l’histoire et le présent
On peut comprendre plus facilement, alors, ce qui a conduit à donner à ce boulevard le nom d’Athènes. Il s’est appelé ainsi en 1899, l’année du 2500ème anniversaire de la fondation de la ville, en 2600 avant J.-C. Et, après plusieurs péripéties à l’occasion desquelles il a changé de nom, puis a été supprimé pour permettre l’installation du grand escalier, en 1928, et il a repris son nom actuel en 1938. Toute cette succession de noms divers constitue, en elle-même, une sorte de cycle de transitions entre les époques, entre les habitudes et les usages de la ville, mais aussi entre les moments de son histoire. S’il a porté le nom d’Athènes, pour rappeler d’où est née Marseille, il a retrouvé son nom après ces multiples aventures en 1938 : c’était l’époque d’une autre transition, encore à venir, mais peut-être ne le savait-on pas encore, entre deux époques de l’histoire du monde, dans lesquelles se situait l’histoire de Marseille. En ce sens, le boulevard d’Athènes est un passage, mais historique celui-là, dans l’espace et la ville, comme une sorte de vestibule de Marseille. Il s’agit ainsi d’un autre passage, entre les temps et les époques de la ville et de son urbanité. Dans son aspect d’aujourd’hui, le boulevard d’Athènes marque l’entrée de la ville dans les logiques contemporaines de l’urbanité, celles qui commencent à la fin du XIXème siècle : le boulevard d’Athènes est une sorte de transition entre l’époque de la ville haussmannienne, celle de la rue de Rome et de la préfecture ou des boulevards Chave et Baille et son époque plus contemporaine.
Le boulevard d’Athènes : la transition entre la gare et la ville
Comme il s’agit donc de la première artère que l’on rencontre en descendant du train puis de l’escalier, le boulevard d’Athènes est la transition entre la gare et la ville. Il s’agit de cette sorte de « sas » dont je parlais plus haut. Boulevard d’Athènes, on n’est plus dans le train, mais on n’est pas encore tout à fait dans la ville. Il n’est ainsi pas rare de croiser dans le boulevard les valises à roulettes des gens pressés pour ne pas manquer leur train et celles des gens qui le sont moins et qui viennent d’arriver. Transition entre la gare et la ville, le boulevard d’Athènes offre un visage majestueux par ses grands immeubles qui, comme des murailles épaisses, donnent à la ville un aspect grandiose, un peu excessivement grand même, comme si la ville manquait de modestie en offrant ce visage puissant aux voyageurs qui la découvrent – ou qui la retrouvent après l’avoir quittée. On n’est pas chez soi, boulevard d’Athènes, ou rarement : c’est une rue que l’on n’habite pas, parce qu’elle est trop imposante pour constituer un abri, pour offrir un logement, un hébergement. Entre la gare et la la ville, le boulevard d’Athènes est ce passage assez important pour donner l’impression d’une frontière à traverser : ce « sas » nous permet d’entrer la ville après l’avoir franchi, et il offre un contraste avec l’allée Gambetta, accueillante, au contraire, où l’on peut se promener et découvrir le visage de la ville.
La transition entre la ville du passage et celle de la rencontre
C’est l’autre transition du boulevard d’Athènes, entre l’âge classique de la ville et de ses allées et la modernité du temps d’Haussmann et de la gare et du temps du rail, puis de l’avion, puisque le boulevard nous mène à cet autre transition, entre la ville et la navette de l’aéroport. Cette transition entre le passé et la modernité nous rappelle que, plus peut-être que celle d’aucune autre ville, l’urbanité de Marseille relie l’urbanité historique des vieux quartiers et des sites anciens et l’urbanité moderne des déplacements de travail et d’affaires et l’urbanité classique de la rencontre. C’est que l’on n’est pas dans la rencontre, quand on est boulevard d’Athènes, mais dans le flux. Pour la rencontre, il faut le parcourir jusqu’à l’allée Gambetta et à la Canebière. Le boulevard d’Athènes figure cette transition-là, entre les différentes époques de la rencontre et du passage et entre l’habitation et la rencontre. Le boulevard d’Athènes est l’artère du flux, un espace dans lequel les personnes sont dans le déplacement : le boulevard d’Athènes irrigue la ville, tandis que les autres boulevards qui prennent sa suite sont déjà dans la ville et nous conduisent vers des lieux que l’on connaît et que l’on recherche. Espace de flux et de passage, le boulevard d’Athènes est ainsi un espace de circulation, mais aussi de découverte.
Comme dans la plupart des chroniques consacrées aux rues et aux sites de la ville, les informations factuelles et historiques sont issues du « Dictionnaire historique des rues de Marseille » d’A. Blès (Éditions J. Laffitte).
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