LES DEUX MARCHÉS
Il est important de comprendre le sens du marché à Marseille, car il permet de comprendre le sens de l'identité de cette ville et des échanges qui ont lieu dans l’espace urbain.
Le sens du marché à Marseille
Marseille est née du marché, parce que cette ville est un port, fondé par des marins qui étaient, en même temps, des marchands, venus de Phocée, pour échanger dans notre pays. Cette place essentielle du marché dans la fondation de la ville est un mythe. Cela signifie qu’au-delà de l’événement que raconte cette histoire, la ville reconnaît son identité dans la vérité dont est porteur ce récit. Si Marseille a fait de ce récit son mythe fondateur, c’est que la ville y trouve une vérité qui la représente, qui représente sa place dans la Méditerranée et en France. Le marché de Marseille a deux significations : d’une part, il s’agit d’une activité qui donne son importance économique à la ville, il joue un rôle majeur dans l’économie politique de la ville ; d’autre part, le marché donne à la ville une place particulière, à la fois hors de notre pays et à l’intérieur, parce qu’il s’agit d’un lieu d’échanges, ouvert sur les marchands du pays et sur ceux de l’ailleurs du monde méditerranéen. La place du marché à Marseille est celle d’une activité économique et celle d’une ouverture sur le monde méditerranéen. C’est, d’ailleurs, le sens de la « Criée libre aux poissons », ce lieu, situé quai de Rive-Neuve, où les pêcheurs venaient vendre le produits de leur pêche « à la criée », comme dans tous les marchés. Comme pour réunir les deux marques de son identité, Marseille avait fait de ce lieu celui d’un théâtre, fondé par André Maréchal, en 1981. Par le marché, Marseille est à la fois une ville du sud de la France, sur la côte, entre l’est et l’ouest du littoral français de la Méditerranée, et une ville du nord et de l’ouest de la Méditerranée. Finalement, le sens marseillais du marché est celui de la rencontre entre plusieurs mondes. Née de la mer, Marseille, pour cette raison, est née du marché, mais aussi de la coexistence entre une ville légitime et une ville souterraine – faudrait-il dire sous-marine ?
Les échanges et le trafic
Cela devient une sorte de lieu commun : à Marseille, il y a deux marchés, le marché légitime, qui a toujours existé et qui, heureusement, continue à vivre, celui de la rencontre, de la parole et des échanges, celui des marchands et des clients, qui vit à la Plaine, à Noailles, aux Halles, et dans bien d’autres lieux, et le marché caché, illégitime, comme des trafics de stupéfiants. Ces deux mondes d’échanges vivent et agissent dans la ville, mais ne s’y rencontrent pas. Le premier est le marché de l’alimentation, de l’industrie, des biens de toutes sortes qui sont achetés et vendus à des marchands qui ont leur place dans les lieux de la ville consacrés à ces échanges. C’est, d’ailleurs, pour cela qu’a été instituée une chambre de commerce, à Marseille, située dans le bas de la Canebière, justement au lieu qui fait le lien entre la ville et le port. Cette chambre de commerce, qui fut aussi, il y a longtemps, une Bourse des valeurs, comme il en existait dans d’autres grandes villes françaises, comme Bordeaux ou Lyon, avant que ne soit reconnue la seule Bourse des valeurs de Paris, est l’institution chargée de réguler le marché et les échanges. Ce monde des échanges légitimes dispose, ainsi, d’institutions et de lois reconnues par l’État, par les marchands et par les acteurs qui participent aux échanges. On parle moins de l’autre, le marché des stupéfiants : pour parler de lui, on parle du trafic. De quoi s’agit-il ? Ce mot, trafic, a, lui aussi, son histoire. Selon le Trésor de la Langue française, cet ouvrage qui est un véritable trésor, qui dit tout ce que l’on recherche sur les mots de notre langue, le mot « trafic » serait venu dans la langue française au quatorzième siècle, provenant de l’italien traffico. Ce mot désigne le commerce, car le latin fricare signifie « frotter », « manipuler », donc passer de main en main. Mais il pourrait aussi être issu de l’arabe, le mot arabe « tafriq » signifiant « distribution ». Ces deux origines peuvent, d’ailleurs, tout à fait n’en désigner qu’une. Ce qui est important, dans notre histoire, c’est qu’il s’agit d’un mot venu en français de pays situés dans le monde méditerranéen. C’est bien pourquoi ils se retrouvent à Marseille. En effet, le monde méditerranéen a toujours connu des échanges légitimes et des échanges qui ne le sont pas. Si l’on parle du trafic des stupéfiants, c’est qu’il ne s’agit pas d’un commerce convenable.
La politique et la violence
Le commerce et le trafic, les échanges des marchandises légitimes et les échanges de marchandises qui ne le sont pas, comme les marchandises volées ou les stupéfiants, se distinguent dans leur rapport au politique, mais aussi dans leur rapport à la violence. Le marché légitime est reconnu par le politique, qui lui donne sa place dans la vie de la cité. Le marché joue un rôle éminent dans les pouvoirs sur les villes, partout, mais notamment à Marseille. L’autre marché, celui qui n’est pas légitime, joue aussi un rôle important à Marseille, mais ce n’est pas le même : le marché illégitime fait vivre une autre ville, cachée derrière la Marseille visible. Il s’agit de la Marseille des réseaux clandestins, des achats, des vols et des ventes de produits acquis illicitement ou des produits dont le commerce est justement interdit. Les codes et les normes de ces deux marchés ne sont pas les mêmes. Ce qui fait la différence entre eux, c’est que les uns sont soumis au contrôle de l’État, alors que les autres fuient l’État qui les recherche et qui entend y mettre fin car ils échappent à son contrôle. Le marché légitime est régulé par le politique, alors que le politique ne regarde pas l’autre marché – même si, comme tout le monde le sait, certains de ses acteurs y participent. Reste la question de la violence. Ces deux marchés sont des mondes de violence, mais il ne s’agit pas de la même. La violence du commerce légitime est la violence économique : c’est celle des activités économiques qui cherchent à faire du profit, se permettant parfois d’échapper aux normes de la loi ou de les changer, en les adaptant à leur profit. C’est celle des conditions de travail infernales, des salaires aussi minimes qu’il est possible, des suppressions d’emploi et d’une médecine du travail entièrement à refonder. La violence du trafic illégitime, celui des stupéfiants par exemple, est la violence des acteurs qui se tuent pour augmenter leurs profits, mais c’est aussi celle dont les victimes sont ceux que « Le Monde » du 20 août appelle « les petites mains du trafic », de ceux que l’on appelle les « jobbeurs » des cités. Les réseaux du trafic des stupéfiants recrutent leurs « petites mains » jusque dans les hôpitaux psychiatriques (Luc Leroux, Le Monde, 20 08 24). C’est de cette manière que le trafic échappe au politique et au droit pour fabriquer ses propres lois et les imposer aux victimes d’un ordre social inopérant face au marché – face aux deux marchés, le légitime et l’autre, dont les lois, qui leur sont propres, s’imposent à celles et à ceux qui travaillent pour eux, à Marseille, dans les quartiers Sud pour l’un et dans les quartiers Nord pour l’autre.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
Commentaires
0 commentaire(s)
L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.