À la cité Consolat, un appartement fracassé dans une copropriété marquée par l’indignité
Dans un immeuble de la cité Consolat frappé par un arrêté de mise en sécurité, les locataires se sentent abandonnés. Un appartement a été violemment saccagé, sur fond de conflit ouvert avec le propriétaire.
À la cité Consolat, un appartement fracassé dans une copropriété marquée par l’indignité
“Il est là !” Anissa, qui n’a pas dormi depuis 24 heures, est retranchée derrière la porte de son appartement. Sauf que sa porte n’est plus une porte. La veille, mardi 6 août, des individus l’ont arrachée. Tout l’encadrement a été découpé à la perceuse. Alors le père de famille, Mokhtar Salime, s’affaire à bloquer ce qui n’est plus qu’une grande trappe volante avec un manche à balai, calé contre le mur d’en face.
Nous sommes cité Consolat, une grande copropriété dégradée dans les hauteurs du 15e arrondissement marseillais. Depuis que le bâtiment A, où vit Anissa et sa famille, est frappé par une procédure pour cause de péril, il arrive que des appartements soient “visités”. Comprendre : “forcés”. Mais l’intrusion chez Anissa est d’une autre nature. Le compteur électrique a été arraché du mur et les fils pendent à l’air libre. Le robinet de la cuisine, déboîté. Les toilettes, fracassées en gros morceaux. Tout a été fait pour rendre les lieux inhabitables. Au milieu du salon, le petit Arkan, 8 mois, boit son biberon.
“Il est là !”, répète Anissa. Derrière la “porte” déboitée de son cadre, on entend toute proche la voix du propriétaire de l’appartement, nommé Omar. Il est monté, accompagné de plusieurs hommes. “Des étrangers sont chez moi”, entend-on affirmer Omar, portable en main. Il est en communication avec la police. La situation dure une trentaine de minutes ce 7 août au soir, durant lesquelles propriétaire et locataires s’ignorent, chacun d’un côté de la porte. La cause du conflit ? Un retard de paiement. Pour Anissa et son compagnon, le propriétaire aurait orchestré le saccage de leur appartement, ce que nie ce dernier.
Pendant ce temps, une éducatrice qui suit la famille se trouve aussi derrière la porte, tente à son tour de joindre la police. Elle nous demande : “Je peux leur dire que vous êtes là ?” Puis aux policiers au téléphone : “Il y a une journaliste avec nous. De quel média vous demandez ? De Marsactu.” Alors que le soleil se couche sur la cité avant de disparaître dans la mer, des appels retentissent. D’abord lointains (“Arah !”), puis proches (“A-rrraaaah !”). Les guetteurs du réseau annoncent l’arrivée d’une voiture de police. Quelques minutes plus tard, deux agents se présentent devant l’appartement : “Papiers s’il vous plaît ! Et livret de famille !” Anissa s’exécute. Et remonte le fil des évènements.
Arrêté de péril sur l’immeuble
Cette mère de deux enfants a emménagé au premier étage du bâtiment A, entrée H, de la cité Consolat en mars 2022. Le bail annonce un loyer de 690 euros par mois pour ce petit T3 situé au premier étage de la grande copropriété dégradée. Pourtant, en juillet 2021, la Ville de Marseille avait pris pour tout l’immeuble un arrêté de mise en sécurité urgente. L’arrêté estime que “la sécurité des occupants est gravement menacée par l’état des équipements communs”. Il pointe un “risque important” d’électrisation, d’électrocution et de départ d’incendie. Et comme prévu par la loi, tant que les travaux ne sont pas faits, les propriétaires ne sont plus en droit de percevoir des loyers, même en l’absence d’évacuation de l’immeuble.
Puisque Anissa n’est pas censée payer son loyer, la CAF l’informe par courrier que son aide au logement (APL), qu’elle estime de mémoire à environ 300 euros, est suspendue. “Je savais que l’immeuble était en péril, mais à partir du moment où la CAF s’est arrêtée, j’ai dit au propriétaire que je ne pouvais vraiment plus payer”, explique-t-elle.
Nous sommes en décembre 2023. “Je m’en souviens, puisque j’étais à l’hôpital pour accoucher juste avant, poursuit-elle. Il est venu chez nous à ce moment pour nous demander le loyer. Puis depuis, il est revenu plusieurs fois.” Alors Anissa dépose une première plainte à la police. “Il essaie de nous intimider. (…) J’ai téléphoné plusieurs fois au 17, mais personne n’est jamais venu”, lit-on sur le procès-verbal de cette plainte.
Loyers, charges et allocations Caf
“Je suis venu les voir deux fois”, reconnaît le propriétaire. Mais ce dernier assure n’avoir jamais exigé le paiement du loyer depuis qu’Anissa n’a plus d’allocation de la CAF. “Comme elle percevait la CAF, j’ai pensé que le péril ne concernait pas ce bâtiment de la cité, donc j’ai perçu des loyers. Quand la CAF s’est finalement arrêtée, j’ai compris. Depuis, la seule chose que je demande, c’est les charges !”, assure-t-il.
Omar est à la tête d’une société civile immobilière (SCI) et assure ne gérer qu’un appartement, celui d’Anissa, même si les données immobilières accessibles publiquement laissent entendre qu’il en possède trois. Sur Le bon coin, on trouve des T3 à Consolat comme celui-ci pour 40 000 euros. Originaire du quartier, le trentenaire clame qu’il n’est “ni un marchand de sommeil, ni un voyou.” Il reconnaît avoir perçu près d’un an et demi de loyers, mais assure que sa locataire lui doit encore des charges. “Je sais que des propriétaires se sont retrouvés au tribunal pour des loyers perçus avec un arrêté de péril. Si on va au tribunal et que le juge me dit de rendre l’argent, je le ferai. Mais je vous promets que j’ai tout calculé, et que les charges qu’on me doit sont supérieures à ce que j’ai reçu”, affirme-t-il.
Omar reconnaît n’avoir pas engagé à ce jour de procédure légale pour récupérer ses charges. Il explique en revanche avoir déjà porté plainte pour “menaces de mort” à l’encontre du compagnon d’Anissa, ainsi que pour “dégradation” à la suite du saccage de l’appartement le 6 août. “C’est chez moi ici ! Pourquoi est-ce que je viendrai casser chez moi ?” nous demande-t-il. De son côté, Anissa a aussi porté plainte la semaine dernière pour “dégradation du bien d’autrui en réunion”. La plainte a été déposée contre X. “Si la police veut venir m’entendre, c’est très bien”, assure de son côté Omar.
Le jour où leur appartement a été réduit en miettes, la famille a été prévenue par des voisins, alors qu’elle était à la plage. “Ils nous ont dit : « Il y a trois ou quatre hommes en train de casser chez vous ! » On a appelé la police… Mais personne n’est venu !”, s’émeut Anissa. Quels que soient les responsables de ce chaos, Anissa, ses deux enfants et son compagnon se retrouvent sans solution de logement. Une éducatrice qui accompagne la famille a cherché un hébergement d’urgence “mais dans l’urgence, nous aussi, on est démunis. Et on gère une cinquantaine de dossiers en même temps…”, regrette cette dernière.
L’inconnuE du chantier à venir
Au-delà de cette urgence, quelles solutions pour les habitants de la cité Consolat ? Anissa explique qu’il n’est pas rare que les nouveaux locataires arrivant dans l’immeuble ne soient pas informés de l’existence d’un arrêté de mise en sécurité. “C’est nous qui disons aux nouveaux que non, ils n’ont pas à payer de loyer aux propriétaires”, explique-t-elle.
À quelques dizaines de mètres de là, à l’entrée B du même bâtiment, nous apprenons que l’ascenseur ne fonctionne plus depuis dix jours. “En pleine canicule, c’est très grave”, s’émeut une sexagénaire qui vit là, au dixième étage. Contrairement à la cage d’escalier d’Anissa, sur celle-ci, le péril a été levé par la Ville. “Pourtant, il reste des travaux à faire ! Pourquoi l’ascenseur fonctionne par intermittence depuis quatre ans ? Et maintenant qu’il est à l’arrêt total, je ne peux plus descendre de chez moi”, poursuit cette habitante.
La cité Consolat fait partie des quatre copropriétés dégradées choisies par Emmanuel Macron lors de sa venue en juin pour bénéficier d’une opération de réhabilitation d’intérêt national. Mais ce projet de restructuration profonde n’a pas encore de calendrier arrêté. Aucun rapport, donc, avec les travaux demandés en urgence par les différents arrêtés de la Ville. Comme c’est souvent le cas dans ces grandes copropriétés, où le syndic se retrouve étranglé par les dettes, un administrateur judiciaire, AJassociés, est mandaté depuis 2023.
Dans le creux de l’été, peu de chances que les plaintes déposées par Anissa aboutissent rapidement. Pour le moment, la famille vit branchée à l’électricité d’une voisine, via une multiprise qui traverse le pallier. Quant à leur porte, l’assurance leur a dit ne pas pouvoir faire grand-chose : les frais de travaux incombent en théorie au propriétaire.
Commentaires
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j ai lu que Delogu avait obtenu une subvention pour cette cite. Depuis plus de novelles.
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Merci pour cette information. Je comprends maintenant le titre de l’article. Je croyais que le mot indignité avait été improprement employé à la place de vétusté.
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Les agissements du propriétaires, s’ils sont avérés, sont à la fois scandaleux et une succession d’infractions pénales qui méritent des sanctions.
Cependant, on aimerait bien lire, dans Marsactu ou ailleurs, des enquêtes et des reportages sur les locataires qui dégradent les parties communes et privatives des lieux dans lesquels ils habitent, notamment du fait de suroccupation.
Derrière l’indignité des logements, il n’y a pas que les propriétaires.
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C’est ce que je me suis dis l’autre jour en passant sur Salengo ,dans quel état ces nouveaux bâtiments seront t’ils dans 10 ans.
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En parlant d’indignitè ,que dire de cette agression de ce médecin effectuée par ces femmes dans ce centre médical des quartiers nord.
Pas entendu non plus, le député du coin pourtant si disert d’habitude,mais il n’est pas le seul d’ailleurs.
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