Face à l’insalubrité, les locataires des Néréides réclament en justice de vraies réparations
Depuis plusieurs années, les locataires des résidences voisines des Néréides et du Bosquet à Marseille se mobilisent contre des problèmes récurrents d'humidité et de moisissures. Accompagnés de plusieurs associations, ils ont saisi la justice. Leur situation était examinée ce mardi par le tribunal judiciaire.
La cité des Néréîdes au pied des Calanques, devra attendre 2028 pour être réhabilitée. Photo : B.G.
“J’aimerais qu’on comprenne un peu ce qu’implique d’avoir des problèmes de moisissures récurrents chez soi. Quand chez soi devient un terrain hostile. Quand la vie personnelle est happée par les démarches pour demander des travaux. Quand on n’a plus de vie sociale, car on n’ose plus inviter les gens”. En amorce de sa plaidoirie, Antonin Sopena veut frapper les esprits.
Ce mardi, huit locataires des cités HLM voisines des Néréides et du Bosquet (11e arrondissement) assignent en justice leur bailleur social, 13 habitat, pour “trouble de jouissance”. Depuis plusieurs années, ils font face à des problèmes récurrents d’humidité et de moisissures, et ne peuvent donc pas profiter d’un logement décent. Ils ont saisi la justice pour demander des indemnisations, et enjoindre leur bailleur 13 Habitat à mettre leurs logements aux normes.
Cette audience est l’aboutissement d’une longue mobilisation qui débute en 2020. Grâce au dispositif des Tables de quartier, qui accompagne des habitants des quartiers populaires dans leur démarche collective, les locataires se lancent dans une série de procédures pour faire valoir leurs droits. Les actions sont multiples, des plus formelles aux plus symboliques, avec des envois de courriers recommandés à 13 Habitat, ou une exposition photo pour décrire leurs conditions de vie, en 2021, et un rassemblement sur le Vieux-Port en juin 2023. Le contentieux juridique est donc la dernière étape d’un long combat.
Cache-misère
Devant la juge, chacun des huit dossiers est passé en revue, égrenant la litanie trop banale des problèmes du parc HLM marseillais : des bâtiments anciens qui se dégradent, peu ou pas rénovés, rarement dans leur entièreté, ce qui entraîne des problèmes d’humidité . “Mes enfants ont souvent été malades, témoigne Virginie Narjoz. Je crains pour leur santé“.
Aïcha Hattab, présidente d’une association de locataires du Bosquet, et visiblement très émue, évoque l’impact d’un environnement insalubre “sur [sa] vie de famille devenue impossible“. Les habitants évoquent également, non sans amertume, les menus travaux réalisés par 13 Habitat pour “cacher la misère” : peintures refaites, mais aussitôt dégradées par les champignons, aérations changées et bas des portes rabotées pour mieux faire circuler l’air, mais sans effets visibles. Des mesures dénoncées comme cosmétiques et qui ne règlent pas, selon eux, le problème de fond.
Problèmes d’isolation
Car au-delà de ces huit locataires, Antonin Sopena pose une problématique plus globale. Il s’appuie sur plusieurs éléments, comme notamment une enquête de voisinage menée en 2021 dans les deux cités. Selon cette enquête réalisée au porte-à-porte, sur les 695 logements que comportent les deux cités (455 pour les Néréides, 240 pour le Bosquet), 138 logements, soit environ 20 %, subiraient a minima des problèmes d’humidité (71 aux Néréides, 67 au Bosquet). Un des logements du Bosquet a même été frappé d’un arrêté d’insalubrité pour cause d’humidité en mai 2023 (levé depuis en décembre 2023). “Une première pour un bailleur social marseillais“, affirme l’avocat des plaignants.
Leur avocat a également versé au dossier un enregistrement audio de deux représentants du bailleur qui évoque “un problème systémique d’isolation des bâtiments“. Problème : l’enregistrement a été réalisé à l’insu des deux protagonistes. La défense estime qu’il est donc irrecevable, ce que conteste l’avocat des plaignants.
Pas la priorité
Pour la défense du bailleur, Pascale Barton-Smith minimise les problèmes à l’aune de l’étendue du parc de 13 habitat “le plus gros bailleur du département”. “Avec 15 000 logements, nous n’avons pas de solutions immédiates et parfaites pour certains d’entre eux, insiste-t-elle. Dans ces dossiers, il y a une intervention régulière de 13 Habitat, mais c’est un établissement public avec des priorités”. En effet, 13 habitat doit faire face à d’importants travaux de mise à niveau de son parc qui débute par les cités plus mal classées au titre de l’isolation thermique. Les Néréides et le Bosquet ont le tort de n’être classés que “D” au diagnostic de performances énergétiques, quand d’autres logements sont moins bien lotis.
“Néanmoins, ça ne veut pas dire que 13 Habitat ne fait rien”, reprend-elle. Et de pointer des réfections de façades, de toitures, et le remplacement des ventilations de tous les appartements. “Des travaux estimés à plusieurs dizaines de milliers d’euros”, appuie-t-elle. L’avocate dit ne pas croire à ce qu’elle nomme une “pathologie générale”. “On essaye de monter ce dossier en épingle pour demander une réfection globale”, accuse-t-elle. Elle poursuit : “Je ne viens pas dire qu’il n’y a pas de problèmes. Je viens dire qu’il y a des problèmes ponctuels et non globaux”. Elle en veut également pour preuve le faible nombre de dossiers présentés à la justice sur les 700 logements que comptent les deux cités.
“Culturellement, c’est dur pour la plupart des locataires de porter plainte contre celui qui nous loge“, expose M’barka Gasmi pour justifier cette faible mobilisation. Elle qui vit au Bosquet depuis 2017 pointe la lourdeur morale de devoir mener à terme de telles procédures alors qu’elles vivent dans des conditions dégradées.
À la sortie du tribunal, les sentiments sont mitigés. Au soulagement d’avoir passé cette étape de l’audience se mêle l’épuisement, comme le rapportent plusieurs locataires. “Ils vont nous avoir à l’usure”, craignent-ils. Dans un reportage de la chaîne France 2 datant de février de cette année, 13 Habitat disait prévoir une réhabilitation à partir de 2027 pour les Néréides, et en 2032 pour le Bosquet. Aïcha Hattab refuse de baisser les bras et martèle auprès de ses collègues : “on est fortes ! on ne peut pas s’arrêter là !”. Le délibéré est prévu pour le 26 août.
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