Marseille, Venise, la Méditerranée

La mer et les ghettos

Billet de blog
le 4 Avr 2016
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On sait que le mot même, ghetto, vient de Venise. Dans la culture cette ville, il s’agissait d’une des îles qui composent ce que l’on peut appeler l’archipel urbain de Venise, où habitaient les vénitiens de culture juive. Au-delà, ce mot a fini par désigner les lieux dans lesquels vivent des populations qui font l’objet de discriminations, en quelque sorte à la fois séparés et enfermés. À Venise, l’ancien ghetto est accessible par un seul pont, situé à un coin de la place, ce qui fait que toute personne qui y entre ou qui en sort est vue de toutes parts. Cela est une image caractéristique de ce que l’on peut appeler la culture du ghetto.

Mais sans doute faut-il aller au-delà de Venise pour comprendre la signification de la figure du ghetto, et commencer par avoir un regard sur Marseille. En effet, Marseille aussi est une sorte d’espace du ghetto. Les « quartiers Nord » ont montré comment des ghettos s’installaient à Marseille et comment la vie de certains quartiers manifestait une forme de culture du ghetto, à commencer, d’ailleurs, par cette expression même, « quartiers Nord », qui n’est pas un nom mais une simple désignation, comme s’il s’agissait de lieux urbains sans autre identité que leur localisation et sans autre culture que celle de la discrimination. Mais il existe d’autres lieux de Marseille qui sont devenus de véritables ghettos. Tout le monde se souvient, par exemple, de cette photo de la rue du Bon Pasteur dans laquelle les fidèles de la mosquée étaient réunis en pleine rue. Des quartiers entiers de la ville ont progressivement fait l’objet d’une appropriation par des habitants de cultures particulières qui y ont, en quelque sorte, fait l’objet d’une sorte de relégation.

Car ce qui caractérise le ghetto, dans une ville, c’est à la fois la relégation, l’isolement et l’absence de relation avec les autres cultures ou les autres « communautés », comme on dit aujourd’hui, qui y demeurent. Trois faits, à Marseille, sont ainsi à lire pour mieux comprendre la culture du ghetto.

Le premier est la multiplicité des peuples qui habitent la ville, depuis le début de son histoire, y inscrivant une pluralité de cultures et de langues sans qu’il leur soit toujours possible d’échanger et de communiquer entre elles. Ce n’est pas un hasard si le mythe fondateur de Marseille, la rencontre de Protis et de Gyptis, est l’histoire d’un étranger arrivant dans la ville pour s’y fixer et y vivre. Marseille est, ainsi, née de la mer et de l’étranger. Ce qui a fait la richesse de la ville, c’est son port et c’est l’économie de l’échange qui s’y est imposée. Dans le même temps, c’est cette pluralité de langues et de cultures qui a suscité une certaine difficulté à établir de véritables échanges et à aller au-delà du commerce dans le temps court pour rendre possible la construction d’une culture de l’échange et de la diversité.

Le deuxième fait caractéristique de la culture du ghetto est la difficulté de circuler à Marseille et la véritable misère des transports en commun. Quand je vivais à Marseille dans les années 80, le métro s’arrêtait à 21 heures, « sauf les soirs de match », comme le disait fièrement la R.T.M. Aujourd’hui, le métro, certes, circule après 21 heures, même s’il n’y a guère de rames, mais deux lignes de métro sont un réseau insuffisant pour une ville de cette importance, et ni le réseau de tramways, lui aussi réduit, ni le réseau des bus qui ont du mal à circuler, ne peuvent pallier ce manque de moyens de transports en commun. Si je fais état de cette misère des déplacements proposés, c’est, bien sûr, pour la dénoncer, mais, au-delà, c’est pour y voir une trace de la culture du ghetto, car seul un réseau dense et approfondi de transports en commun rend possibles les circulations et les échanges qui permettent d’aller au-delà de la ville des ghettos. Et s’il ne s’est jamais agi d’une priorité de la politique urbaine marseillaise, sans doute est-ce un fait emblématique d’une culture du ghetto.

Enfin, et cela nous permet d’élargir notre point de vue sur le ghetto, sans doute faut-il lire dans cette culture la trace de la mer. D’abord, les historiens de la ville ont toujours écrit que Marseille s’est construite en tournant le dos à la mer. Ensuite, sans doute faut-il voir dans la culture urbaine de la mer une double signification, faite à la fois d’ouverture à l’autre, aux migrations et aux échanges, et de fermeture, d’isolement des communautés d’identités différentes qui se réfugient dans un entre-soi les séparant des autres. C’est pourquoi, dans les mythes et les légendes qui construisent notre imaginaire culturel, la mer est toujours ce qui amène l’autre et les richesses, mais, en même temps, ce qui amène la peste.

Lisons donc la Méditerranée comme ce qu’il importe de remettre au centre de la ville, comme le Lacydon est au cœur du centre, pour mieux penser la culture urbaine de Marseille.

 

Au moment où j’écris ces lignes, j’apprends la mort de Jean-Paul Ferrier, professeur de géographie à l’Université d’Aix-Marseille. Au-delà d’une grande exigence scientifique et d’une immense ouverture intellectuelle, il témoignait d’une attention sensible à l’autre et faisait preuve d’une chaleur humaine qui rendait les relations faciles et approfondies. Ces lignes lui sont dédiées. B. L.

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