Aux armes et caetera
À Marseille, les conseils citoyens tardent à trouver leurs voix
Lancés en juin dernier, les conseils citoyens prennent du temps à se mettre en place. La Ville peine à mobiliser les habitants censés porter la voix des quartiers prioritaires.
En novembre dernier, Radio grenouille enregistrait une émission dédiée aux conseils citoyens, en présence de plusieurs acteurs associatifs.
L’expression a circulé dans les milieux politiques et associatifs marseillais en juin dernier. “Conseils citoyens”, des instances de démocratie participative pour donner la parole aux habitants des quartiers prioritaires sur les questions de rénovation urbaine. Un projet émanant de la loi Lamy concernant la politique de la ville. Près de 8 mois après leur lancement, les conseils citoyens semblent être passés en dessous des radars. Pour se noyer ou pour mieux remonter à la surface ?
“Clairement, c’est encore work in progress“ admet-on au sein du groupement d’intérêt public (GIP) politique de la Ville, qui appuie la mairie dans le suivi du processus. Dernière étape franchie dans leur mise en place fin janvier, le préfet à l’égalité des chances a validé par arrêté la composition des dix conseils prévus à Marseille. “Ça avance bien”, assurait-il alors. Un coup de pouce bienvenu pour l’adjointe en charge de la rénovation urbaine. “Cela marque dans le marbre la démarche entreprise et donne une légitimité à tous ceux qui ont commencé à se réunir” se félicite Arlette Fructus. Courant mars, elle prévoit une cérémonie en mairie pour officialiser … trois conseils citoyens, sur dix.
Heureux élus du hasard
Dans les trois zones concernées du centre-ville (Belle-de-Mai-Saint-Mauront, Canebière-Cours Julien et Panier-Joliette), les conseils sont désormais formés. Mais dans les sept autres, l’accouchement est plus laborieux. Ces futurs lieux de concertation citoyenne ont en effet été constitués par tirage au sort. À terme, chacun devrait compter 32 habitants, divisés en deux collèges : 16 tirés au sort à partir d’une liste de volontaires proposés par des associations et 16 autres tirés au sort à partir des listes électorales. “Il fallait le temps, on ne peut pas parler d’enlisement, se défend le préfet à l’égalité des chances Yves Rousset. Il fallait attendre que ça prenne du sens, les tirages au sort n’ont pas toujours été fructueux”.
Et c’est bien pour attirer ces heureux élus du hasard, que la démarche a pris le plus de temps. “Il n’y a pas eu de facteur bloquant ou qui aurait pu ralentir le processus, mais le tirage au sort demande du temps. Il faut d’abord demander les listes, identifier les habitants des quartiers prioritaires, procéder au tirage sous contrôle d’huissier, écrire aux personnes, laisser un délai de réponse, puis faire des réunions explicatives. Tout cela demande du temps et un énorme effort de pédagogie”, énumère Arlette Fructus. Dans la plupart des conseils citoyens, les membres tirés au sort sur liste électorale sont très rares. Les listes de membres telles qu’elles ont été homologuées par le préfet sont donc amenées à être modifiées au fur et à mesure de nouveaux tirages au sort visant à atteindre le nombre de participants prévus.
Des modalités de sélection inadaptées
Marseille fait partie des rares villes avoir fait le choix de sélectionner le collège des habitants uniquement sur les listes électorales. Une base inadaptée pour les associations qui ont noté dès le début qu’elle ne permettait pas de toucher les personnes étrangères et ceux qui, déjà éloignés de la vie politique, ne votent pas. La Ville explique qu’elle n’avait pas de meilleure base de travail. À Aix, par exemple, la Ville a fait appel à candidature pour la moitié du collège des habitants, lesquels ont ensuite été tirés au sort.
Pour Pauline Dzikowski, du Centre de ressources pour la politique de la ville qui intervient sur l’ensemble de la région, les listes électorales sont surtout une mauvaise porte d’entrée pour atteindre les citoyens : “Ce n’est pas avec une simple lettre ou par les bulletins municipaux que l’on va toucher ces publics. Il faut que tout le monde se mouille, aller chercher les gens sur le terrain.”
Fête des voisins ou foire à l’emploi ?
Les acteurs associatifs, rodés au processus de concertation, ont regardé, amusés, arriver quelques habitants tirés au sort. “À la première réunion, il y avait un participant qui pensait qu’on allait préparer la fête des voisins, un monsieur malentendant qui ne comprenait pas les échanges et un jeune qui pensait qu’on allait lui proposer un emploi, il était venu avec son CV !”, se souvient, goguenard, Pierre Lezeau, représentant du comité Mam’Ega, une association socio-culturelle à la Busserine (14e) qui forme avec d’autres structures une mission d’appui aux conseils citoyens.
Il s’agace du manque d’informations sur leur progression. “La dernière fois qu’on s’est réunis, c’était en mai-juin. J’ai demandé au préfet quand serait la prochaine réunion, je n’ai pas eu de réponse. Nous avons envisagé de saisir le tribunal administratif, mais on nous a demandé d’attendre et d’être patients” déplore-t-il.
Dans le centre-ville, là où la sauce semble avoir mieux pris, les conseils progressent à petits pas. “Nous nous réunissons à peu près une fois par mois désormais, explique Yves Pham Van qui siège dans le conseil du 3e arrondissement en tant que représentant du CIQ. La dernière fois il y avait quinze participants, dont trois avaient été tirés au sort sur listes électorales.” Le groupe a tout de même commencé son travail. Un technicien de la politique de la Ville est toujours présent pour structurer les échanges et fournir les renseignements demandés, bien qu’à terme, il ait vocation à s’effacer. Yves Pham Van explique que le collectif a décidé d’orienter ses travaux selon deux axes “l’emploi et les espaces publics. Pour le moment, cela consiste en un travail de répertorisation des moyens existant dans le quartier.”
“Des trésors d’énergie pour susciter l’intérêt”
Voués à devenir des interfaces entre les pouvoirs publics en charge de la rénovation urbaine et les habitants, les membres des conseils doivent donc être prêts à donner de leur temps. Pour obtenir des fonds de fonctionnement afin de payer des photocopies, leurs déplacements, ou autres, ils doivent d’abord se constituer en association et ouvrir un compte bancaire pour celle-ci. Des contraintes qui demandent un engagement citoyen certain et peuvent en décourager beaucoup.
Mais la mairie espère voir le processus porter ses fruits et aimerait voir s’éloigner la défiance des premiers temps. “On déploie des trésors d’énergie pour susciter l’intérêt, faire comprendre l’importance d’être le porte-parole des habitants au cœur de l’appareil politique, assure Arlette Fructus, et certains sont vraiment intéressés ! Nous voulons toucher le cœur des habitants et pas que ceux qui ont l’habitude d’interagir avec les acteurs publics”.
“On n’a pas fini de rigoler”
Lors d’une émission consacrée aux conseils citoyens en novembre dernier par Radio Grenouille, un jeune chercheur avait fait part de son expérience. Walid Belbachir, tiré au sort à partir des listes électorales s’est investi au sein du conseil citoyen des quartiers prioritaires des 1er et 6e arrondissements. Pour lui, “il y a plein de gens qui ont fait l’effort d’y aller, mais le plus dur, c’est d’y rester. Il y a un manque de structuration, pas de méthode, on essaye de se dépatouiller avec les thématiques que les agents de la Ville nous proposent. Mais il y a un flou juridique. Alors on n’a pas forcément envie de s’investir.”
La question des pouvoirs concrets des conseils citoyens reste en effet en suspens. Simple organe consultatif ou moteur de projets ? S’il y a un cadre national, c’est aux communes de décider l’importance qu’elles accorderont à la voix des conseils citoyens. “Ça bloque déjà sur leur formation, on n’a pas fini de rigoler !, raille Pierre Lezeau. À quoi vont-ils servir ? Quels pouvoir auront-ils ? On va s’amuser !” Arlette Fructus espère voir bientôt les conseils citoyens “se prendre en main” de façon autonome. Pas sûr que cette feuille de route suffise à mobiliser les foules.
Commentaires
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Vouloir croire que l’on peut faire de la démocratie avec le conseil des citoyens alors que dans les entreprises la vie syndicale est de plus en plus difficile (c’est trop facile de faire croire que c’est la faute des syndicats alors que le droit au licenciement est de plus en plus facile et une fois au chômage de plus en plus difficile de trouver du travail), que l’aide aux associations dans ces quartiers baisse….. La participation des personnes ne peut exister que si la démocratie existe réellement dans toute la société.
Une véritable démocratie n’est valable que si on a des informations, le temps (pourquoi pas aller vers les 32 h de travail et non pas 39 h )……
Que cela ne fonctionne pas cela n’est malheureusement pas une surprise, cela fonctionnera avec quelques personnes souvent non représentatives de ces quartiers même si elles ont de la bonne volonté.
Si déjà on arrivait à lutter contre le clientélisme…. et aider les associations qui existent et travaillent dans les quartiers
Laissons le temps d’exister à ces conseils de citoyens et non pas leurs manipulations
Bon courage aux personnes qui vont s’investir
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Par le passé, je me suis posé la question un peu dans les mêmes termes que vous. A l’époque où j’étais ouvrier on travaillait 48 h, samedi matin compris. Il arrivait qu’on bavarde avec les responsables syndicaux et nous convenions que le temps qu’il nous restait allait plutôt vers la famille que dans des réunions politiques. Aujourd’hui ce n’est plus le bagne, c’est les 35 h et la semaine de 4 jours travaillés, de 8 à 10 h par jour. Le temps long pour les cadres, pendant que l’épouse qui travaille aussi le plus souvent, s’occupe des enfants et prépare le repas. Ceux qui font des enquêtes en entreprises savent que le cadre avec lequel ils ont pris rendez-vous à 18 h les gardera parfois jusqu’à 20 h.
Malgré ce temps libéré, notre conscience politique n’a pas beaucoup progressé. Avec en plus une baisse du militantisme syndical. Selon l’INSEE ou Médiamétrie, nous passons en moyenne de 3 à 4 h par jour devant la télé, temps du WE compris. Cela fait-il évoluer notre conscience politique ?
La vie associative s’est beaucoup développée, mais le bénévolat recule devant les permanents subventionnés. L’engagement n’est plus le même, tandis que le pouvoir se fige sur des permanents qui espèrent le rester le plus longtemps possible. La démocratie n’est pas vraiment mise en œuvre.
La démocratie nous demande de comprendre ce que Vauzelle, Estrosi ou Vassal entendent chacun par communiquer (par exemple), plutôt que de prendre prétexte de ce que fait l’un ou l’autre pour le déquiller en fonction de notre orientation politique. C’est accepter qu’Estrosi puisse éventuellement faire mieux sur les questions économiques que Vauzelle. Ou inversement (politiquement parlant), que le projet d’université des métiers de Vauzelle est une excellente chose par rapport à la politique des écoles de Gaudin/Casanova. Même si deux écoles de la 2è chance à Marseille c’est bien aussi. Nos analyses sont le plus souvent trop binaires, superficielles ou idéologiques. Idéologiques parce que nous restons assis sur des concepts, souvent transmis par l’université dans les sciences humaines, qui mériteraient une critique un peu approfondie. La philosophie aiderait, mais on en fait si peu. Et c’est dangereux la philosophie. Le doute n’est pas confortable.
En réalité, nous avons peur de sortir de notre cuirasse de concepts et d’idées toutes faites. Pourquoi ? J’avoue ne pas avoir de réponse.
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Les listes électorales ne sont pas les seules listes possibles. On pouvait se servir des listes de clients d’EDF, voir des listes du dernier recensement, ou encore faire un mixte de ces trois sources. C’est techniquement possible et cela aurait permis de n’exclure personne.
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La problématique des pouvoirs concrets est essentielle, si les élus se contentent de prendre note (ou pas) du travail des conseils on ne va pas aller bien loin, connaissant les modes de fonctionnement de l’équipe Gaudin. Ou alors retomber dans la pantalonnade des CIQ.
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oui, le problème est vaste mais il se situe là en partie.
Quels sont les pouvoirs de ces conseils? on parle de “flou juridique” c’est pas super pour la motivation. Les citoyens s’investiront davantage si ils n’ont pas à subir les pressions en tout genre, et le clientélisme qui président aux activités Ciq. Donc : si ça sert réellement à qqch….or la “voix des habitants” une fois passée au filtre de l’équipe Gaudin, ils peuvent toujours hurler !
Serait-ce un gadget supplémentaire ? ou des Ciq Bis ?
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