LES RÉSEAUX ET LA CONFLUENCE
Pour comprendre une ville, il est nécessaire de réfléchir à ce que l’on appelle son plan, la signification du réseau de ses rues, de l’enchevêtrement des parcours et des rencontres des voies qui sont les chemins de son histoire.
Les réseaux des rues de Marseille
En fait, bien sûr, comme dans toutes les grandes villes, les rues de Marseille s’inscrivent dans plusieurs réseaux qui se sont articulés les uns aux autres au cours de son histoire. Le premier de ces réseaux est celui de la fondation. C’est le réseau des voies qui, venu du Lacydon, irrigue la rive Nord. Ce sont les rues qui parcourent le quartier de l’Hôtel de ville, celui de l’église Saint-Laurent, celui de la Major et celui de la Vieille Charité. Il s’agit de petites rues étroites, qui se nouent les unes aux autres en dessinant un réseau complexe dans lequel il est facile de se perdre. Ce premier réseau est celui d’une ville de voisinages, d’échanges, dans lequel les rues sont habitées et parcourues par des femmes et des hommes qui cherchent dans la ville des réseaux de protection et de solidarité. La vieille histoire du dialogue difficile entre la ville et la mer, puisque n’oublions tout de même pas que c’est de la mer que viennent ceux qui ont fondé Marseille en lui donnant le nom de la ville d’où ils venaient, Phocée, inaugurant un autre réseau, celui de Marseille et de la Méditerranée. Le second réseau est plus moderne : c’est celui du Panier, de la Canebière et de la rive Sud du Vieux Port. C’est un réseau de voies plus larges, plus ouvertes à la circulation des moyens de transport. Ce réseau fait de la ville un véritable monde dans lequel on circule pour découvrir les autres, pour échanger et pour mener les activités de la culture urbaine : le commerce, la politique, la justice, l’éducation, le jeu. Le centre de ce second réseau est le carrefour de la Canebière et des « cours », la cours Belsunce et le cours Saint-Louis. Ce réseau est davantage un réseau de flux et de croisements qu’un réseau de nœuds comme le premier. On peut, d’ailleurs y adjoindre la rocade du Jarret qui a remplacé le cours d’eau qui portait ce nom. Le troisième réseau, celui de la Joliette, celui du Camas et de la Plaine, celui de la Préfecture et celui du quartier d’Endoume, est le réseau qui inaugure l’époque contemporaine de Marseille, son âge de la modernité. C’est un réseau de petites rues conservées, articulées à de grandes artères, toutes droites et à angles droit, plutôt que de petites veines. Les petites rues y sont les affluents de ces fleuves urbains nouveaux qui organisent des parcours urbains de grandes distances. C’est le moment où naissent deux réseaux particuliers, reliés à la ville par des circulations et des activités professionnels, mais qui se tiennent un peu en-dehors, comme des petites villes voisines, celui de l’Estaque au Nord et celui des Goudes au Sud. Au-delà, les rues ne forment plus véritablement des réseaux. Il s’agit des quartiers des périphéries, ceux des quartiers d’habitation, de grands immeubles qui ont poussé là un peu en désordre et qui constituent plus des îlots que des centres urbains. Reliés à la ville et entre eux par des voies qui sont davantage des routes, voire des autoroutes, que des rues, ces quartiers sont des quartiers d’habitation et de centres commerciaux, qui se sont développés au fur et à mesure de la croissance de Marseille, en particulier après les années soixante. Il ne s’agit plus de réseaux à proprement parler mais de connexions fonctionnelles.
Les réseaux et la confluence
C’est la confluence, la rencontre, entre ces réseaux qui fonde le fait urbain, permettant à Marseille de devenir une ville. La première confluence est le parcours de ces rues par un premier réseau institutionnel, celui des transports en commun. C’est lui qui va inscrire le projet politique de la ville dans le réseau des rues, en faisant des réseaux urbains des systèmes politiques, des institutions. Cette confluence entre les réseaux va être renforcée par le réseau souterrain du métro et par les réseaux des voies du tramway, qui naît au XIXème siècle, comme dans toutes les grandes villes, mais qui va s’endormir, être abandonné, au temps de la croissance illusoire de la voiture particulière, pour ne plus laisser que la ligne Noailles-les Caillols. Il va redevenir un réseau de nos jours avec l’ouverture des deux lignes contemporaines, la ligne Arenc-Blancarde et la ligne Arenc-Castellane. À ces réseaux en quelque sorte internes de la ville, il faut ajouter les réseaux qui la relient aux banlieues, qui sont des réseaux de routes et des réseaux de chemins de fer, qui n’ont pas de confluence entre eux, mais entre eux et les réseaux du centre. L’organisation des réseaux des rues, de transports en commun, et de leur confluence est véritablement l’expression d’un projet politique, car ce sont ces réseaux qui dessinent le projet urbain porté par les pouvoirs, à la fois par les choix de leurs priorités et par les quartiers laissés à l’écart. Mais il importe de ne pas oublier plusieurs autres réseaux urbains essentiels, qui ne se voient pas, mais dont les flux irriguent la ville depuis le début. Sans doute même ces réseaux-là sont-ils encore plus fondateur du fait urbains que le réseau des rues et celui des déplacements. Il s’agit du réseau de l’eau, de celui des égouts et des flux de déjection, de celui de l’énergie, auxquels il convient d’ajouter le flux des poubelles. C’est ainsi que la ville naît, puis vit, au cours de l’activité de ces différents réseaux. Et puis il y a les impasses, ces limites des réseaux qui en forment la fin et qui manifestent les impossibilités de la relation. Peut-être pourrait-on parler de « défluence ». Les impasses, ce sont les endroits abandonnés par la ville, qui font à peine partie d’elle, qui ne sont pas reliés aux réseaux. Il s’agit des espaces de fin de ville, qui vivent dans une sorte d’autarcie, dans lesquels la ville n’est plus la ville. Dans ces quartiers, comme, au Sud, Luminy ou les Baumettes, ou, au Nord, comme la Rose, on a quitté Marseille, en suivant, par exemple, le canal de Marseille ou la route de Cassis, on se trouve dans un « entre-deux », dans des lieux qui sont entre Marseille et les espaces ruraux ou pavillonnaires absents de la culture urbaine proprement dite. Ces quartiers ont été aménagés en-dehors de la confluence des réseaux, et c’est justement leur séparation qui permet de mieux comprendre en quoi consistent les réseaux urbains et leur confluence.
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