Au 87, boulevard Viala, l’héritage indigne de Gérard Gallas
La petite cité ouvrière a été un temps la propriété de Gérard Gallas, marchand de sommeil récemment jugé à Marseille. Il l'a vendue juste avant d'entrer dans la tourmente judiciaire. Coincés dans un habitat indigne, les locataires subissent la lenteur du retour à la normale.
Au 87, boulevard Viala, l’héritage indigne de Gérard Gallas
Dans la cour étroite du 87, boulevard Viala, Mohamed Hassad, patiente, assis sur une chaise. L’octogénaire hèle les gens qui passent à sa portée, voisin ou ouvrier, dans un français plus qu’hésitant. Il habite dans cette vieille cité ouvrière depuis près de 40 ans. Il a bien connu Gérard Gallas, propriétaire de cet immeuble de 2017 à 2020 et jugé la semaine dernière pour soumission de personnes vulnérables à des conditions d’hébergement indignes. “Il n’a jamais rien fait pour moi“, lâche Mohamed Hassad, en faisant un geste dédaigneux.
Le vieil homme ne comptait pas parmi les victimes, parties civiles qui ont défilé à la barre du tribunal correctionnel, il y a quelques jours. Le 87, boulevard Viala a été exclu de l’enquête préliminaire dès les premiers mois de 2021, pour se concentrer sur l’immeuble jumeau du 85 et d’autres taudis. Gérard Gallas avait réussi à s’en débarrasser pour près de 600 000 euros en le revendant à deux jeunes investisseurs, en décembre 2020, soit quelques semaines avant de se retrouver au centre de l’attention judiciaire.
“La nuit, je sens des bêtes courir sur moi”
Mohamed Hassad ne connaît pas le nom des nouveaux propriétaires parisiens, mais avec ses mots brinquebalants, il dit sa détresse. Il ne supporte plus le minuscule espace où ces derniers l’ont placé, en attendant la rénovation de son logis. “Il y a plein de bêtes, des cafards. Je les sens courir sur moi toute la nuit. Ma femme est partie vivre chez ma fille. Je suis tout seul. Je suis handicapé. Il faut me sortir de là“, explique-t-il, tant bien que mal.
La chambre du rez-de-chaussée où il a pris place ressemble à un réduit. Fait-elle les neuf mètres carrés minimaux imposés par la réglementation, une fois retranchées la petite cuisine qui sert d’entrée et les sanitaires, en fond de pièce ? Un des ouvriers qui s’affairent sur le chantier d’une chambre voisine mesure de ses pas la taille de la pièce à vivre : “Un, deux, trois. Cela fait six mètres carrés“, là où les propriétaires en comptent près du double. L’ouvrier sort précipitamment après avoir avisé des traces noires et grouillantes à l’aplomb des plinthes. “Il y a des punaises, je ne reste pas là“.
L’appartement plus grand qui jouxte l’ancien appartement de Mohamed Hassad est en cours de rénovation mais le vieil homme veut réintégrer celui où il a vécu tant d’années. Au milieu de l’étroite courée, des sacs de chantier témoignent de la volonté de rénovation des deux jeunes propriétaires parisiens qui disent “vivre un cauchemar” depuis qu’ils ont acquis ce bien auprès de Gérard Gallas. Ils contestent les conditions de vente devant les tribunaux. Prisonniers de ces logements, leurs locataires en subissent encore l’indignité : infiltrations d’eau, moisissures, nuisibles en tous genres et étroitesses des lieux.
Comme au 85 voisin, au 87, beaucoup de chambres n’ont comme seul accès à la lumière naturelle, la porte-fenêtre. À l’étage, une maman nous ouvre son appartement. On peut à peine y circuler. Entre un frigo, une armoire, un grand lit et autre de bébé, on avance en crabe, à petits pas. Vivent là quatre personnes, dont un nouveau-né de deux mois et sa grande sœur de deux ans. “Elle a de l’asthme“, constate madame Assoumani, maman d’origine comorienne.
La faute à l’humidité qui marque les murs de ce logement que Gérard Gallas était censé avoir “refait à neuf” avant la vente en 2020. Cela fait trois ans que le couple se plaint d’infiltrations. Visibles au-dessus du lit et le long du mur, elles faisaient partie des nombreuses malfaçons que le couple d’acheteurs a constatées, quelques semaines après la signature de l’acte. Ils s’en sont plaints auprès de l’ancien propriétaire. Sans résultat.
Trois ans plus tard, rien n’a changé, ou presque pour les Assoumani. “Les propriétaires nous ont proposé un appartement où la chambre est au-dessus mais la mezzanine n’était pas sécurisée, explique la maman. Ils doivent faire les travaux.” Là encore, les neuf mètres carrés réglementaires ne semblent pas au rendez-vous. “Nous leur avons fait la proposition d’intégrer un appartement plus grand, dès que les travaux seront finis“, corrigent les propriétaires auprès de Marsactu, sans que nous puissions le vérifier. Les locataires trouvent le temps long comme ce monsieur qui ouvre volontiers son T1 au rez-de-chaussée. Les cafards se carapatent à notre approche. Là aussi, la plupart des murs ont des traces de moisissures. Le locataire, lui, dit être à jour de son loyer dont une partie est directement payée par la caisse d’allocations familiales.
Procédures d’insalubrité sur trois appartements
Embarrassés, les deux propriétaires disent tout faire pour accélérer le relogement. Le service d’hygiène de la Ville a visité les lieux il y a tout juste un an en les enjoignant de mettre fin aux désordres, via une mise en demeure. “Nous sommes en discussion constante avec les services de la Ville pour y parvenir le plus tôt possible“, assurent les deux associés de la SCI Eagle Co, qui souhaitent conserver l’anonymat dans le climat de menace qu’ils disent avoir subi. Trois logements font l’objet d’une procédure d’insalubrité de la part de la Ville qui prend acte des travaux entrepris sur les autres. La mairie dit suivre “activement” leur avancée.
En 2020, les deux jeunes gens ont débarqué à la Cabucelle à l’occasion d’une “chasse immobilière d’immeubles de rapport” pour laquelle ils avaient mandaté la société Cash flow positif, spécialisée dans les investissements de haut rendement. Cette société les met en lien avec Gérard Gallas, par l’entremise d’une agence immobilière du cru. La vente finit par se conclure, fin 2020. Mais l’immeuble aux normes, peuplé de locataires à jour de leur loyer, s’avère un mirage.
Très vite, les deux jeunes hommes s’aperçoivent que 9 appartements sur 20 sont squattés. Les locataires ne sont pas ceux qui sont inscrits sur les baux et de nombreuses anomalies se font jour. Dès janvier 2021, ils mandatent une avocate pour faire reconnaître les vices cachés. “Mais les tribunaux sont très encombrés et cette procédure est toujours en cours“, assure leur conseil Inès Grison.
En attendant que justice passe, la cité ouvrière s’est engluée dans les délais sans fin des expulsions de squatteurs d’une part, et des travaux jamais finis de l’autre. Les premiers sont partis en décembre 2022, les seconds se poursuivent, au fil des aléas du plan de financement. Les deux associés sollicitent les subventions de l’agence nationale de l’amélioration de l’habitat (ANAH) pour les aider à rénover, tout en assurant un loyer social, durant dix ans. “Ils nous demandent de ne pas commencer les travaux avant d’avoir l’assurance que le dossier est accepté“, arguent-ils.
La question des neuf mètres carrés
L’autre explication du rallongement des délais de travaux tient à la taille des appartements rénovés. Plusieurs des logis que nous avons visités ne font pas les 9 mètres carrés requis. “C’est pour cette raison que nous avons choisi de ne pas remettre en location les appartements 1 et 2, expliquent les propriétaires. Même s’ils ont été remis à neuf, la dimension ne nous semble pas bonne. Nous avons pris la décision de les fusionner“.
Mais cette étroitesse des locaux est également perceptible dans quatre autres chambres que nous avons pu visiter. “À notre connaissance, tous les logements respectent la réglementation sur ce point“, finit par couper l’avocate des deux propriétaires. Cette question a jalonné les trois jours de procès de Gérard Gallas.
Lui s’était fait une spécialité de la division d’appartements, pour augmenter le rendement de ses placements. Il disait tout ignorer de la nécessité de soustraire la cuisine et les sanitaires des neuf mètres carrés prévus par la loi. Le règlement sanitaire départemental des Bouches-du-Rhône est particulièrement ambigu sur ce point. L’abandon des poursuites à l’encontre des propriétaires de la rue Mireille en est un exemple flagrant. L’enquête préliminaire ouverte contre les propriétaires après les révélations de Marsactu a fini par être classée. “Nous ne sommes pas millionnaires et nous avons déjà perdu beaucoup d’argent, soupirent de conserve les deux associés. Nous, ce qu’on veut, c’est enfin dormir tranquille. Et cela passe par le relogement de nos locataires.” Cela fait près de trois ans que certains attendent.
Commentaires
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Bonjour Marsactu. Depuis bientôt 48 h, votre site est perturbé par l’affichage permanent d’une partie d’un formulaire qui encombre verticalement le quart de l’écran d’un smartphone.
Cette anomalie rend très pénible la lecture des articles et des commentaires. Suis-je le seul à la constater ?
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je subis le même désagrément. depuis hier matin sur un ordi et sur mon talaphone.
par ailleurs la fenêtre “répondre” ne fonctionne pas.
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Ouf ! Même constat, même difficulté… Je pensais ma tablette en fin de vie !
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C’est mon cas également, et les photos de cet article apparaissent en taille démesurée…
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Mais qui n’a pas ses p’tites misères!
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Gallas ! Ton univers impitoya-able
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tout est rentré dans l’ordre ! merci marsactu.
au sujet de cet article, j’ai un peu du mal à croire que ces gens là, les marchand de sommeil, soient simplement jugés en correctionnel.
gallas n’est qu’un parmi d’autres.
comment ont ils pu supposer que des gens, des enfants, vivent dans des conditions sereine et sécures en proposant de tels appartements.
finalement ils ne risquent pas gra
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suite…. donc, ils ne risquent pas grand chose dans cette procédure, ils ont gagné du fric pendant des années.
je les collerais au pénal.
ps : “réponse” ne répond pas !!
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Le tribunal correctionnel est une juridiction pénale.
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Bonjour à toutes et tous,
Nous connaissons effectivement des désagréments techniques indépendants de notre volonté. Cela va se résoudre automatiquement assez rapidement mais pour forcer la résolution, vous pouvez suivre cette procédure : https://marsactu.fr/agora/a-propos-des-soucis-daffichage-sur-le-site/
Nous sommes désolés pour cela et vous remercions pour votre compréhension !
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Il n’existe pas de SCI “Eagle Co”. Seule apparait une SASU “Eagle Co-invest”, holding immatriculée le 27 septembre de cette année.
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oui, c’est vrai, patafanari, mais je pensais à une cours d’assises.
ça me semble mériter des peines plus importantes, pour moi l’habitat indigne s’apparente à un crime.
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Concernant les soucis technique du site de Marsactu :
– pour info, la suite de touches Ctrl puis F5 vide le cache du navigateur également.
– après cette manip, le bandeau vertical parasite a bien disparu. Mais le bouton “répondre” dans les commentaires ne marche pas correctement. (il ouvre un nouveau commentaire, pas une réponse).
Autre info : vous pouvez essayer d’autres navigateurs si vous avez des soucis. (Chrome marche mieux en général).
Du moins c’est ce que j’observe chez moi.
Bon courage à l’équipe technique.
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Bonjour @leloup, la SCI Eagle co existe. On peut la trouver sur les sites d’annonces légales. Elle est domiciliée à Versailles
. Je vous laisse chercher.
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