Gérard Gallas, marchand de sommeil “illuminé” à la machine à cash mal huilée
Pendant quatre jours, le tribunal correctionnel de Marseille juge Gérard Gallas, marchand de sommeil présumé, qui revendiquait une centaine d'appartements. Sûr de lui, cet ancien policier versé dans l'occulte plaide la bonne foi jusqu'à l'absurde.
Gérard Gallas face au tribunal. Dessin : Ben8
Veste ajustée, petit sourire satisfait, léger strabisme et brosse grise, Gérard Gallas prend place au fond de la grande salle du tribunal correctionnel de la Belle-de-Mai où se tiennent les procès fleuve de la juridiction. Pour quelques minutes, il est assis sur le même banc que certaines parties civiles, des militants de l’association Un centre-ville pour tous et du réseau Hospitalité. D’autres protagonistes s’assoient juste derrière lui. Il est désormais entouré d’une partie de ses victimes. Ceux-là mêmes qui lui ont permis de mener grand train pendant plusieurs années.
L’image de marchand de sommeil, détaillée par la presse, de ce propriétaire d’une “centaine” de taudis, ne semble pas le gêner outre mesure. Le cinquantenaire a réponse à tout, en boucle, jusqu’à l’absurde. Ce passionné de religions “et de développement personnel“, consacré évêque d’une obscure église du rite vieux-catholique, se voit comme “une lumière du monde” un modèle inspirant. Lors de la perquisition de sa somptueuse villa les pieds dans l’eau de Carry-le-Rouet, les policiers ont mis la main sur les brouillons de ses projets de livres : un fatras incroyable d’ésotérisme œcuménique à base de formules toutes faites – du genre “viser la lune, vous aurez les nuages“. Il voit sa “réussite” dans l’immobilier, comme un modèle qui influence la marche du monde, “un but dans [sa] vie“.
“Mère Teresa” en modèle
“Un peu comme mère Teresa“, ose-t-il, dans un brouhaha sarcastique. Pour ce premier jour d’un procès de quatre jours, le tribunal correctionnel passe au crible le fonctionnement de cet ancien fonctionnaire de police qui n’a jamais dépassé le rang de gardien de la paix, malgré ses bonnes notes en sortie d’école et sa volonté d’intégrer les groupes d’élite de son corps de métier. Il restera un bleu de base, surveillant du centre de rétention du Canet, de nuit.
Son hubris, son orgueil démesuré, passe ailleurs. Depuis le début des années 2000, il se voit comme “un investisseur à succès” qui a créé sa première SCI GGG, embryon d’une machine “à cash flow” qui, selon lui, se grippe à partir de 2018 et se transforme en “cauchemar”.
Diviser pour mieux gagner
Sur le papier, la recette est simple : acheter, diviser, louer et encaisser. À partir de 2017, il se met à acheter à plus grande échelle, “surtout dans les quartiers Nord“, explique-t-il au président Pascal Gand. “Pourquoi ?”, interroge, ce dernier. “C’est la loi de l’offre et de la demande, répond le prévenu. Dans ces quartiers, il y a une forte rentabilité de 10, voire 14 %. On dégage rapidement du cash flow. Cela rassure les banques et on peut réinvestir assez vite“.
Cette recette, il l’a couchée dans son ébauche de livre best-seller, où il se projette entrepreneur à succès, “revendiquant cinq millions d’euros” par mois. Une manière pour lui “d’être un pilier de lumière et de changer la face du monde“. Il parle avec sérieux, même quand il se sait moqué par le public. “Mère Teresa ou l’abbé Pierre“, cités en modèles, on comprend que cela passe mal, chez cet homme qui ne parvient pas, en ce premier jour d’audience, à se défaire de son costume finalement bien ajusté de marchand de sommeil.
Défense en mode guerilla
Ses conseils, Frédéric Sanchez, Dominique Mattei, multiplient les escarmouches, en commençant par celle qui leur servira de fil rouge et nécessite une suspension d’audience dès l’ouverture. Faissoili Aliani, décrit par l’ensemble des locataires comme l’homme de main et gestionnaire de la centaine d’appartements de Gérard Gallas, ne s’est pas présenté à l’audience. Il n’était pas présent lors de l’audience précédente, dite de mise en conformité, en mars dernier. Il n’était même pas représenté. Or, estime Dominique Mattei, il est coprévenu dans l’affaire, pour les mêmes chefs de “mise en danger de la vie d’autrui” et “soumission de personnes vulnérables à des conditions d’hébergement contraires à la dignité”. “Comment, en son absence, assurer à monsieur Gallas un procès équitable ?, s’inquiète l’avocat. Je vais être trivial : j’avais mille questions à poser monsieur Aliani et on ne l’a pas cherché si ce n’est par la voie d’un huissier”.
Le procureur Guillaume Bricier se retranche derrière son dossier qui contient plusieurs auditions et une confrontation des deux hommes, menée dans le cadre d’une enquête préliminaire. Pour rechercher Aliani, il aurait fallu en ouvrir une nouvelle…
L’homme de main de Gérard Gallas ne s’est pas présenté au procès. L’ancien policier ne se prive pas de pointer sa responsabilité.
Patatras, durant l’après-midi, un locataire dira l’avoir vu au volant d’une BMW, boulevard de Plombières… “Vous voyez“, s’emporte Mattéi à l’intention du procureur. Ils font feu de tous bois, s’appuyant sur le ton combattif de Gérard Gallas lui-même dont la défense toute entière tient à charger son chargé de gestion locative qu’il payait en factures de travaux. L’homme avait tous les tampons de ces SCI et même un en son nom propre, une machine à carte bleue pour encaisser directement les loyers, mais aucun contrat, ni mandat.
En réalité, cet homme de main si indélicat, il l’a fait entrer dans son système en achetant le 179, boulevard Salengro, où il était locataire. L’immeuble a été la matrice de la machine à “cash flow” qui a finalement déraillé. Son ex-propriétaire y avait déjà divisé en cinq les cinq appartements. “Là où vous avez un appartement qui vous rapporte 600 euros de loyer, vous en faites deux à 400 euros“, détaille Gallas.
Les appartements frigos
Il a appliqué la méthode boulevard de la Martine, “sur un mode colocation” et dans la cité ouvrière des 85 et 87, boulevard Viala où les 16 appartements initiaux sont passés à 21. “Les appartements du dessus n’avaient qu’une porte vitrée en guise de fenêtre, explique Mmadi Adam un ancien locataire à la barre, en comorien. On aurait dit des frigos. Une fois que la porte était fermée, il n’y avait plus de lumière“. Mais Gérard Gallas assure “respecter la réglementation”. “Je ne loue pas de pièces noires, une porte-fenêtre est une fenêtre. Les services de la ville me l’ont confirmé”, s’insurge-t-il. Tant pis, si les photos diffusées à l’audience montrent un taudis contraire à toute décence.
Avec ses avocats, il préfère instiller le doute sur le ou la signataire du bail, se réfugier derrière un état des lieux qui certifie un “état neuf après rénovation totale” et pointer “la suroccupation des locaux“. Et quand les témoignages se recoupent et l’acculent, il finit par céder d’un “c’est inadmissible. Je suis le propriétaire, donc je suis responsable, même si ce n’était pas moi le gestionnaire.” En fin de première journée, Mmadi Adam interroge, toujours en shikomori : “En France, la loi autorise à louer un appartement sans porte, ni compteur électrique ?” Personne, pour l’heure, ne lui a répondu.
Commentaires
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Je pense que nous avons un gros problème en France avec la détection et l’accompagnement des pathologies psychiatriques
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La folie des grandeurs n’est pas à proprement parler une pathologie psy, en revanche c’est souvent une catastrophe sociale. Or on célèbre partout les gens qui se font un max de pognon en un minimum de temps.
En 1835 déjà, dans Le Père Goriot, Balzac écrivait : “Le secret des grandes fortunes sans cause apparente est un crime oublié, parce qu’il a été proprement fait.”
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