Rats, cafards, dégâts des eaux, les internes de la Timone vivent dans l’insalubrité
Ouvert en 1974, le plus grand internat de France mériterait un sérieux chantier de rénovation. Les désordres s’enchaînent dans ce bâtiment qui accueille une centaine de futurs médecins. Si l’AP-HM se dit conscient de la vétusté du bâtiment, sa rénovation ne sera pas lancée avant plusieurs années.
Depuis des fortes pluies d'août, le réfectoire dont le toit menace de s'effondrer est inaccessible. (Photo : AC)
Sur le site du syndicat des internes de Marseille, le SAIHM, aucune photo de l’internat de la Timone. Seule une formule pour convaincre les étudiants de rejoindre la résidence de 150 places : “Derrière sa conception un peu désuète, et son look rétro, on trouve tout de même un internat vivant.” Vivant… et même grouillant d’espèces en tout genre. La fresque peinte dans l’entrée du bâtiment par les internes eux-mêmes annonce la couleur. Rats, cafards et punaises de lit ont été dessinés parmi quelques références aux bords de mer et à la médecine.
Le 1ᵉʳ novembre, comme tous les six mois, de nouveaux internes en médecine vont arriver à la Timone, et possiblement prendre un logement de fonction mis à disposition par l’hôpital dans cet immeuble de neuf étages situé à l’arrière du site. Ils découvriront des lieux dans un état tout sauf digne.
“Quelques cafards, mais pas de rats (contrairement aux légendes urbaines)”, indique encore le site du syndicat sur le ton de la blague. En réalité, les rongeurs sont bien là. Et ne se cantonnent plus aux trois grandes bennes au pied du bâtiment mais s’introduisent désormais dans la salle où les internes se font livrer la nourriture de l’hôpital. “Le personnel qui nous apporte la nourriture ne la met pas systématiquement dans les frigos”, explique Doréa Bouyahia, membre du bureau du SAIHM.
“Si des fruits ou du pain sont posés sur la table, les rats viennent se fournir dans les sacs”, ajoute la jeune femme. Pour chasser les rongeurs, les internes ne peuvent pas compter sur la vieille chatte qu’ils surnomment Seroplex, du nom d’un antidépresseur. La mascotte de l’internat à d’autres priorités : dormir et manger.
Selon les résidents, les infestations par divers nuisibles sont fréquentes en raison de la proximité et des aller-retours avec l’hôpital de la Timone, lui-même régulièrement touché. Pour Marina Dabo, responsable de l’internat : “On a eu beaucoup d’interventions pour les punaises de lit parce que le problème c’est qu’on s’infecte dans les chambres de garde de l’hôpital et ensuite, on les ramène ici. Mais là, à l’internat, on n’a plus de punaises de lit donc c’est chouette.” Le problème des cafards n’est lui pas totalement réglé, malgré les différentes interventions dont la dernière en date est en cours cette semaine.
“À la limite du respect”
Le bâtiment a été inauguré il y a presque cinquante ans et toute la tuyauterie date de l’époque. Plusieurs internes nous disent avoir subi des inondations chez eux cet été ce qui a occasionné la coupure d’eau chaude de 18 chambres pendant plusieurs jours. Le bâtiment est aussi très mal isolé. “C’est du mono-vitrage donc quand il y a du mistral, le vent est dans ma chambre et quand il fait chaud dehors, la température double chez moi”, déplore une interne qui préfère rester anonyme. La jeune femme profite de la venue d’amis pour dormir à l’hôtel avec eux aussi souvent qu’elle le peut.
Après plusieurs années à l’internat, Doréa Bouyahia quitte les lieux le 1ᵉʳ novembre : “Certaines choses sont à la limite du respect pour les internes. On s’y habitue et on s’en contente mais ce n’est pas normal. Les gens qui viennent de l’extérieur nous disent : « mais vous vivez là-dedans ?»“
Au bout du couloir du rez-de-chaussée, un ancien réfectoire est complètement inaccessible depuis des pluies de la mi-août qui ont fait céder un poteau. La toiture menace de s’effondrer et des fuites dans le plafond occasionnent de grandes flaques dès qu’il pleut. Six IPN, des poutres temporaires de substitution, ont été posés dans l’attente de futurs travaux. Les travaux de soutènement et d’étanchéité devraient commencer dans quelques jours et se terminer d’ici à la fin du mois de novembre.
Sauf que ce grand hall donne accès au potager, à la piscine et aux anciennes cuisines au sous-sol, espace dédié aux soirées. Depuis plusieurs semaines, les internes n’ont donc plus aucun lieu pour se rassembler, entachant la réputation conviviale et festive du lieu. Sans parler de la piscine, qui fait rêver tous les internats de France, et dont n’ont pas pu profiter les étudiants durant la fin de l’été.
Mais l’état des locaux entraîne aussi des soucis de sécurité, principalement à cause de vieilles fenêtres qui ne ferment pas toujours. Selon nos informations, sept cambriolages ont été décomptés depuis juin malgré les trois caméras de surveillance. Sachant qu’une seule caméra est fonctionnelle et qu’“il est difficile de reconnaître quelqu’un sur les images” selon Doréa Bouyahia qui s’est fait voler du matériel informatique dans sa chambre et qui aurait été bien contente d’avoir des images exploitables. Malgré une apparence de forteresse avec des fils barbelés qui entourent la porte d’entrée du bâtiment ainsi qu’un code à entrer, l’inquiétude est largement partagée.
Pour loger ici, les internes sont prélevés d’environ 100 euros sur leurs salaires de l’AP-HM.
Seul point positif, le prix. Les internes paient moins d’une centaine d’euros, somme directement prélevée sur leurs salaires. Difficile dans ces conditions d’être trop exigeant vis-à-vis de l’institution, qui est à la fois employeur et propriétaire. 20 000 euros par semestre sont reversés au syndicat des internes pour l’entretien et l’animation du bâtiment au quotidien. Une charge qu’assument bénévolement ses membres, en plus de leurs lourds horaires à l’hôpital. Le SAIHM a deux pôles de dépenses principaux, selon la trésorière, “les rénovations et les soirées”.
Pas encore de calendrier pour des travaux
Geneviève Grisende, l’intendante, a vu toute l’évolution du bâtiment depuis les années 1970. Bien que très attachée aux lieux dans lesquels elle a effectué toute sa carrière professionnelle, elle en reconnaît la vétusté : “C’est pas neuf, c’est un bâtiment qui a vécu. J’ai connu le toit du neuvième, quand il pleuvait, il y avait de l’eau qui rentrait.”
C’est le seul un étage qui a été rénové, à l’automne 2022. Le neuvième, réservé aux internes internationaux fait désormais office de vitrine de l’internat, avec des couloirs blancs immaculés qui ne s’effritent pas et un faux plafond sans aucun trou. Directeur de l’hôpital de la Timone, Adrien Baron confirme que l’état des lieux était auparavant “choquant” et indigne de l’accueil de médecins étrangers.
Au sein de la direction de l’AP-HM, personne ne nie l’insalubrité des lieux. Adrien Baron, arrivé à ce poste en juillet, dit vouloir améliorer la situation : “On partage le constat que les internes ne sont pas aussi bien logés qu’on le voudrait. Et historiquement, cet internat n’a pas été très bien entretenu. Jusqu’à présent, on ne se posait pas trop les questions d’attractivité pour les médecins. Maintenant pour les fidéliser, il faut tout donner et donc il faut aussi qu’on soit attractifs.”
La rénovation de l’internat n’est pourtant pas prévue dans l’enveloppe du projet “AP-HM CAP sur 2030” mais dans un projet distinct lancé l’an dernier. En déficit, l’hôpital a lancé il y a un an une recherche de mécènes pour financer ce chantier à plusieurs millions d’euros. Avec pour horizon un bâtiment entièrement rénové “entre 2027 et 2030″. L’insalubrité a donc encore de beaux jours devant elle. Quant à Marina Dabo, elle passe le relais de la responsabilité de l’internat en espérant que “les prochains internes seront mieux logés”.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
Commentaires
0 commentaire(s)
L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.