La justice enquête sur six millions d’euros envolés des caisses de la clinique Bonneveine
Après une plainte émanant des personnels, le parquet national financier a ouvert une enquête sur la disparition de plus de 6 millions d’euros des caisses de la clinique marseillaise. Celle-ci avait été reprise en 2012 par le groupe Avec. Le PDG de ce groupe a déjà été mis en examen, à Grenoble, en janvier dernier pour "détournement de fonds publics" et "prise illégale d’intérêts".
La clinique Bonneveine, dans le 8e arrondissement. (Photo : JML)
Où sont passés les fonds versés à la clinique Bonneveine pendant la crise Covid ? La question est au centre d’une plainte déposée par des personnels de l’établissement, géré depuis 2012 par le groupe Avec (ex-Doctegestio). Ce dernier est soupçonné d’avoir fait sortir plus de 6 millions d’euros des caisses de sa clinique marseillaise ces dernières années. Une somme qui constituerait ainsi près d’un quart du chiffre d’affaires de cet établissement d’une centaine de lits, employant plus de 200 personnes.
Selon les informations de Marsactu, une enquête préliminaire a été ouverte par la justice pour “prise illégale d’intérêts par un chargé de mission de service public” et “détournement de fonds publics”. À Grenoble, le groupe est déjà visé par une enquête pour des chefs similaires, qui a abouti à la mise en examen de son PDG. Malgré une plainte initialement déposée à Marseille, c’est le parquet national financier (PNF) basé à Paris qui mène l’enquête sur la clinique Bonneveine. Ce que nous confirme cette juridiction, chargée de la fraude fiscale et de la grande délinquance économique et financière.
Les fonds ponctionnés dans la trésorerie de Bonneveine incluraient notamment l’intégralité des prêts garantis par l’État (PGE), obtenus par la structure médicale dans le cadre de la crise Covid. Pour rappel, ce dispositif de soutien aux entreprises avait été mis en place dès le confinement de mars 2020 afin d’atténuer les retombées économiques de la pandémie. “La clinique n’a même pas eu le temps de les voir ces sommes qu’elles étaient déjà remontées au siège”, nous confie un ancien cadre du groupe. “Et les ponctions sur la trésorerie se sont faites en dehors de tout cadre conventionnel”, ajoute-t-il.
Un groupe à la croissance express
Située à quelques centaines de mètres des plages du Prado et du parc Borély, dans le 8e arrondissement de Marseille, la clinique Bonneveine est un établissement de santé privé non lucratif (ou d’intérêt collectif, soit Espic), sans dépassement d’honoraires, devenu ces dernières années un centre de référence pour la prise charge du handicap. Fondée en 1927, la clinique était jusqu’en 2012 la propriété du Grand conseil de la mutualité (GCM). Plombé par 30 millions d’euros de dettes à l’époque, le GCM s’était déclaré en cessation de paiement et avait évité la liquidation judiciaire grâce à la vente de la clinique.
Le groupe Doctegestio, alors quasi inconnu du monde de la santé, avait emporté l’affaire face à deux autres offres de reprises, et devait payer 17 millions d’euros selon le jugement du tribunal de commerce pour les actifs immobiliers de la clinique. Un document interne indique que les bâtiments, terrains et droits à construire, sont aujourd’hui évalués à 33,4 millions d’euros, ce qui constitue ainsi un des plus gros actifs immobiliers du groupe.
La structure du groupe Avec est alambiquée, faite de centaines de structures non lucratives, associations et mutuelles, et de sociétés commerciales et sociétés civiles immobilières (SCI), dont le président et fondateur Bernard Bensaid, son épouse ou l’un de ses proches détiennent le contrôle. Marseille n’échappe pas à la règle : l’activité de la clinique est portée par une association, l’APATS (Association pour la promotion d’un accès pour tous à une offre de soins), créée pour la reprise de la clinique. Dans les derniers statuts déposés en préfecture des Bouches-du-Rhône, datés de 2014, Bernard Bensaid apparaît comme vice-président et trésorier. Cette structure a cédé les murs de la clinique cette même année à une autre société du groupe Avec.
Lors du rachat en 2012, le groupe opérait encore principalement dans le secteur immobilier. Avec la clinique Bonneveine, il réalisait sa première acquisition de structure hospitalière. En une bonne décennie, Doctegestio, devenu “groupe Avec” en 2021, s’est fait une place dans le secteur de la santé, en enchaînant, comme il l’a fait avec Bonneveine, le rachat de structures en difficultés auprès des tribunaux de commerces. Mais aussi en prenant la présidence et le contrôle, sans bourse délier, d’associations ou de mutuelles en déroute. Ce groupe est aujourd’hui constitué d’une myriade de plus de 400 structures hétéroclites, dans l’immobilier mais surtout le médico-social, au travers de services d’aide à la personne, d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), de centres de santé ou d’hôpitaux. Cette constellation revendique un chiffre d’affaires de plus de 600 millions d’euros en 2021 et près de 12 000 employés.
Des “pratiques” désormais bien identifiées
Bernard Bensaid, le président du groupe, essaie toujours d’enchaîner les opérations de croissance externe, mais il est désormais précédé d’une réputation peu enviable. Interpellée en octobre 2022 à l’Assemblée nationale sur un autre cas, dans l’Est de la France, la Première ministre Elisabeth Borne ne s’était pas montrée tendre envers celui qui fût son camarade de promotion de l’École polytechnique : “Nous avons affaire à un investisseur qui ne respecte pas ses engagements […]. Nous connaissons ce type de pratique et nous leur faisons la chasse”.
C’est à Grenoble que le vent a tourné. En 2020, le groupe reprenait une autre clinique mutualiste, le Groupe hospitalier de Grenoble (GHM), qui devenait la plus importante structure du groupe avec 430 lits et plus d’un millier d’employés, dans un contexte de vives oppositions. Une plainte déposée en juin 2022 par les syndicats du GHM a abouti à l’interpellation de Bernard Bensaid en pleine réunion de comité exécutif le 9 janvier 2023. Deux jours plus tard, il était mis en examen puis libéré sous contrôle judiciaire. Depuis le mois de mai, deux administrateurs provisoires nommés par la justice gèrent le GHM. Plus de 10 millions d’euros sortis des caisses sont au cœur de l’enquête, entre des facturations de prestations de services pour la bagatelle d’environ 4 millions d’euros et des conventions de prêts pour 6,5 millions d’euros.
Toutefois, ces ponctions étaient couvertes par des documents formels, ce qui ne semble pas être le cas pour la clinique Bonneveine, selon notre source. Une autre nous confie que, selon elle, Bernard Bensaid “avait l’accès aux comptes en banque [en qualité de trésorier de l’APATS] et s’est juste servi”. Elle témoigne de voix qui se seraient élevées en interne. La direction d’Avec leur aurait rétorqué que les sommes relevaient “non pas de PGE mais de simples excédents de trésorerie” et que les prélèvements étaient justifiés par la “solidarité de groupe”. Contacté sur l’ensemble de ces faits, le groupe Avec nous a indiqué que “M. Bensaid [prévoyait] une prise de parole dans les prochaines semaines” et que nous serions recontactés “quand le temps sera venu”.
Pourquoi urgence marsactu ?
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Cette situation fait penser à celle de la Financière immobilière bordelaise (FIB) de Michel Ohayon
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