“Des papiers, un toit, une école” : des mineurs isolés à la rue interpellent le département
Des dizaines de mineurs étrangers dorment dehors à Marseille depuis plusieurs semaines, dans un contexte de pénurie d'hébergement d'urgence adapté. Ils pointent l'inaction du département, tenu légalement de les mettre à l'abri.
Les mineurs étrangers manifestent devant la MDPH d'Arenc, en septembre 2023. (Photo : CMB)
“Madame, c’est très dangereux de nous laisser à la rue, ça peut faire un mort !” Toutes les semaines, les mineurs isolés se pressent par dizaines au siège de l’Addap, l’association mandatée par le département. Ce mardi matin à 9 h 30, une salariée pointe le bout de son nez : “je comprends bien vos difficultés, mais je vous ai expliqué la situation !” La situation ? Il n’y a pas assez de places d’hébergement adapté. Résultat, les mineurs non accompagnés étrangers se retrouvent à la rue. Dans des campements, dans des squats ou seuls.
“Vous savez, c’est dangereux de dormir à côté de la gare. Moi, on m’a volé toutes mes affaires”, surenchérit un adolescent. Un autre enchaîne : “Moi aussi ! Soit, on se laisse voler, soit on se défend et là, on se fait frapper. Non, on n’est pas en sécurité.” La soixantaine de mineurs croisés ce mardi 19 septembre devant le siège de l’Addap n’en sont pas à leur première tentative. Ils sont à Marseille depuis plusieurs semaines ou plusieurs mois et sont déjà venus s’enregistrer ici, sans succès. “En temps normal, il y a environ une semaine de délai entre le premier rendez-vous au guichet de l’Addap et le second, où les services commencent la prise en charge. Depuis cet été, les délais sont passés à un voire deux mois”, explique Julien Moisan, animateur réseau au Secours catholique.
Voilà pourquoi la semaine dernière, plusieurs associations ont aidé une trentaine de mineurs à établir un campement volontairement très visible, devant le collège Thiers (1e). Durant l’été, d’autres se sont établis autour de la gare Saint-Charles. Une évacuation a eu lieu le 12 septembre au cours de laquelle, selon un militant associatif, cinq mineurs ont été recensés. Parmi eux, seuls trois ont été mis à l’abri en foyer. “Il n’y avait pas de place pour les autres”, soupire le militant. D’où le déploiement d’un campement devant le collège Thiers.
Situation de crise
Devant l’Addap ce mardi, même discours. “No place”, se désole Ahmed, 15 ans, arrivé du Pakistan. “No eat, no bed, no friends”, souffle-t-il. L’adolescent dort à côté de la gare Saint-Charles depuis 18 jours, dit-il. C’est la huitième fois qu’il se présente au guichet de l’Addap, avec l’espoir à chaque fois de voir avancer son dossier. “Depuis que le campement de la gare a été évacué, les jeunes se cachent dans les rues alentours pour dormir”, poursuit le militant associatif.
En situation de crise, comme c’est le cas aujourd’hui, militants autonomes et associations deviennent les premiers interlocuteurs des jeunes à la rue. Faute d’action des pouvoirs publics. “Ce qui est dingue, c’est qu’on ne sait pas pourquoi la situation s’est dégradée à ce point. On n’a pas d’explication. Même l’Addap ne nous dit rien”, regrette Julien Moisan. C’est loin d’être la première fois que la prise en charge du département est pointée du doigt. En mars 2021, le tribunal administratif avait contraint la collectivité à recenser les mineurs étrangers. La même année, un rapport de la chambre régionale des comptes accusait la même institution de “gestion défaillante”. Depuis, la situation semblait s’être améliorée, avant cette nouvelle crise.
Kone, jeune Ivoirien de 16 ans à la rue à Noailles, a soigné ses maux de ventre la semaine dernière grâce aux médicaments donnés par une association. Il évoque aussi “une dame, une habitante qui m’a vu dehors et qui m’a laissé prendre une douche chez elle. Mais la plupart des gens ne te parlent pas. Tu demandes une pièce pour manger et on t’ignore. Ça c’est dur. Et quand on a faim, on n’est pas un homme libre.”
“On nous chasse, on revient”
Abdoul, 16 ans, venu aussi de Côte d’Ivoire, erre à Marseille depuis deux semaines. “Il y a des gens qui n’arrivent pas à manger, c’est très difficile. On dort près de la gare, on nous chasse, on revient”, dit-il. L’adolescent veut “un endroit où dormir et aller à l’école”. À côté de lui, Ibrahim veut parler lui aussi, avec ses yeux presque clos et son corps frêle qui titube. “En Italie j’avais un toit… C’est la première fois que je dors à la rue. Je suis fatigué.”
Alou fait partie des rares mineurs à avoir trouvé une solution de repli, en attendant l’aide du département. Grâce au réseau militant du collectif El Manba, il a un toit, temporaire, au-dessus de la tête. Le jeune homme de 16 ans a quitté le Mali l’année dernière après “des problèmes de famille qui ont fait qu’on n’avait plus d’argent”. Il a passé quelques mois à Alger à travailler dans des jardins, hébergé par une connaissance de son village. Avant de reprendre la route vers Sfax, en Tunisie, où la situation est très critique pour les exilés subsahariens. Début juillet, certains d’entre eux ont été expulsés dans le désert, où ils sont morts. Alou, lui, a traversé à temps. Arrivé à Marseille, il souhaite vivre ici et devenir basketteur professionnel.
“On vient de loin ! On vient de la Méditerranée ! Solidarité !”, clame un jeune charismatique qui s’empare d’un mégaphone. Le petit groupe s’élance vers une antenne du département, avec pour objectif d’interpeler, encore une fois, la collectivité compétente. Direction : la maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH), située quai d’Arenc. Une banderole affiche : “Des papiers, un toit, une école”. Une pancarte : “On veut aller à l’école”. Dans le mégaphone : “droit-droit-droit, droit des mineurs ! On veut être à la maison ! On veut une éducation !”
Portes fermées
Il est 10 h 40 ce mardi matin. Face aux banderoles artisanales, deux affiches majestueuses recouvrent les murs de la MDPH : “Enfance-Famille : le département est là pour vous”, “Personnes en situation de handicap : le département est là pour vous”. “Ils disent le département est là… Mais pas pour nous !” s’insurge le jeune au mégaphone. Certains sont tentés de rentrer dans le bâtiment. Impossible : la sécurité vient de fermer toutes les portes. Pas de quoi dégonfler le groupe, qui décide de continuer à faire du bruit. Les slogans sont repris en chœur. Les banderoles sont placardées sur les baies vitrées de l’entrée.
La situation est calme, mais elle ne tarde pas à se tendre. Les usagers de la MDPH venus déposer des dossiers sont refoulés, eux aussi. Certains sympathisent avec les mineurs isolés. D’autres non. Une dame hurle : “On va tous voter Marine !” La police est appelée sur place. Les trois fonctionnaires vont à la rencontre des mineurs isolés. “Vous pouvez manifester, mais libérez le passage“, résume un agent. Après un quart d’heure nécessaire à convaincre les troupes, les jeunes s’exécutent et reculent. L’entrée du bâtiment est libérée, mais il ne rouvrira pas de la matinée. L’image est désastreuse : un senior avec une canne, une femme enceinte, un jeune homme avec une prothèse à la jambe, tous sont repoussés par la sécurité du bâtiment. Ils devront revenir le lendemain.
Interrogé sur la crise en cours et la prise en charge des mineurs, le département reconnaît que son dispositif est actuellement “saturé”, et pointe “l’augmentation continue du nombre d’arrivées de personnes se déclarant mineures à Marseille”. Dans une réponse écrite, il se dit “conscient de la situation, travaille et met tout en œuvre pour répondre à cet afflux” et ne manque pas d’ajouter un commentaire politique, estimant que “la situation inhumaine rencontrée par les migrants ne doit pas laisser de place à l’instrumentalisation politique et au populisme. Cette situation impose que tous les acteurs locaux et l’État travaillent en bonne intelligence et au-delà des clivages et postures politiques”, une pique fort probablement dirigée vers la mairie de Marseille, qui a régulièrement rappelé la collectivité à ses devoirs en la matière.
Commentaires
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Ils viennent en France illégalement et exigent d’être pris en charge par nos impôts. Et bien NON qu’on les renvoie d’où ils viennent
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