Au Blé d’art, le cours Julien pleure une figure du quartier

Actualité
le 18 Juil 2023
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Le petit snack à la devanture bleu profond a perdu brutalement son patron dans un accident. Les proches et les habitués commémorent aujourd'hui la générosité de ce réfugié politique algérien et envisagent de reprendre la sandwicherie pour perpétuer son héritage.

Un rassemblement informel devant le local de la rue des Trois-mages. (Photo : Meriem Bioud)
Un rassemblement informel devant le local de la rue des Trois-mages. (Photo : Meriem Bioud)

Un rassemblement informel devant le local de la rue des Trois-mages. (Photo : Meriem Bioud)

Devant le Blé d’art, une sandwicherie située rue des Trois-Mages, près de la Plaine (6e), du thé, de l’eau fraîche et quelques assiettes de gâteaux sont posés sur une table basse. Assis autour, un petit groupe d’amis papote à voix basse. Depuis une semaine, ce lieu est en deuil. Lundi dernier, Ghani Smahi, le gérant, a perdu la vie dans un accident de trottinette, juste en bas de la rue. L’engin trône aujourd’hui, avec son tablier bleu, au centre d’un mausolée éphémère installé à côté de l’entrée. Momo, un de ses proches, était à Paris quand il a appris la nouvelle. Il a sauté dans le premier train : “Arrivé ici, j’ai vu le rideau baissé et un de nos amis qui pleurait à l’intérieur. Je me suis demandé ce que j’allais faire, alors j’ai décidé d’ouvrir le Blé d’art et de distribuer du thé gratuitement. Le premier soir, il y avait tellement de monde qu’on occupait tout le trottoir d’en face.”

Fuir l’Algérie sans jamais la quitter

Ouvert en 2021, le blé d’art est un pied de nez aux stéréotypes concernant “les blédards”, nombreux à Marseille. Ceux qui ont, comme Ghani, quitté le Maghreb pour s’installer en France. “Les gens se foutent des blédards, pour certains c’est une insulte”, pointe Momo, qui rencontre Ghani en 1998 dans une association de lutte contre le mal logement. Il vient à ce moment-là d’arriver en France et parle “un français à l’infinitif“, se souvient son ami. Ghani demande et obtient l’asile politique. En Algérie, dans sa région natale, il occupait un poste de professeur et était membre d’une institution de représentation de la jeunesse. “Il a reçu des menaces de la part de gens du système. Il est parti quelques jours pour un séminaire à Lisbonne avec une délégation et n’est plus revenu”, confie Leïla, sa sœur aînée.

Ce pays, dont il ne pourra plus jamais refouler le sol de son vivant, est présent partout dans l’univers de la sandwicherie. Du “bleu touareg” des murs, aux chansons de Cheb Khaled diffusées à plein volume dans les enceintes, jusqu’à un poème écrit sur le frigo dans lequel Ghani crie sa colère contre les dirigeants. Il s’invite enfin dans la carte des sandwiches où le “big maghrébin”, côtoie le “DZ”, initiales pour dire le nom du pays. Le concept séduit. “Au départ c’était juste les potes“, se souvient Momo qui ressort avec un sourire nostalgique des vidéos prises pendant les soirées improvisées.

Repère pour les âmes esseulées

Avec le bouche-à-oreille le blé d’art devient un repaire d’artistes et un lieu de regroupement pour des gens du monde entier. Sur internet, une touriste loue en anglais sa “vibe indescriptible”. Le snack n’a cependant jamais perdu son identité initiale. “Il y avait un réseau de générosité, c’était un repère pour les âmes esseulées“, assure Sonia Boujamaa, membre de la clique du Blé d’art. “Les vendeurs à la sauvette de Noailles passaient régulièrement proposer à Ghani des objets et il les leur prenait”.

Cette générosité sautait tant aux yeux que les passants s’en souviennent. En découvrant les hommages à Ghani, une voisine de passage s’arrête sous le choc. Il était si gentil, c’est pas possible. Il avait toujours le sourire, il arrosait les plantes du jardin d’en face”. Clémence Rose, une autre cliente occasionnelle, est prise de sanglots quand elle comprend que Ghani est décédé. Il avait un très grand cœur. Il me filait du thé quand j’ai arrêté l’alcool”. Pour l’autel improvisé, elle écrit un petit mot : “Je ne connaissais pas ton nom, mais tu étais l’âme de ce quartier”.

Pour lui rendre hommage, ses amis souhaitent perpétuer son héritage en reprenant l’affaire. “On voudrait le garder et l’améliorer”, indique Momo à propos du snack. Il est même question de dessiner une fresque à son effigie sur la devanture. Mais avant cela, ils se sont mobilisés pour permettre à Ghani d’être inhumé selon ses dernières volontés. Son corps doit être rapatrié ce mardi 18 juillet à Ain Sefra, sa ville d’origine en Algérie, pour y être enterré aux côtés de son père et de son frère.

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Commentaires

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  1. kukulkan kukulkan

    bravo pour ce bel article et allah y rahmo

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