Au procès du club de tir de Gignac, la justice déballe l’arsenal de la famille Segui
Jean-Michel Segui et une partie de sa famille ont comparu lundi devant le tribunal correctionnel d'Aix pour avoir possédé et vendu des armes sans autorisation. Ce procès a levé le voile sur l'un des nombreux dysfonctionnements qui entouraient le club de tir de Gignac.
Le nouveau palais de Justice d'Aix-en-Provence. (Photo : CBy)
Ils étaient tous les trois, en famille, à la barre ce lundi soir. Jean-Michel Segui, le président à la personnalité bien trempée du Cretes, centre de tir de Gignac dont Marsactu a relaté les nombreuses dérives, s’est présenté devant le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence avec son épouse et son fils, respectivement secrétaire et trésorier du club. Les mains derrière le dos, le trio répondait à des chefs de prévention quasiment similaires : recel, commerce et transport illégal d’armes et de munitions, mais aussi abus de confiance. Des accusations que la petite famille a décidé de nier en bloc, n’hésitant pas à se contredire malgré les nombreuses preuves constitutives de ce dossier.
22 000 cartouches, 4000 euros en espèces, une caisse contenant des armes dans l’entrée, une autre contenant des cartouches dans le salon mais aussi sous l’escalier, des carabines à même le sol dans le garage, un semi-automatique accroché à la table de nuit avec un velcro… C’est un véritable arsenal qu’ont retrouvé les enquêteurs lors des perquisitions menées au domicile des Segui, à Marignane. À eux trois, les prévenus y détenaient une trentaine armes. Censées être déclarées au nom du club, où elles auraient aussi dû être stockées, la totalité des armes étaient à leur nom. Un fonctionnement complètement hors les clous, que les protagonistes ont tenté de justifier contre toutes évidences.
Ancien flic et “bon père de famille”
Ce club de tir était, selon les mots marqués d’ironie du président de l’audience, Marc Rivet, tenu “en bon père de famille”. Ancien flic, Segui est le genre d’homme qui en impose. Forte corpulence, crâne chauve, il s’exprime avec une voix rauque et un fort accent. “J’ai fait la section tir de la police municipale de Marignane à 28 ans, on ne m’a jamais reproché quoi que ce soit, raconte-t-il, en bombant le torse. Je suis entré au conseil municipal en 1989. En 1991, j’ai créé le club, et formé mes collègues de la police municipale.”
Policiers municipaux des communes alentours, surveillants des Baumettes, agents de la police nationale… Le Cretes, rappelle le président, est en effet “très fréquenté par les forces de l’ordre et judiciaire”. Mais, la question des formations – Jean-Michel Segui est soupçonné dans des procédures parallèles d’avoir vendu des formations bidons -, ainsi que celle des relations du gestionnaire avec “un membre du parquet de Marseille” (lire notre article sur les troublantes visite d’un procureur dans ce centre de tir), ne concerne pas la procédure traitée ce lundi, recadre le président.
Marc Rivet interroge plutôt : “l’association avait-elle une vocation commerciale ?”. “Pas du tout”, répond du tac au tac le principal intéressé, contredisant un témoin central dans cette affaire. Arrivé au centre de tir en 2018, Sébastien Sorroche a rapidement été employé, puis formateur. Absent à l’audience, ses dires sont cités par le président lui-même.
Jusqu’à 150 000 munitions non tracées
Vente d’armes sans la présence d’armurier, contrôle des munitions inexistant… “Pour Sébastien Sorroche, cela concerne 150 000 munitions par an, tous calibres confondus, dont la traçabilité n’est pas assurée, cite le président. Selon lui, cela vous rapporte entre 150 000 euros à 300 000 euros par an.” Faux, n’a de cesse de répéter le prévenu, en ordre serré avec sa femme et son fils, qui eux, restent silencieux. “Sorroche, un disciple avant de partir pour vendre du laiton a besoin d’argent”, défend son avocat.
Pour justifier la présence de 4000 euros en liquide à son domicile, Jean-Michel Segui évoque la vente d’un AK47.
Jean-Michel Segui, lui, a voué sa vie à son club, dit-il, ne roule pas sur l’or, ne s’accorde jamais de vacances et contrôle les munitions. Si les armes, achetées par le club, sont à son nom, celui de son fils et de sa femme, c’est pour pouvoir les ramener chez eux. Et, si son domicile est ainsi devenu un véritable arsenal, c’est pour des questions de sécurité. “Si j’avais laissé le matériel là-bas, dans un Algeco au milieu d’une zone artisanale au bord de l’autoroute, et que le club avait été cambriolé, je ne serais pas devant vous aujourd’hui mais en préventive”, insiste-t-il. Quant aux 4000 euros, ils correspondent à la vente d’un AKA47, en bonne et due forme, jure-t-il.
“Madame pouvait transporter 16 armes”
Les Segui ramenaient donc les armes à leur domicile. Et là encore, il semblerait que ce soit hors de tout cadre légal, autrement dit, en l’absence du propriétaire nominal de ces armes. Ce qu’ont confirmé la femme et le fils du gérant lors des auditions préliminaires. Ce dernier, parfois accompagné de sa sœur, ou encore leur mère, pouvait se charger du transfert. “Madame pouvait transporter jusqu’à 16 armes“, alors que seulement six étaient à son nom, rappelle le président. Segui lui, ne lâche rien : “C’est faux !”. Le président finit par réagir fermement : “Sorroche se trompe, la police judiciaire se trompe, même votre femme se trompe !”
Pierre Caviglioli, l’avocat des prévenus, fait les 400 pas autour du trio : il bout dans sa robe. Dans sa défense, il tente bien de faire passer son client comme peu au fait des règles. “Le tir est le quatrième sport individuel en France. Il y a des trucs particuliers à savoir, mais les principaux protagonistes les ignorent. Tout le monde ressasse des lieux communs, à commencer par celui-là”, plaide Pierre Caviglioli. Mais Jean-Michel Segui savait pertinemment qu’il était en-dehors de tout cadre légal, comme l’illustrent des vidéos consultées par la police judiciaire – et Marsactu. Ces images montrent Jean-Michel Segui, au téléphone, demander à son interlocuteur de faire du ménage dans les ordinateurs, d’enlever les preuves de la location des armes, affichées directement sur le site ou derrière le comptoir du club. Déstabilisé, le “bon père de famille” n’hésite pas à se tirer une balle dans le pied. “Quand j’ai reçu le premier courrier de la préfecture, j’ai fait une demande à la fédération de tir pour basculer les armes sur le club”. Reconnaissant ainsi qu’il avait bien conscience des dérogations qu’il s’accordait.
Le procureur excédé
Si le sort de Jean-Michel Segui semble mal engagé, le président espère encore pouvoir compter sur l’honnêteté du reste de la famille. “Vous êtes déchiré entre la loyauté envers vos parents et votre statut de policier qui doit vous pousser à dire quelque chose qui correspond à la réalité”, gansaille Marc Rivet en regardant le fils Segui. Admis au sein de la police depuis peu, le jeune homme reste muet. Quant à “madame, retraitée de la fonction publique, poursuit le président, vous avez admis louer des armes et vendre des munitions, mais vous dites que vous ne saviez pas que c’était illégal. Vous avez pourtant déclaré avoir tout enlevé, pour faire comme s’il n’y avait jamais eu de location.” “Je me suis mal exprimée”, coupe court, poliment, l’interrogée.
Il est interdit de faire du commerce d’armes si on n’a pas l’habilitation expresse du ministère. C’est la base, vous le savez.
Le procureur
Quand sonne l’heure des réquisitions, le procureur, forcément, n’est pas dans les meilleures dispositions. “J’entends Jean-Michel Segui très pointu sur la législation des armes. Pourtant, moi, quand je lis le Code de la défense, je vois qu’il est interdit de faire du commerce d’armes si on n’a pas l’habilitation expresse du ministère. Le commerce d’armes, mais aussi la location et la vente de munition. C’est la base, vous le savez”, débute, excédé, le représentant de ministère public. D’ailleurs, poursuit-il, “cette autorisation peut être refusée si le local est insuffisamment sécurisé. C’est le serpent qui se mord la queue.”
Six mois de prison avec sursis requis pour le père
Pour le représentant du parquet, le transport illégal et l’abus de confiance sont également caractérisés. “Ils ont acheté des armes avec les fonds de l’association, ces armes se sont retrouvées à leur nom et chez eux. Voilà, c’est tout. Ils se les sont appropriées. […] Il y avait des armes partout là-dedans.” La défense, quant à elle, entend dénoncer des défauts de procédure, dans les auditions, mais également dans l’enquête “faite à la va-vite”. “Le délit de commerce d’armes, c’est se déposséder d’une arme que l’on possède sans autorisation au profit d’un autre qui n’en a pas non plus. En général ce ne sont pas des philanthropes, là ce n’est pas ça”, conclut Pierre Caviglioli.
Le procureur, lui, enchaîne : “On dit que tous les clubs font ça, mais ça ne tient pas. Cela veut dire qu’un trafiquant de drogue peut venir à la barre, dire qu’il y a du deal dans tous les quartiers et se barrer ? Non, c’est la loi, et désolé, c’est tombé sur vous !”
Après s’être adressé directement au fils – “que faites-vous dans la police ? personnellement, je n’ai pas envie de travailler avec vous” – il expose ses réquisitions, que le juge pourra suivre, ou non : six mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende dont 3 000 avec sursis, assortis d’une interdiction de détenir une arme pendant cinq ans pour Jean-Michel Segui et son épouse. Trois mois de sursis et une interdiction de port d’arme durant cinq ans pour le fils. Le délibéré sera rendu en août. La famille Segui risque fort de se retrouver désarmée.
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