L’AUTOMNE DU PRINTEMPS
L’AUTOMNE DU PRINTEMPS
Jeudi dernier, le 10 mai, le maire de Marseille, B. Rayan, a retiré à Mathilde Chaboche, adjointe au maire, sa délégation à l’urbanisme. Peut-être cette décision a-t-elle une signification sur ce qui se joue, en ce moment, à la municipalité.
Une décision difficilement compréhensible
On a du mal à comprendre la décision du maire de la ville. Le Printemps marseillais avait remporté les élections municipales sur la base de la promesse d’une nouvelle façon de gouverner, se fondant sur un projet d’urbanisme auxquels les électrices et les électeurs avaient adhéré, et, sans que rien ne le laisse prévoir en public, sous une pression du maire, l’adjointe à l’urbanisme déclare renoncer à sa délégation, tout en restant membre du Conseil municipal. Cette démission repose en partie sur une adhésion de l’élue, qui déclare renoncer de son plein gré à sa délégation, alors que tout indique qu’elle y a été contrainte, à commencer par l’investissement considérable d’elle-même qu’elle aura consenti depuis qu’elle exerce ces fonctions. Par ailleurs, la décision de retirer sa délégation à M. Chaboche semble l’issue d’une période de tensions entre l’élue et les acteurs sociaux de l’urbanisme avec qui elle devait travailler au nom de la municipalité, notamment les promoteurs. Il semble, enfin, que le retrait de M. Chaboche soit lié à l’insuffisance des constructions de logements sociaux construits, dont elle est considérée, en partie, comme responsable en manifestant un niveau d’exigence très élevé, voire trop. Mais ce qui rend, surtout, cette décision difficilement intelligible est l’absence d’explications de la municipalité. Comme si un tel retrait n’avait à être discuté qu’au sein de la municipalité.
Les fantômes du passé : la municipalité entre le passé et le présent
C’est ici que l’on revoit apparaître les fantômes du passé marseillais. Alors que l’une des promesses du Printemps marseillais, lors de son élection, avait été d’en finir avec les pratiques du passé, alors qu’il s’agissait, semblait-il, de mettre fin à des politiques qui, durant le mandat de G. Defferre, durant celui de R. Vigouroux et durant celui de J.-C. Gaudin, avaient été dominées par les logiques d’arrangements, de laisser-aller, de mollesse de la municipalité face à la puissance des acteurs économiques locaux, cette décision semble faire surgir de nouveau ces pratiques d’un autre temps. Une fois élu, le Printemps marseillais renouerait-il avec les politiques municipales d’un autre temps ? Rappelons-nous qu’il n’y a pas qu’à Marseille, que, dans d’autres grandes villes de France, comme à Lyon ou à Bordeaux, par exemple, c’est cette transformation des politiques locales qui a donné leur crédibilité aux équipes élues. Rappelons-nous que, dans ces villes comme à Marseille, on attendait des nouvelles équipes, des nouvelles municipalités, de nouvelles façon de gouverner. Il est essentiel que Marseille en finisse avec ces fantômes qui ont fait perdre leur crédibilité aux municipalités du « temps d’avant » et qui ont éloigné d’elles les citoyennes et les citoyens. Mathilde Chaboche voulait mettre fin aux conceptions passées de la politique de l’urbanisme, en faisant en sorte que le politique impose ses conceptions aux techniciens et aux entreprises, et peut-être est-ce justement cela qui lui a été reproché. La municipalité dirigée par B. Payan doit choisir, et son choix doit être le bon, le choix susceptible de recueillir l’adhésion de celles et de ceux qui vivent à Marseille.
L’urbanisme : un enjeu essentiel du travail de la municipalité
Mais nous ne parlons pas de n’importe quelle délégation : nous parlons de celle qui est consacrée à l’urbanisme. Or, l’urbanisme est, sans doute, le domaine le plus important de la politique municipale : c’est par sa politique de l’urbanisme qu’une municipalité imagine la ville de demain en améliorant celle d’aujourd’hui. Il ne faut surtout pas réduire l’urbanisme à de la technique, à une efficacité fonctionnelle. C’est la politique de l’urbanisme qui dessine la ville, qui fait d’elle un espace qui n’est pas seulement consacré au logement, mais qui est aussi un espace de qualité, un espace exigeant, en particulier dans le domaine de la construction, un espace de paysages, dans lequel puisse s’exprimer une esthétique de la ville. C’est bien pour cela que l’urbanisme est au cœur du projet d’une municipalité et de sa façon de peser sur la ville, pour aujourd’hui, mais aussi pour demain, dans le temps long de la cité. C’est bien pour cela que le retrait de M. Chaboche a une telle importance et qu’il dénote une véritable urgence. C’est bien d’une véritable crise que nous parlons, et pas seulement d’une affaire d’organigramme.
L’urbanisme et le logement
On ne peut pas séparer l’urbanisme du logement – ne serait-ce que parce que, parmi les attributions de l’adjoint(e) à l’urbanisme figure celle de l’accord sur les permis de construire. Pour cette raison, la politique municipale de l’urbanisme s’articule à celle du logement. Les décisions municipales dans le domaine du logement sont liées indissociablement à celles qui sont prises dans celui de l’urbanisme : à Marseille, ce qui oriente les unes en orientant les autres sont les décisions, par exemple, qui portent sur l’articulation entre le centre et les périphéries, sur la coexistence des immeubles anciens et des immeubles neufs, sur les exigences de qualité du logement qui se fondent sur qualité de la construction. Dans ces conditions, le retrait de l’adjointe à l’urbanisme pourrait être le symptôme d’une faiblesse dans la politique du logement. C’est ce qui est grave, et c’est ce qui nécessite des explications et la tenue d’un véritable débat public, bien au-delà de petites décisions de bureau prises en catimini.
La gauche est-elle en proie à une sorte de syndrome de l’échec ?
Mais nous devons aussi parler politique. Ce n’est pas seulement du retrait de M. Chaboche que nous parlons, mais nous parlons aussi de la gauche. Une telle décision pourrait être le symptôme d’une inaptitude foncière de la gauche à exercer le pouvoir qu’elle a tant de mal à conquérir. Cette démission serait-elle le symptôme d’une impossibilité de la gauche véritable, celle de l’égalité et de la solidarité, à s’imposer dans l’espace public, notamment dans celui de la ville ? La gauche est-elle incapable d’exercer un pouvoir fondé sur des conceptions qui lui sont propres ? On voit bien, ainsi, que la question posée par le retrait de l’adjointe à l’urbanisme va bien au-delà de la politique de la municipalité de Marseille dans le domaine de l’urbanisme. C’est d’une certaine conception du pouvoir que nous parlons. Ce qu’il faut savoir, c’est si, aujourd’hui, dans notre pays, il est encore possible à la gauche de mettre en œuvre une politique qui inscrive ses idéaux et son identité dans la réalité du fait urbain. C’est aussi de cela que la gauche doit se libérer : de cette peur de s’affirmer dans l’exercice du pouvoir.
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Il me semble que vous oublier deux données dans votre analyse pro MadMars:
– l urbanisme est aussi et surtout une compétence de la Metropole.
– un rassemblement de la gauche peut elle garder aux responsabilités une élue qui ne respecte pas le quota de logement social? Je crois que c’est tout bonnement impossible. Et ça Mme Chaboche aurait quand même dû lavoir venir…
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