LA JUSTICE À MARSEILLE
Le tribunal judiciaire de Marseille (Photo : LC)
Le 27 mars dernier, le ministre de la Justice a discrètement annoncé aux avocats du barreau des Marseille un projet de « cité judiciaire » pour la ville. Il se situerait à Arenc. Que penser d’un tel projet ?
Un palais bientôt oublié ?
C’est curieux, les coïncidences : la semaine dernière, j’évoquais ici un palais oublié, celui que l’on trouve dans le quartier du Camas. Il s’agit d’un palais qui n’en est plus un, mais dont on devine une grandeur passée quand on l’aperçoit entre les maisons et les aménagements du quartier. Ce que nous disions au sujet de palais méconnu du Camas devra-t-il s’appliquer, demain, au palais de justice, ce palais imposant, dont on ne peut pas dire qu’il soit beau (à la différence de celui du Camas), mais qui occupe un espace important au cœur de Marseille, rue Grignan. Un palais tellement important qu’il a fallu parsemer les lieux qui l’entourent d’une multitude d’annexes. Qu’y aura-t-il demain, à sa place, si le palais de justice quitte la rue Grignan pour aller à Arenc ? S’agira-t-il d’un hôtel, d’une construction de plus dévolue au tourisme ? Ou s’agira-t-il d’une banque ? Que se rappellera-t-on, demain, de ce qu’aura été l’administration de la Justice à Marseille ? Est-ce une manière de faire tomber cette institution essentielle dans une sorte d’oubli ? Est-ce une manière de dénier l’importance de la justice dans la société ? Quoi qu’il en soit, l’annonce de ce départ constitue un témoignage de plus du projet de notre gouvernement d’en finir avec les institutions publiques, d’en finir avec l’État. Peut-être le verrons-nous demain ici, à Marseille.
Qu’est-ce qu’un palais de justice ?
Comme son nom l’indique, un palais de Justice est un bâtiment où ont lieu les délibérations judiciaires, où, comme on dit, la justice se rend, où les juges se réunissent et où les avocats plaident. C’est, avant tout, un lieu de parole. Mais rappelons-nous, car nous le le savons pas toujours, que – ce sont les mots par lesquels commence le texte des jugements – la justice est rendue, dans notre pays « au nom du peuple français ». Il s’agit d’un héritage de la Révolution, destiné à manifester le fait que le peuple est souverain, que, finalement, les pouvoirs, le pouvoir judiciaire comme les autres, ne sont que des mandats donnés par le peuple. Un palais de justice est un monument qui représente, ainsi, à la fois, l’exercice de leur pouvoir par les juges, les débats et l’importance de la parole (il faut que, dans les institutions judiciaires, « ça parle », comme disait Lacan). Pour cela, un palais de justice doit être au milieu du peuple au nom de qui il parle. Mais aussi un palais de justice se doit d’être porteur d’un projet esthétique, il ne saurait s’agir, comme, paraît-il, c’est le cas, d’une tour de quarante étages.
La justice doit être au centre de la ville
C’est pourquoi un palais de justice doit être au cœur de la ville. Cela semble devenu une manie de reléguer la Justice en périphérie. À Paris, il y a longtemps déjà, une sorte de “palais de justice bis” avait été construit sur les boulevards qui entourent la ville, prenant la suite d’antiques fortifications. À Avignon, un palais de justice tout neuf a été construit à l’extérieur des remparts, et le conservatoire a pris sa place près des Halles. Aujourd’hui ou demain, ce sera donc au tour de Marseille de faire cette expérience de l’exil de la Justice. C’est une violence de plus faite à l’État, une manifestation de plus du refus de reconnaître que les institutions de l’État appartiennent à tout le monde et ne sont pas la propriété du pouvoir. En déplaçant la justice à Arenc, le pouvoir macronien dit, une fois de plus, qu’il entend essayer par tous les moyens de se débarrasser des juges, de les mettre hors des centres. Que la justice soit au cœur de la ville est une façon de permettre à toutes celles et à tous ceux qui habitent la ville de se reconnaître en elle. En la déplaçant hors du centre, on ôte à la justice sa visibilité, son importance symbolique. C’est aussi qu’il ne faut pas être dupe de l’illusion selon laquelle installer un palais de justice à Arenc contribuera à donner à ce quartier une vie nouvelle, un élan nouveau. C’est une illusion, car une telle construction n’apportera rien au quotidien de celles et de ceux qui vivent dans le quartier – sinon le sentiment d’être encore un plus surveillés. Peut-être même contribuera-t-elle à les chasser encore pour les remplacer par des populations aisées et par des bureaux sans vie.
Des consultations doivent avoir lieu
C’est en catimini que le pouvoir prépare son projet. On l’apprend au détour d’une petite information discrète. Sans doute encore une « fuite ». Tout doit être fait pour éviter qu’un véritable débat ait lieu – à la fois entre le gouvernement et le ministère de la Justice et les habitantes et les habitants et entre le pouvoir et les acteurs de la Justice, les juges, les parquets, les avocats, les personnels de l’administration de la Justice. Or, sur un projet de cette importance, le débat est essentiel pour qu’il ait une légitimité. Même si le pouvoir macronien se moque éperdument de l’idée même de légitimité, empêcher le débat peut être dangereux, car, si les acteurs concernés ne sont pas informés et ne sont pas appelés à donner leur avis, ils ne le mettront pas en œuvre dans de bonnes conditions et le projet court à l’échec. Après celui de la réforme des retraites, ce serait, à Marseille, un échec de plus pour le pouvoir macronien.
Un Arenc de tours et de bureaux
Une question essentielle que soulève ce projet est celle du devenir de l’urbanisme à Arenc. Ce quartier qui vit du port et qui vit le port, ce quartier qui est un quartier d’activités urbaines installées depuis longtemps et qui donnent au quartier une vitalité particulière, risque de devenir un quartier de plus de tours et de bureaux, sans autres habitants que des employés pressés. Comme Euroméditerranée et la tour CGM, Arenc deviendrait, alors, un quartier de plus perdant son identité et contribuant à effacer du cœur de Marseille sa spécificité, sa culture, pour le faire devenir un désert de bureaux et d’immeubles de quarante étages dans lesquels on ne se voit pas, où l’on ne se parle pas, où l’on ne prend aucun plaisir à se promener. Arenc oublierait son passé et, en perdant sa mémoire, perdrait le goût de vivre dans la ville.
Vider les centres urbains de ce qui fait leur vie
La véritable signification d’un tel projet, au-delà, de la justice et de son administration, est celui des approches nouvelles de l’urbanisme : vider les centres urbains de ce qui fait leur vie, les réduire à des décors de théâtre ou à des espaces pour touristes. Un peu à des lieux de commerces de prestige pour les riches. Mais tout ce a fait la vie des villes et de leurs centres est expulsé au-delà de leurs murs. Les commerçants de Marseille ne s’y trompent pas, car, en même temps que les avocats, ils ont fait connaître leur opposition à un tel projet qui, en leur portant tort, porterait tort à l’économie urbaine d’une manière générale. Mais il y a plus : en vidant les centres de ce qui fit la vie de la vile, le pouvoir exile les activités sociales, il fait tout pour que la société ne se voie pas, pour qu’elle se réduise à des jeux. Et puis , en ne consultant personne, il s’arrange, une fois de plus, pour faire qu’il veut, pour s’arroger tous les pouvoirs – en l’occurrence, celui de priver la Justice de sa dimension esthétique. Si nous n’y prenons pas garde, nous nous éveillerons un matin, en apprenant, dans Marsactu, que ça y est, que le palais de Justice est parti, et qu’il a été transformé en un édifice laid, en une usine à formalités judiciaires, sans souci d’architecture et d’urbanisme. Mais, alors, ce sera trop tard.
Commentaires
L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
Merci pour ce billet car j’habite à côté et ce n’est effectivement pas ça qui va nous apporter quoique ce soit. En revanche je ne sais pas de qui vous parlez en disant “celles et ceux qui vivent dans le quartier”. Ca fait bientôt dix ans qu’on est là pour les plus anciens des nouveaux mais quand même, nous chasser déjà pour nous remplacer “par des populations plus aisées”… je vois pas trop. N’oubliez pas qu’ici c’est le nord (c’est bien pour ça d’ailleurs qu’une majorité des travailleurs des tours n’habitent pas dans le quartier).
Se connecter pour écrire un commentaire.