LE PALAIS OUBLIÉ
Nous sommes à Menpenti. Entre les gratte-ciels hideux qui ont défiguré le quartier et l’échangeur, se trouve un château ancien.
Le château et l’oubli
Cela se passe dans une toute petite rue dans le quartier de Menpenti. Dans cette rue, comme dans tout le quartier avant qu’il ne soit envahi par l’échangeur et par les constructions hideuses de notre époque, il y a des petites maisons comme dans tous les quartiers populaires de Marseille, des petites maisons où se déroule une vie de quartier. C’est là que se situe un château. J’en ai appris l’existence par une présentation du C.I.Q. de Menpenti. Je suis allé voir ce château, et je me suis perdu, avec beaucoup de plaisir dans le dédale des petites rues et des petites maisons qui peuplent ce quartier. Même les gens du quartier ne savaient pas qu’il y avait un château caché, là derrière. Et puis, au détour d’une rue, on le voit. Il apparaît dans une sorte de décalage entre son architecture et sa taille et les petites constructions villageoises ordinaires qui ont essaimé autour de lui au fil des siècles. Il faut vraiment tel chercher pou le trouver, mais quand on le trouve, on a une idée de ce qu’était ce village avant d’être un simple quartier avalé par la grande ville. Il est devenu une maison d’habitation ordinaire, simplement un peu plus grande que les autres. Le château de Menpenti est une trace d’une grandeur oubliée qui résiste dans les rues de Marseille à la destruction de la ville véritable sous les coups des promoteurs et des bulldozers.
La destruction autoroutière du quartier
Ce château oublié, derrière lequel on devine l’existence d’un parc aujourd’hui disparu est un des restes de ce qui fut un village, avant que la folie des autoroutes et des gratte-ciels de la modernité ne vînt le mettre en ruines. Quand on voit des sites oubliés comme celui de ce château, on est encore plus en colère que d’habitude devant les ravages de la modernité illusoire de l’urbanisme marseillais des années soixante et soixante-dix. Les municipalités de l’après-guerre (la municipalité Carlini, les municipalités Defferre et les municipalités Gaudin) étaient décidées à ce qu’il ne reste rien de la richesse des quartiers populaires de la ville pour qu’elles puissent les remplacer sans obstacles par leur folie urbaine, sans doute inspirée par les films américains et par cette fausse culture imposée à notre pays depuis l’après-guerre et qui continuent à faire des ravages en poursuivant son œuvre de destruction de nos villes, de nos aménagements, de notre culture et de notre langue. Peut-être l’échangeur de Menpenti a-t-il facilité la circulation routière à Marseille, ce qui n’est même pas sûr, mais il a détruit la vie de celles et de ceux qui vivaient dans ce quartier. Au-delà de l’échangeur, sans doute convint-il tout de même remettre en question les abus environnementaux de la toute-puissance de l’automobile qui a détruit des villes entières.
La méconnaissance des habitants du quartier
Menpenti est un exemple éclairant sur le choc frappant à Marseille entre deux cultures qui tentent de coexister dans la même ville : d’un côté, les anciens habitants des quarts populaires qui continuent à habiter leur ville et qui résistent aux assauts de l’illusoire modernité des promoteurs et des aménageurs technocrates, et de l’autre les habitants qui sont venus à Marseille sans connaître cette ville en y apportant une forme de méconnaissance des significations multiples de la vie urbaine. C’est ainsi que même les gens du quarter qui vivent à cinquante mètres de lui ne savent pas qu’ils habitent à côté d’un palais oublié. On se rend compte d’un décalage entre l’histoire du quarter et son présent. Mais, heureusement, Menpenti semble en train de renaître. Des jeunes habitants commencent à retrouver le quartier, à y vivre de nouveau, à le faire vivre. Ils semblent même ignorer les dégâts de la modernité, ou, en tout cas, ne pas s’en préoccuper. Ils ont réussi à faire exister une petite oasis de culture et de patrimoine au pied des horreurs qu’ils semblent décidés à ne pas connaître. Celles et ceux qui s’installent aujourd’hui dans les anciens quartiers de Marseille peuvent y faire revivre la ville. C’est ce qui peut permettre à Marseille de faire revivre la culture urbaine qui est la sienne, de retrouver les lieux et les sites de sa culture, d’échapper à l’emprise et à l’hégémonie d’une fausse modernité, inspirée par le libéralisme triomphant de notre époque.
Les années de la fausse modernité
En observant ce décalage entre l’échangeur et le château, on peut mieux comprendre la rupture qu’a pu représenter l’émergence de cette fausse modernité qui caractérise notre époque – comme, d’ailleurs, peut-être, toutes les époques. L’aménagement des villes dans les années cinquante et surtout dans les années soixante et soixante-dix s’est caractérisé par une course effrénée à la destruction des quartiers populaires et des cultures urbaines classiques. Il fallait absolument importer en France les gratte-ciels, les tours et les échangeurs pour mettre un terme à la vie ordinaire de ces quartiers. Il a même fallu inventer une « politique de la ville » pour tenter de se doter d’outils de résistance à ces abus de la modernité. Mais le mal était fait. Sans doute, aujourd’hui, est-ce le sens de l’élaboration d’une véritable écologie urbaine d’élaborer les méthodes et les outils de l’aménagement politique et culturel d’espaces de vie sociale pleinement ancrés dans les lieux qu’ils occupent, auprès de celles et de ceux qui y vivent, retrouvant, ainsi, le sens d’une véritable citoyenneté : d’une véritable identité urbaine. Le débat contemporain sur le politique urbaine doit tenir compte de l’importance de retrouver dans la pérennité de la mémoire des quartiers les outils de la préservation de notre culture face aux attaques du libéralisme qui se croit triomphant, alors que la dégradation des villes est un symptôme violent de son échec.
Pour mieux comprendre ce qu’est la richesse d’une véritable culture urbaine, pour retrouver un peu de mémoire, laissez tomber les échangeurs et allez vous promener à Menpenti à la recherche du château.
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