[Nyctalope sur le Vieux-Port] Retour vers le ftour
La vie nocturne, à Marseille, est rarement un feu d'artifices mais plutôt un hasard de rencontres. Marsactu a confié au journaliste Iliès Hagoug le soin de l'arpenter et de la raconter. Ce mois-ci, il veille jusqu'au cœur de la nuit (du ramadan).
Crédit photo : Iliès Hagoug.
“On vit la nuit, pendant le mois de ramadan” disait Akhenaton il y a maintenant 26 ans, l’une des nombreuses observations sur la ville de Marseille contenues dans Demain c’est loin. Les nuits durent en ce moment environ dix heures, une fenêtre de tir plutôt longue comparée aux ramadans estivaux récemment passés. Elle rend cependant toujours la perspective du jour suivant plutôt courte pour ceux qui jeûnent, incitant à tirer le maximum de l’énergie puisée dans un premier café bu à huit heures et demi, du soir bien sûr.
Pour les plus pieux, une heure à peu près après le ftour, la rupture du jeûne, c’est direction mosquée, où chaque soir du mois sera récité conformément à la tradition à peu près un trentième du Coran. Dans le centre-ville de Marseille, les mosquées sont rares ou inexistantes, mais les salles de prière sont monnaie courante, et comme un club secret, leurs entrées sont souvent discrètes, leurs adresses peu affichées. L’une d’entre elles est dans un quartier plus connu pour le culte de l’apéro, rue de l’Olivier. Durant l’un des premiers soirs du mois de ramadan pourtant, la salle est aussi bondée qu’un resto à la mode.
La djellaba dans le scooter
Un défilé dans lequel on multiplie les “saha ftourek”, bonne rupture du jeûne, se dirige vers la discrète entrée, où l’on ôte ses chaussures ou pour les mieux équipés, ses claquettes. Certains sont déjà assez bien installés, comme ce groupe de chibanis assez habitués au point d’y prendre leur première gorgée d’eau directement sur place. Comme n’importe quel groupe d’anciens, ils blaguent sur les jeunes. En voyant les gens manquer de place, l’un d’entre eux lâche à voix basse : “On verra combien on sera à la 27e nuit”.
Avant, je buvais, je fumais, je pensais jamais vraiment à tout ça. Mais je faisais quand même souvent le ramadan, je sais pas pourquoi.
Taoufik
Après la prière, Taoufik, 35 ans, range sa djellaba dans son scooter. Il n’est pour sa part pas un habitué, et il le concède : il ne sait pas si il viendra tous les soirs. Les affres des horaires de travail matinaux, des invitations à dîner, “et de la flemme”, il ne se ment pas à lui-même. “Ben ouais, ça fait aussi partie du jeûne de pas mentir”. Il raconte tout de même un mois important, un rendez-vous qui l’a déjà une première fois réconcilié avec sa foi : “Avant, je buvais, je fumais, je pensais jamais vraiment à tout ça. Mais je faisais quand même souvent le ramadan, je sais pas pourquoi. Au bout d’un moment, c’était devenu incompatible de jeûner un jour et de me péter la tête le lendemain. Ça me permet de me recentrer jusqu’à aujourd’hui.” Papa de deux filles, il va même jusqu’à dire qu’il ne les aurait pas eues sans ce rendez-vous annuel. “Aujourd’hui, j’ai toujours une vie sociale avec mes potes, je bois des coups, mais pas d’alcool. Mais le ramadan, c’est aussi fait pour passer plus de temps ici ou en famille.”
Raï conscient
De l’autre côté de la Plaine, hasard du calendrier ou pas, la galerie d’art Les Bains douches organise le vernissage d’un exposition sur l’Algérie le premier week-end du mois de ramadan. La salle d’exposition est un long cercle qui propose donc ce soir une série d’installations sur Ghardaïa, ville désertique hors du temps, des photos d’Alger à plusieurs époques ou encore un collage entre tradition et Occident. Deux arrêts stratégiques sur la route, couscous, mais surtout buvette.
Une discussion entre deux femmes, volée dans ce bouchon caractéristique du point le plus fréquenté de tous les vernissages du monde, illustre que ce n’est pas un temps particulier pour tous. L’une explique son arrivée tardive par la nécessité de faire le ftour avant d’arriver. “Le quoi ?” La rupture du jeûne. “Ahhh, j’avais complètement oublié, c’est vrai, c’est le ramadan !” La question qui suit est posée de manière pratique : comment peut-on s’intéresser assez à l’Algérie pour être ici, vivre à Marseille et ne pas savoir que c’est ramadan ? La réponse ne viendra pas, car l’homme seul qui est juste devant dans la queue vient poser une blague : “Je suis algérien, mais je fais le ramadan à ma façon. Je ne bois pas de rouge avant le coucher du soleil !”
Ici aussi la bande son est faite de mots en arabe, depuis une enceinte grésillante. Mais les comparaisons s’arrêtent là. Au centre de la salle il y a un jardinet central, dans lequel un escalier en colimaçon offre l’entrée au spot le plus prisé : un toit terrasse d’où provient le son, le vacarme, le ramdam. Un concert de raï au plus simple, d’un groupe composé d’un clavier, d’une voix à l’écho interminable et d’une section rythmique d’ordinateur. Mais un public auquel le groupe n’est pas habitué, et dont les pas de danse plus communs à la musique électronique qu’à la musique populaire algérienne font même parfois perdre son sérieux au chanteur, qui rit entre deux paroles d’amour.
La 59e wilaya
Karim, commerçant et habitué du quartier, partage son rire. Il a connu pas mal de dancefloors de raï, pas beaucoup comme celui-ci : “Jusqu’à il y a quoi, cinq ans, quand on mettait du raï en soirée, les gens nous faisaient la gueule. C’était même la seule musique qu’on m’interdisait de mettre quand je faisais des soirées dans le quartier. Aujourd’hui, ça attire le monde, c’est fou quand même.” Au plus près du synthé, parmi ces nouveaux amateurs, une piste d’explication est peut-être évoquée : “Y a eu un super docu sur le raï sur Arte, tu l’as vu ?”
On vient retrouver un goût de la maison ici, comme une table de chez nous.
Saïf
Dans les petites rues qui quadrillent Belsunce, parmi les commerces ouverts le plus tard dans un quartier qui fait la fierté nationale du gouvernement, les petites adresses de bouche ne sont pas encore gentrifiées. Ici, les brochettes grillent sur le feu de bois, les menus sont spécial ramadan et les bricks sortent parfaitement pliées des friteuses. La lingua franca est l’arabe, et les tables de ruptures du jeûne se partagent avec des inconnus qu’on salue comme des frères et des sœurs, des oncles et des tantes, sans aucun lien de sang.
Il est 22h, et pour Saïf, c’est l’heure du premier repas. “En ce moment les grosses heures de travail sont les mêmes que celles du ftour.” Arrivé il y a quelques années d’Annaba, il est livreur auto-entrepreneur, et a donc rapidement avalé une bouteille d’eau et de coca entre deux distributions de McDo et de sushis. Il est venu s’asseoir à une table où il sera vite rejoint par des amis. “On vient retrouver un goût de la maison ici, comme une table de chez nous. Et pendant ramadan, ça manque vraiment, même si bon, on est à Marseille.” Il y a une vieille blague un peu beauf qui dit que la première étape africaine du Paris-Dakar est Marseille. La variante algérienne qui apparaissait bizarrement dans le programme de Marseille 2013, est rappelée ce soir : “C’est la 59e wilaya (département) d’Algérie”.
Commentaires
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vie nocturne dynamique et éclairage sympathique du ramadan.
( finalement les chrétiens ont été plus finauds, leur carème, semaine sainte ne dure que 8 jours…. les musulmans doivent se taper un mois ! )
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