La réforme des retraites, étincelle d’une mobilisation massive des ouvriers de l’usine Satys
Depuis la grève nationale du 7 mars, la totalité des ouvriers de Satys, fabricant de revêtements pour l'aéronautique, ont cessé de travailler. Devant l'usine de Saint-Antoine, ils réclament des augmentations de salaire et rappellent les risques chimiques liés à leur travail de production.
Les salariés de l'usine Satys ont voté un sixième jour de grève pour réclamer des augmentations de salaire. (Photo : CMB)
Réforme des retraites et la pénibilité au travail ont été des mots d’ordre rassembleurs pour les salariés de l’usine Satys. La grève reconductible de la centaine d’ouvriers du site de Saint-Antoine (15e), où l’on recouvre les pièces des hélicoptères Airbus avec des substances toxiques, a d’ailleurs démarré le mardi 7 mars, comme en écho à la contestation nationale. Mais ce contexte n’est que l’ultime goutte d’eau. Le sujet qui provoque le plus de colère aujourd’hui, c’est les salaires. Avec des fins de mois à 1500, 1600 euros et sans grande perspective d’augmentation, les grévistes se disent “smicards”.
Depuis une semaine, la totalité des ouvriers de l’usine participent à la grève. Soit environ 110 salariés selon la CGT, syndicat majoritaire. “La seule chose qui entre et qui sort encore de l’usine, c’est les voitures de la direction. Sinon, toute la production est à l’arrêt”, se félicite David Gerin, délégué CGT. Sur le chemin de la Madrague-Ville, des voitures s’arrêtent en double-file ou klaxonnent en signe de soutien. “Tout le monde se connaît ici, poursuit le délégué syndical. La plupart des salariés viennent des quartiers Nord. On est un vivier d’emplois important pour le secteur.”
Un employé historique gronde : “on est en pleine inflation mais notre salaire a tellement stagné qu’aujourd’hui, le minimum légal nous a rattrapés”. Devant le piquet de grève, le mot “précarité” est dans toutes les bouches. Beaucoup de salariés ont plus de 20 ans d’ancienneté, tous assurent n’avoir jamais tenu une grève aussi longue. Depuis une semaine, les revendications tiennent en deux points, communiqués par mail le 7 mars à la direction : une augmentation des salaires de 4% et une prime semestrielle. Ces deux demandes sont complétées d’une troisième, liée à la situation : étaler sur plusieurs mois le non-paiement des journées de grève. “Sinon, on va vraiment pas s’en sortir”, souffle Stéphanie Gonzalez, déléguée CGT venue du site de Marignane en soutien.
Tendinites et vapeurs toxiques
Si ce piquet de grève tient plus longtemps que les autres, c’est parce qu’il se nourrit d’un sentiment d’injustice grandissant. “Au début, le mal-être était individuel. Puis ça s’est propagé”, résume Walid, d’abord recruté comme intérim avant de devenir contrôleur à temps plein. Avec l’inflation, les salariés de Saint-Antoine ont obtenu 1% d’augmentation, contre 4% pour les salariés des autres sites du groupe Satys. Une donnée qui a convaincu les derniers réfractaires à voter la grève la semaine dernière. Même logique pour les primes : “les cadres de l’usine touchent des bonus, mais pas nous. Pas de prime de pénibilité, pas de prime de risque, pas de 13e mois. Et le 13e mois, on le demande même pas”, explique Djamel, étonné comme ses collègues de voir que le conflit social s’enlise.
Contactée, la direction dément l’existence de primes pour les cadres mais confirme que les ouvriers de Saint-Antoine ont été les moins augmentés de la société, “pour cause de difficultés financières à court terme”.
Parmi les ouvriers, certains “peignent au pistolet les pièces des hélicoptères, debout, 8 heures par jour”.
Et pourtant, “ici, tous les métiers sont pénibles”, renchérit David Gerin de la CGT. Avant même d’évoquer les risques causés par l’utilisation de produits toxiques, le délégué syndical parle des “tendinites” et des “problèmes musculaires” de ses collègues. Selon lui, les arrêts de travail sont courants pour ceux qui “peignent au pistolet les pièces des hélicoptères, debout, 8 heures par jour” et ceux qui “portent les pièces toute la journée, parfois plusieurs plateaux de 28 kilos.”
Le dangereux chrome VI
Et puis il y a les substances chimiques, les “couloirs qui sentent comme du pétrole” et l’usage du chrome VI, classé cancérigène par le centre international de recherche sur le cancer. Selon les salariés rencontrés ce lundi, les mesures de protection ne sont pas toujours à la hauteur du risque. “On a nos masques et nos équipements individuels. Mais cela n’empêche pas que la vapeur s’échappe des cuves et se propage. Parce que les aspirateurs censés capter ces vapeurs ne sont pas assez puissants”, s’inquiète Stéphanie Gonzalez de la CGT.
Le risque du chrome VI ne s’arrête d’ailleurs pas aux enceintes de l’usine. En 2013, la fuite d’une de ces cuves a propagé la substance dans les nappes souterraines du quartier des Aygalades. Et comme le révélait Marsactu en 2019, le risque sanitaire a perduré.
Entre temps, Satys a repris l’usine et assuré en 2021 que “la ligne de chrome dur (…) est désormais totalement sécurisée”. Autrement dit, aucun risque que la substance ne fuite de nouveau sous les potagers des habitants des Aygalades. Mais les salariés sont-ils, eux, à l’abri ? “On est tous asthmatiques, on sait qu’on peut avoir un cancer du poumon dans dix ans, et on connaît des retraités de chez nous qui sont morts”, lance, dans un grand soupir de lassitude, un salarié qui cumule presque trente ans d’ancienneté.
À temps partiel après deux accidents du travail, Isabelle, 60 ans, ne “pense pas tenir” jusqu’à la date fixée pour sa retraite.
Assise sur une chaise Quechua devant l’entrée de l’usine, Isabelle, 60 ans, doit partir à la retraite dans 2 ans, et quelques mois de plus si la réforme du gouvernement est adoptée. “Mais franchement, je ne pense pas tenir”, lâche-t-elle en regardant le vide. Isabelle est aujourd’hui à temps partiel, à cause de deux accidents du travail et deux opérations des lombaires, après avoir été “projetée contre une cuve” par une machine.
Négociations au point mort
Lundi soir, les salariés ont décidé de reconduire la grève au lendemain. Au terme d’une rencontre avec la direction, il leur a été proposé une hausse de salaire insuffisante à leurs yeux : 2 %. Contactée, la direction précise que cette augmentation est bonifiée de 0,4% “à partir de dix ans d’ancienneté”, et de 1% en cas de bons résultats. Baptisée “prime de performance”, ce bonus pourrait être versé pendant six mois. “Sur six mois, cela représente tout de même 180 euros par salarié, insiste le représentant de la direction. En additionnant le salaire et la prime, nous arrivons à 3,4% d’augmentation.” Ou en tout cas pour ceux qui ont de l’ancienneté et des bons résultats. La direction précise qu’il s’agit de sa “dernière offre“, et regrette que la CGT “n’ait pas daigné accepter”.
La CGT a même renchéri : faute d’accord, elle exige désormais 5% d’augmentation. Djamel soupire : “avec la grève, la direction a perdu plus d’argent que si elle avait accepté nos revendications salariales. Ça veut dire qu’ils l’ont, l’argent. C’est juste qu’ils nous traitent comme des riens du tout.”
Commentaires
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C’est important ce type de reportage. Peu de gens connaissent la réalité de ces ouvriers.
(Certains sont même étonnés qu’il reste des usines de ce type et des ouvriers à Marseille).
Ils ne demandent pas la lune.
On peut les soutenir de différentes façons.
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merci pour vos infos sur ces sujets.
on se rend compte dans notre quotidien des secteurs qui sont en grève, ou en lutte contre cette réforme. et pourtant les radios et les chaines de télé en font à peine état ; se contentant de se gargariser du vote du sénat, et d’inviter les experts habituels qui nous expliquent la nécessité de crever deux ans plus vite.
on ne demande pas la lune, non plus, juste une information réelle. merci de le faire.
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Très drôle qu’on s’apitoie sur le sort de ces ouvriers quand, il y a 2 ans, ils étaient persona non grata eux et leur employeur quand il s’agissait de les déménager sur la ZAC des Florides à Marignane, où un nouveau lieu de travail devait leur permettre, au-delà de la pérennité de leur travail, d’avoir de meilleures conditions de travail (hé oui, l’outil y est pour beaucoup je n’apprends rien à personne).
A l’époque tout le monde semblait d’accord sur le fait que de telles activités polluantes n’avaient plus leur place, impliquant que les salariés eux aussi pouvaient bien aller se faire pendre.
Empathie d’opportunité, hypocrisie pérennisée.
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Bon courage à eux. 4% aujourd’hui, c’est déjà une baisse de pouvoir d’achat
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