Dans les Calanques, l’espoir de neutraliser les terres polluées grâce aux plantes
Depuis plusieurs années, une chercheuse suit la croissance de plantes sur la friche de l'ancienne usine de plomb de l'Escalette (8e) à Marseille. L'objectif est d'observer leur capacité à absorber les métaux lourds présents dans le sol. Des recherches encourageantes, sans offrir, à ce stade, de solution miracle.
L'expérimentation se base sur des végétaux plantés en 2015. (Photo SL)
Après vingt minutes de montée depuis la Madrague de Montredon, il faut quitter les sentiers balisés du massif de Marseilleveyre et se faufiler entre les arbustes. Sur la crête, un panorama se dégage : à droite, le Sud de la ville, à gauche, l’île Maïre brille sous la lumière d’hiver. Nous sommes entourées de nature, au milieu du parc national des Calanques, et pourtant, le sol sous nos pieds est chargé en métaux lourds. Ici, la cheminée grimpante de l’ancienne fonderie de plomb de l’Escalette a rejeté pendant des années ses fumées toxiques. Les bâtiments de l’usine et son crassier, tas de résidus solides issus de l’activité, gisent en contrebas.
Le pierrier pentu est le terrain de recherche de Lorène Tosini. Depuis plus de trois ans, la chercheuse de 27 ans est venue chaque mois pour observer, annoter et analyser le développement de plusieurs plantes méditerranéennes, repiquées en 2015 par des élèves du lycée des Calanques. L’objectif est d’évaluer la “phytostabilisation” : la capacité des végétaux à immobiliser les métaux lourds dans leurs racines et, donc, à limiter leur dispersion. À l’Escalette, après trois ans, le taux de recouvrement végétal est de 40 %. L’objectif est d’atteindre le double.
Cette technique est aujourd’hui envisagée dans plusieurs plans de gestion de la pollution de friches industrielles. Non loin de là, le fonds d’investissement Gingko, propriétaire du terrain de l’ancienne usine Legré-Mante, à la Madrague-de-Montredon, prévoit ainsi de créer une barrière végétale de la sorte dans son projet. À rebours des techniques de dépollution conventionnelles, elle porte l’espoir de traiter la pollution diffuse. Un pollution qui, comme celle de l’air, a des origines difficilement traçables, mais pour laquelle il est avéré qu’une exposition chronique est nocive pour la santé humaine.
Des plantes “warriors”
La cheminée de l’Escalette n’a pas été choisie au hasard par les scientifiques. En activité entre 1851 et 1925, l’usine de plomb a laissé des traces indélébiles. Les métaux lourds dans la terre et les pierres doivent être confinés pour éviter qu’ils ne se dispersent avec le vent et le ruissellement de l’eau de pluie.
Difficile d’imaginer enlever toutes les terres polluées de ces pentes escarpées. Il semble moins radical et plus réalisable d’aider la végétation à reprendre ses droits. Le présupposé : le plantes vont pouvoir immobiliser les métaux lourds, soit en les captant à l’intérieur de leurs cellules, soit en sécrétant des substances qui vont les figer dans la terre. Au final, elles peuvent ainsi rendre cette pollution inaccessible, notamment pour la faune qui passe ici, et empêcher qu’elle se disperse. C’est ce processus qu’analyse Lorène Tosini.
Sur place, il faut faire attention où l’on met les pieds. Vingt zones d’un mètre carré délimitées seulement par des cailloux se fondent dans le décor. Cyste, globulaire, coronille ou encore romarin y ont pourtant pris racine. Ces “warriors”, comme les appelle Lorène Tosini, poussent dans un sol où le taux de plomb peut atteindre 10 %, avec peu de nutriments et de matière organique. Ici, la quasi-absence de pluie et les rafales rendent plus difficile encore la croissance de ces plantes locales.
L’apparition spontanée de nouvelles espèces fait briller les yeux verts de la jeune femme. Vingt plantes telles que l’asparagus, la rue ou le brachypode ont poussée après la plantation des lycéens. “Ça a créé des niches favorables. C’est-à-dire que les graines qui étaient sûrement déjà dans le sol, ont pu se développer !”, s’enthousiasme-t-elle. Ces nouvelles venues lui ont rajouté une charge de travail supplémentaire dans l’élaboration de sa base de données. À certains endroits, elles poussent imbriquées. Au milieu des longues tiges vertes de la piptathérum, arrivée de son plein gré, les fleurs blanches de la globulaire plantée par les lycéens apparaissent. “C’est typique de la Méditerranée : plus les conditions sont difficiles, plus les interactions entre plantes sont positives“, explique Lorène.
20 ans de recherche scientifique
Son travail s’inscrit dans la lignée de vingt ans de recherche scientifique sur la pollution industrielle des Calanques. L’une de ses directrices de thèse, l’écologue Isabelle Laffont-Schwob, fait partie des pionnières à l’avoir étudié. Elle rembobine le fil de l’histoire, à distance. “C’est une prise de conscience de l’État en 2000 qui s’aperçoit d’une pollution sur un terrain derrière l’Escalette. Le conseil général détient les terrains du crassier et de la cheminée et s’est inquiété. Les collègues du centre européen de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement (CEREGE) ont commencé à travailler dessus et j’ai été recrutée“.
Plus d’une quarantaine de chercheurs de huit disciplines différentes – historiens, chimistes, sociologues, entre autres – ont œuvré ensemble. Ils réalisent une cartographie des concentrations en pollution des sols du massif de Marseilleveyre pour évaluer les enjeux de leurs transferts. Leur travail a notamment été mis en lumière dans le documentaire de Valérie Simonet en 2012.
Des douilles et des habitudes bien ancrées
Cette matinée de janvier, peu de randonneurs ont mis le nez dehors. Pourtant, ces sentiers sont sur-fréquentés en période de vacances et on trouve même, en haut de la cheminée, des traces d’activité humaine. Trois douilles de plastiques apparaissent entre les plantes. “La cheminée de l’usine, c’était une planque de chasseurs !”, explique la doctorante.
Certains sont étonnés quand je leur dis que le sol est pollué et d’autres me répondent « ça fait 25 ans que je viens ramasser du romarin et il ne m’est rien arrivé.
La création du parc national des Calanques en 2012, et donc, ses règlementations strictes en matière d’environnement, ont dû se heurter à des habitudes bien ancrées. Alors même que la pollution est connue depuis longtemps. “Certains sont étonnés quand je leur dis que le sol est pollué et d’autres me répondent « ça fait 25 ans que je viens ramasser du romarin et il ne m’est rien arrivé »”, raconte la doctorante. Certains habitants préfèrent fermer les yeux. « Qui ne rêve pas de vivre dans un cabanon avec vue sur mer ?”, complète Isabelle Laffont-Schwob.
Elles ne veulent pas affoler les troupes, disent-elles, mais bien sensibiliser à la protection des sols. “Le sol, c’est une ressource non renouvelable à l’échelle humaine ! Considérer un sol vivant, même pollué, comme déchet, c’est une hérésie pour nous les écologues !”, appuie la professeure, en faisant allusion aux techniques de dépollution conventionnelles, qui consistent à excaver la terre contaminée. Les mentalités évoluent notamment depuis la loi de 2016 sur la biodiversité, concède-t-elle.
Les sécheresses menaçantes
Si l’objectif n’est pas définitivement atteint à l’Escalette, la survie des plantes est déjà une victoire. “Ça ne fait que sept ans, c’est peu à l’échelle de la nature. Surtout dans ces conditions hyper difficiles de contamination et avec une démarche très peu intrusive. Il y a quand même une dynamique de résilience, parce que l’été quand ça crève la soif, il y a des plantes !“, défend la chercheuse.
Problème, le rythme du dérèglement climatique est, lui, beaucoup plus rapide. Et la chercheuse souligne : l’effet combiné de la contamination et des sécheresses régulières ralentit le développement des plantes. Comme une double peine, qu’aucune solution miracle ne pourra compenser.
Commentaires
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La légende de la grande et 1ère photo indique : “le cyste au premier plan et la globulaire au second plan, ont été plantés en 2015. (Photo SL)” S
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La légende de la grande et 1ère photo indique : “le cyste au premier plan et la globulaire au second plan, ont été plantés en 2015. (Photo SL)” Sauf erreur de ma part, il n’y a pas de cyste sur la photo
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Merci de votre remarque. Renseignements pris auprès de l’équipe scientifique, il y a effectivement une erreur, nous corrigeons !
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Sur le sujet de la pollution, voir aussi le livre de Xavier Daumalin : Les Calanques industrielles de Marseille et leur pollution”
Le propriétaire de l’usine de L’Escalette aurait vendu les charpentes métalliques de l’usine aux nazis pendant la guerre
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J’aimerai comprendre quelle la différence entre , par exemple, de l’arsenic dans le sol et de l’arsenic dans les racines d’une plante ? La pollution est toujours là et vue les précipitations l’arsenic du sol est déjà fixé et a peu de chance de se déplacer
De toutes les façons l’atome d’arsenic ne disparaitra pas !
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On récolte la plante entière. On la vend comme « Herbe à chat -produit de Provence « et on sauve plein de petits oiseaux.
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Lavoisier à dit “Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme”. Ici c’est les plantes qui transforment le poison arsenic.
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