LA FRACTURE
LA FRACTURE
Marseille n’est plus une ville. En effet, elle consiste en au moins deux villes séparées profondément par la Canebière : la ville du Nord et celle du Sud. C’est cette fracture qui empêche la ville de retrouver son urbanité, mais aussi, peut-être, sa prospérité.
Retrouver l’urbanité
Il faut que Marseille redevienne une ville. Cela veut dire que son espace, son territoire, les lieux dans lesquels vivent ses habitants doivent retrouver une unité qui permettrait de parler d’une ville. Comme dans toutes les villes, il y a toujours, à Marseille, ces quartiers différents selon la richesse des habitants qui y vivent, selon ce que l’on appelle leur niveau de vie. Mais, aujourd’hui, l’urbanité n’existe plus parce qu’il ne s’agit plus de différences entre les quartiers, mais d’une rupture entre deux villes qui se séparent de plus en plus. Avec cette fracture, c’est l’urbanité même qui a disparu. Demain, peut-être, il y aura des gardes pour veiller à cette frontière qui sépare les quartiers du Nord et ceux du Sud. Peut-être même ne parle-t-on pas la même langue dans ces deux villes. Et, du coup, on se rend compte que l’Alcazar, la bibliothèque municipale, cours Belsunce, en face des immeubles d’autant plus hideux qu’ils sont gigantesques qui sont là depuis les années soixante, est décalé. On ne s’attend pas à voir des livres dans un quartier que l’on a soigneusement tenu à l’écart des développements sociaux, des activités culturelles, des enrichissements esthétiques et patrimoniaux mis en œuvre dans les autres quartiers de la ville. L’urgence, aujourd’hui – car c’est une urgence – est de mener une politique destinée à faire retrouver à Marseille son urbanité, sa culture de ville, ses langages et ses projets esthétiques.
En finir avec la fracture
Pour cela, la première des urgences est d’en finir avec la fracture entre le Nord et le Sud. Il importe de faire en sorte que quartiers du Nord et ceux du Sud manifestent leur appartenance à une même ville, qu’il s’agisse de simples quartiers et non de mondes différents. Au-delà de l’urbanisme et de l’aménagement des sites, de la circulation dans les rues, de l’amélioration des dessertes et de l’entretien ou de la rénovation des maisons, il faut en finir avec la ségrégation qui amène les habitants de ces deux espaces urbains à ne jamais aller dans l’autre, dans celui qu’ils n’habitent pas, sinon peut-être pour aller y travailler. En finir avec la fracture, c’est faire en sorte que la vie dans les quartiers du Nord et dans ceux du Sud soit prévisible, qu’elle ne soit pas porteuse de menaces et de dangers pour les habitants qui y passent quel que soit le quartier d’où ils viennent. En finir avec la fracture, c’est, d’abord, faire en sorte que des échanges entre les deux mondes, que des circulations y soient aménagées, afin qu’il ne s’agisse plus de deux mondes mais d’un seul à l’unité retrouvée.
Repenser les lieux de la ville
Pour cela, sans doute convient-il de repenser les activités de la ville et leur répartition, leur distribution, dans l’espace urbain. Les activités culturelles et les activités sportives devraient être mieux réparties dans la ville. Il devrait y avoir des parcs et des espaces verts partout dans la ville. Pourquoi n’y aurait-il pas un parc Borély au Nord, afin d’engager les habitants du Sud à y aller et d’inciter ceux du Nord à retrouver dans le Borély su Sud une part de leur identité ? Repenser les activités de la ville, c’est aussi faire en sorte que les activités de la municipalité comme l’entretien ou la rénovation des immeubles soient réparties équitablement dans toutes les parties de la ville. Il y a une telle différence entre les quartiers et les habitations du Nord et ceux du Sud que c’en est devenu insupportable – et, par conséquent, source de violence. J’habite près du boulevard Chave, dans le cinquième, et, une fois par semaine, je dois me rendre dans le quartier Périer. Chaque fois, je suis frappé par la différence entre l’entretien des rues dans mon quartier et celui de Périer et des alentours de l’avenue du Prado. Comment une telle différence pourrait-elle ne pas expliquer une part des violences qui s’en prennent à la violence des inégalités ?
Refonder la citoyenneté
N’oublions pas ce qu’est un citoyen. Un citoyen, c’est un civis, quelqu’un qui, avec tous les autres, habite dans la cité. Comprendre cela, c’est, déjà, comprendre le lien entre l’espace et le politique : on ne peut être pleinement un citoyen que dans un quartiers où l’on puisse vivre en toute sécurité et que l’on ait plaisir à habiter. Pour être un citoyen et pour pouvoir vivre dans la ville où l’on habite, il faut que l’on puisse reconnaître l’autre comme politiquement et culturellement semblable à soi, afin que l’on puisse lui parler, l’écouter, échanger avec lui, débattre, apprendre, comprendre. Refonder la citoyenneté, c’est remettre le langage au cœur de la vie sociale, afin que la violence n’y ait plus de place. À Marseille, c’est devenu une véritable urgence. Après des décennies de laisser-faire et de négligence, voire de complicité, des municipalités successives, la citoyenneté de la ville a été détruite. La première exigence de la ville, la première tâche de la municipalité encore nouvelle, est là : dans la reconstruction d’un tissu social urbain sans déchirures, sans blessures, sans violences. Entendons-nous bien : ni la police ni la justice ne parviendront à faire retrouver à celles et à ceux qui habitent Marseille le sens de leur ville et son identité, elles ne peuvent, elles, que tenter de raccommoder, de rapiécer. Or, il ne faut ni raccommoder ni rapiécer : il faut recoudre le tissu urbain. Il faut faire retrouver à Marseille son tissu et son identité qu’elle a, peu à peu, perdus. L’urgence est là : dans le fait de permettre à celles et à ceux qui y vivent de reconnaître en l’autre leur semblable, de faire de la différence un enrichissement, de faire de la ville un véritable espace commun de parole, de culture et d’échanges. En refondant ainsi la citoyenneté, il sera possible de faire en sorte que Marseille redevienne une ville.
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Bonjour Monsieur Lamizet,
Je fus l’un de vos élèves (il y a loooongtemps) à l’Université d’Aix en Provence. Votre module était alors “Langages et médias”. Il me reste aujourd’hui de solides réflexes acquis lors de vos cours.
En lisant vos chroniques, je me réjouis de voir que nous ( vous, moi, et d’autres) pouvons vieillir sans devenir des “sages sur nos rochers”, enclins au relativisme et au confusionnisme.
En tous cas je l’espère ?
Je vous salue donc avec reconnaissance et à l’occasion je vous rappellerais une anédocte assez drôle qui vous concerne et que vous avez probablement oubliée.
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