[Marseille secret] Le chant des sirènes
Guillaume Origoni, photographe et journaliste raconte des pans de Marseille qui ne se donnent pas à voir au premier regard. Explorateur de l'urbain, il aime se glisser dans les lieux abandonnés, cachés voire oubliés. Dans Marseille secret, il partagera ses excursions les plus marquantes.
(Photo : Guillaume Origoni)
Les plus âgés d’entre nous se souviennent sûrement des premiers mercredis du mois d’antan. Ils étaient caractérisés par le son strident des sirènes d’alertes qui retentissaient dans tous les quartiers de la ville et toutes les villes du département. Ce cri primal jaillit encore de temps à autre des corolles grises perchées sur les toits des écoles communales ou des bâtiments institutionnels. Il nous rappelle les dangers auxquels nous, pauvres humains, sommes assujettis : inondation, tornade, tremblement de terre…
Ces sirènes sont également destinées à prévenir des attaques hypothétiques, qu’un non moins hypothétique ennemi pourrait lancer des cieux en déclenchant un déluge d’acier similaire à ceux que reçoivent quotidiennement les habitants de Dnipro, Kherson ou Zaporijia.
Ce mycélium urbain s’étendait du centre de Marseille aux campagnes de la région, jusqu’en Corse. Enfant, je me demandais toujours quel était le souffle de titan qui alimentait ces trompettes de Jéricho sécularisées et dans quels obscurs recoins prenait naissance cet air comprimé qui, passant d’une sirène grise à l’autre, nous ordonnait de nous mettre à l’abri.
Décor de James Bond low cost
Je suis capable aujourd’hui de répondre à cette question : ce dispositif existe et il se niche quelque part dans le centre de Marseille, sous un sarcophage de roche et de béton armé. Il est pour le moment en sommeil, mais semble prêt à reprendre du service si nécessaire.
Aujourd’hui, nous n’entendons que rarement certaines de ces sirènes d’alerte. Le processus est automatisé depuis la fin des années 1990. Avant cette date, il y avait un opérateur du réseau national d’alerte (RNA) qui appuyait sur des boutons, basculait des interrupteurs devant une carte de la région constellée de témoins lumineux colorés. Un décor de James Bond un peu low cost. Entre 2009 et 2012, le RNA est remplacé par le système d’alerte et d’information des populations (SAIP) et les Bouches-du-Rhône font partie des départements pilotes de cette évolution. Autant dire qu’il n’y a plus personne dans l’antre des sirènes depuis longtemps.
Le souterrain est de petite taille. On y pénètre, si, et seulement si, on connaît les formules magiques permettant d’ouvrir les deux portes pare-souffle aujourd’hui occultées par la végétation luxuriante. Elle prospère dans la liberté retrouvée des lieux désaffectés. Le noir est total, j’avance à tâtons avant de mettre en place les sources lumineuses que j’ai apportées avec moi pour la photographie. Je comprendrai plus tard que l’ensemble est encore alimenté par l’électricité…
Quelques pièces vides bordent le petit couloir central. Au milieu de celui-ci, à droite, une coursive débouche sur une pièce qui comporte quatre alcôves similaires à des cellules. L’ambiance est plutôt lugubre, mais peu de souterrains abandonnés inspirent la joie.
Je pense au titre de Casey et La Rumeur mis en musique par Serge Teyssot-Gay, “L’angle mort” :
“Je cherche l’angle mort à la barbe des miradors
La voie dérobée, le coin de cloison ébréché
Le souterrain mal fouillé dont les sentinelles ont égaré la clef
Ma presse à faux passeports, mon billet pour le Grand Nord
Mes propres boîtes de Pandore, boîtes noires et caisses d’or (…)”
Le plafond, très bas, est une hybridation de roche calcaire sombre et de béton armé en bon état.
Me voilà dans le cerveau de ce corps mutant. C’est d’ici que partaient les influx nerveux, qui jadis, faisaient hurler les sirènes. Une carte rongée par le temps, protégée par un encadrement de métal et une vitre intacte (ce niveau de conservation est rare, c’est l’une des raisons pour lesquelles nous ne donnons aucune indication qui pourrait permettre la localisation du lieu), indique l’emplacement des hurleuses.
Arès, dieu du bruit et des tumultes
De Marseille à Orange et de Corte à l’île Rousse, l’opérateur de la sécurité civile avait le pouvoir unique de noyer sous les décibels un tiers de la PACA. Lorsque ce dispositif analogique a été automatisé, il est devenu impossible de se prendre pour Arès, dieu du bruit et des tumultes. Les ordinateurs ont peut-être un cœur, mais ils n’ont pas d’âme.
La machinerie est rongée par la rouille à l’exception du filtre à air manuel qui fonctionne encore parfaitement. Sa manivelle permet de renouveler l’air à l’intérieur du souterrain dans le cas d’une coupure d’électricité ou d’une panne. Dans le fond, les sanitaires prennent une allure de time capsule avec les produits d’entretien de marques aujourd’hui disparues.
C’est la deuxième fois que je “visite” ces boyaux invisibles pour la grande majorité des Marseillais. Je dis et écris souvent que cette passion pour ce qui est dérobé, caché, codifié ; ce goût du désaffecté, relève de réflexes enfantins : l’excitation de la découverte mêlée à la peur de l’inconnu.
Mais, l’âge tendre est loin. Rapidement, la raison l’emporte sur le cœur. Je me demande donc où vais-je trouver les informations qui me permettront de savoir quelle est l’origine du souterrain. Par qui a-t-il été creusé ? Quand et pourquoi ?
C’est Bernard Descales qui va me renseigner. Il est tout comme moi un urbexeur qui prend plaisir à déambuler dans “le souterrain mal fouillé dont les sentinelles ont égaré la clef”. Avec le temps, cette pratique l’a rendu incontournable dès lors que vous cherchez des informations sur les vestiges militaires, les fortifications, les bunkers et blockhaus qui constellent la région et principalement en bord de mer. Avec d’autres acolytes, ils ont fondé l’association FMBR qui fait aujourd’hui référence : “Nous ne sommes pas historiens. Notre démarche est avant tout celle d’amateurs ne se prenant pas au sérieux, mais nous restons rigoureux lorsque nous faisons nos recherches”. Amateurs peut-être, mais suffisamment chevronnés pour que le musée d’Histoire de Marseille fasse régulièrement appel à eux.
Typique construction allemande
L’homme est affable, sympathique et maîtrise son sujet : “Je connais bien le dispositif dont vous me parlez. C’est une typique construction allemande de l’année 1942. Il y en a beaucoup à Marseille. Elles ont été construites très rapidement. Celle-ci devait servir comme entrepôt de munitions”.
J’apprends qu’il existait une seconde entrée, aujourd’hui condamnée : “C’est une question évidente de sécurité. Souvent, il y en avait même trois”.
À la fin de la guerre, ce site, comme tous les autres, est récupéré par la défense passive (ancêtre de la défense civile) qui opère un recensement. L’idée est d’utiliser ces lieux pour protéger la population en cas d’attaque et notamment de conflit nucléaire.
Je comprends que pour un vieux routier de l’urbex militaire comme Bernard, ce site présente peu d’intérêt. Il préfère les dispositifs massifs, vastes et qui recèlent un véritable intérêt historique. Mais, tout comme moi, il reste chez Bernard des embruns d’enfance qui le poussent à aimer ce passé qui refuse de mourir vraiment.
Bernard et moi ne sommes plus enfants depuis longtemps. Pourtant, nous entendons toujours le chant des sirènes.
Nota bene : Dans ses explorations urbaines, Guillaume Origoni, prend le risque d’entrer dans les lieux à l’abandon ou non ouverts au public, qui recèlent potentiellement des dangers. Il se passe parfois de l’autorisation des propriétaires. Bien entendu, ce type d’exploration menée par un journaliste ne peut être reproduit par quiconque.
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Est il vrai qu’un conduit débouche dans les vestiaires du trolley bus ?
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