[Nous, la politique] “Les soignants, on est devenus un argument politique”
Jusqu'au premier tour de l'élection présidentielle, Marsactu part à la rencontre de citoyens pour sonder leur relation à la politique et aux politiques. Et offre à un groupe de personnes, liées entre elles par un centre d'intérêt, un milieu social, un combat, un lieu de vie... l'occasion de débattre. Cette semaine, nous avons pris une pause avec des infirmiers en réanimation de l'hôpital Nord.
Marjorie, Sabine, Maxime et Anick, infirmiers du service "médecine intensive réanimation" de l'hôpital Nord. (Photo C.By.)
L’agitation maîtrisée propre aux réanimations hospitalières n’est qu’à quelques pas : le long couloir bruisse de bips réguliers et des soignants en blouses bleues vont d’un box à l’autre. Mais dans la salle de repos qu’occupe une longue table ovale, le calme règne. Ils sont quatre infirmiers du service de médecine intensive et réanimation de l’hôpital Nord à accueillir Marsactu, le temps d’une pause, pour parler politique.
“Les politiques venaient, ils faisaient une photo avec le chef et n’entraient même pas dans le service… Mais après ils twittaient des trucs sur leur visite. Quelle blague!”
Marjorie
Un sujet qui s’est régulièrement invité entre ces murs, ces derniers mois. Les vagues et reflux du Covid-19 ont vu affluer ministres, maires et autres représentants des collectivités locales. Autour de la table, les infirmiers rigolent : “On les a tous eus ! Olivier Véran, Agnès Buzyn, Jean Castex, Benoît Payan, Michèle Rubirola …” Ces visites à répétition sur fond de pandémie ont-elles changé leur rapport aux politiques ? Pas vraiment. “Ils venaient, ils faisaient une photo avec le chef et n’entraient même pas dans le service… Mais après ils tweetaient des trucs sur leur visite “au contact” des soignants. Quelle blague !”, s’agace Marjorie, trois ans de réa au compteur.
La trentenaire, au carré blond et au franc-parler, a refusé de venir faire nombre sur la photo. Des quatre professionnels réunis, elle est la plus revancharde à l’égard des élus : “Ils ne sont jamais vraiment venus parler avec nous. Mais qu’ils viennent, qu’ils passent du temps ici, qu’ils touchent du doigt notre charge de travail ! Ça, oui, ce serait intéressant. Alors qu’en fait depuis deux ans, nous, les soignants, on est juste devenus un argument politique.”
Épuisés après le Covid
Jamais ce mot, “soignants”, n’avait à ce point trusté les antennes médiatiques, colonisé les discours politiques, avec moult promesses à la clef pour ces services de santé publique devenus soudain essentiels aux yeux de tous. Un sujet qui n’est aujourd’hui plus à l’ordre du jour de la présidentielle, déplorent-ils. L’épidémie les a laissés épuisés, vidés. Les infirmiers détaillent sans se plaindre les journées de 13 heures, les plannings sans cesse en mouvement, les lits qu’on ouvre en urgence, la vie familiale parfois compliquée… Autour de la table où ces soignants ont l’habitude de prendre leurs repas, on gagne en moyenne 2000 euros par mois. Tout dépend de l’ancienneté, des heures sup’ et des dimanches travaillés. “J’essaye de me satisfaire de ce que j’ai. D’autres ont moins. J’arrive à payer le crédit de ma maison, je mange correctement, je ne viens pas bosser à poil… Mes besoins primaires sont satisfaits”, détaille Marjorie. Assis en face d’elle, Maxime, 31 ans, infirmier en réanimation depuis dix ans, soulève une question, presque philosophique : “Mais répondre à ces seuls besoins essentiels, est-ce que ça suffit ?”
Au sortir du mandat Macron, face au gouvernement sortant, ce qui prédomine chez ces infirmiers c’est “le manque de confiance”. Sur les 24 lits du service, 4 sont occupés par des patients atteints de Covid-19. Mais tous les quatre jugent l’abandon du masque dans les lieux publics précipité, voire électoraliste, et pronostiquent une hausse prochaine des malades. “On est à 100 000 cas par jour ! Les masques on va les remettre juste après les élections. On aura un effet dans les réas, dans trois semaines”, grince Maxime.
Négociations avec Olivier Véran
Paradoxalement, la crise du Covid a été la chambre d’écho des infirmiers de réa auprès des politiques. “Ça a un peu servi notre cause”, reconnaît Sabine, 53 ans, une blouse blanche passée sur un pull orange. Infirmière depuis 19 ans, engagée syndicalement durant sa carrière, elle est désormais présidente de la Fédération nationale des infirmiers de réanimation (FNIR). Quelques jours auparavant, la quinqua était encore assise à la table des négociations avec Olivier Véran, le ministre de la Santé. “Moi, je suis quelqu’un de gentil, sans doute d’un peu naïf. Mais dans cette crise, j’ai découvert qu’il fallait être politique pour faire avancer les choses”, explique Sabine. Être politique ? Comprendre “batailler, harceler, ne pas lâcher”. L’infirmière prolonge : “Au départ, je croyais qu’arriver avec des demandes raisonnables suffisait, qu’on allait nous dire : Ah, oui, ce que vous proposez est tout à fait recommandé. Évidemment, ça ne s’est pas exactement passé comme ça !” Elle aligne néanmoins les revendications exaucées ces derniers mois : Ségur de la santé, hausses de salaire, primes pour les infirmiers de réa…
“Ces deux dernières années, on a vu pas mal de gens partir de nos services à cause de la pénibilité, du manque de reconnaissance ou des salaires trop faibles”
Anick
“C’est une première prise de conscience”, analyse Anick, 58 ans. Comme Maxime, Marjorie et Sabine, cette infirmière major de soins attend de la présidentielle à venir qu’elle ne vienne pas mettre l’éteignoir sur les doléances des soignants. “Ces deux dernières années, on a vu pas mal de gens partir de nos services à cause de la pénibilité, du manque de reconnaissance ou des salaires trop faibles”, note-t-elle encore. Au diapason de ses collègues, elle aborde cette nouvelle échéance électorale sans nourrir de grands espoirs.
Pas passionnés, pas passionnants
Tous iront voter. Mais ils ne savent pas encore pour qui, ils nagent dans “le brouillard”. Marjorie pique : “Je ne suis pas passionnée, en même temps les candidats ne sont pas passionnants”. Maxime, lui, suit les débats à la télé ou sur les réseaux sociaux et lit les programmes. Sensible à la cause LGBT et le cœur à gauche, il essaie de trouver le candidat idoine : le moins stigmatisant, le moins clivant, cadre-t-il. À ses côtés, Sabine souffle : “Dans un monde idéal, je voterais vert. Mais là…” La gauche ? “Même avec une bonne grosse dose d’adré [adrénaline], y a rien qui repart !”, se marre Marjorie. Anick, affiche un positionnement “plutôt à droite”. Elle ne votera pas Pécresse. La suggestion la fait même rire. Comme Maxime, son vote sera d’abord celui d’un barrage à Marine Le Pen et Eric Zemmour. L’extrême-droite serait à leurs yeux “une catastrophe” pour le pays en général et l’hôpital public en particulier.
“Travailler à l’hôpital public, c’est un acte politique en soi”
Sabine
Car s’ils ne sont pas tous sur la même ligne idéologique, les quatre infirmiers disent tous leur attachement au service public de la santé et leur fierté à le défendre. “Travailler à l’hôpital public, c’est un acte politique en soi”, souligne Sabine. Les autres professionnels hochent la tête. Elle poursuit :“Ça me tient profondément à cœur. J’y crois encore ! Je serais fâchée de devoir partir dans le privé pour des questions financières, par exemple.”
Rustines
À son grand désarroi, pourtant, l’hôpital et ses personnels ne figurent pas nécessairement dans les thématiques premières des programmes des candidats à l’Élysée. “Je ne vois rien de concret sur l’hôpital dans les propositions”, regrette Maxime. À ses côtés, Sabine s’inquiète que ce chantier d’une ampleur colossale soit finalement bricolé avec “quelques rustines”. Marjorie est d’accord mais apporte une nuance : elle trouve que “l’argent public est trop mal utilisé.”
Dans la salle de repos, à mesure que la pause de midi s’étire, les quatre infirmiers hospitaliers rêvent de voir les prochaines séquences électorales placer les soignants au cœur des débats. Et plus globalement de sentir une classe politique qu’ils décrivent comme “en décalage” plus en prise avec le réel. Sabine conclut : “À l’hôpital, on a l’habitude de dire que le patient doit être placé au centre. En politique, ça devrait être pareil, avec le citoyen au cœur de tout. Mais ce n’est pas le cas.”
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Formule prononcée en 2009 au Conseil Général (socialiste) de l’Essonne, reprise par Frédéric Delannoy, Maire d’Hornaing en 2017, qui en attribue la maternité à Martine Aubry .
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