[Mes châteaux d’If] Georges et Louis et… Emma.
Christophe Goby a longtemps écrit pour la revue Silence, le mensuel CQFD, il collabore aujourd'hui au Monde Diplomatique aux pages livres. Il tient ici une chronique littéraire qui embrasse le monde dans toute sa diversité.
Détail de la couverture de l'intégrale de Georges et Louis de Goossens.
Ne dites pas du travail de Goossens que c’est absurde ou ça va m’énerver. Ce monstre de la bande dessinée maîtrise l’ art du crayon sous les traits de personnages de grands films américains, et renverse les rôles, mettant le haut en bas. Il moque comme au carnaval les figures hautes, celles des gens beaux, des héros, en mettant dans leur bouche des propos populaires. Tenez, en juillet, dans le magazine Fluide Glacial où il fait paraître ses fourberies, il dessine la star de la bande dessinée et des jeunes évaporés, Corto Maltese, le prototype du beau gars, sorte de héros déchu des cieux, traînant sa crise existentielle sur toutes les mers. Pour en faire quoi ?
D’abord, il le grime avec une casquette Pernod – sacrilège – quand il rencontre la belle Esmeralda qui porte une clope au bec de manière aussi naturelle que moi portant un tee shirt délavé Hollande 2012, puis il lui fait dire des choses du langage courant alors qu’il y a toujours un décalage avec l’image. Et normalement, à moins d’être ministre de l’Intérieur, on rit comme une baleine. Enfin c’est ce que disent les cétacés et les sénateurs qui sont des boute-en-train, comme chacun sait. Les cases suivantes, Corto passe dans un autre film américain avec la sempiternelle image de la revue militaire où l’on se fait traiter de trou du cul (excusez l’auteur pour ces mots déplacés mais c’est l’armée, mon pote) par un gradé. “Et où est ce qu’on est, ici Maltese ? Au carnaval ?” Réponse de Corto, casquette Pernod sur le front : “Non sir !” (Prononcez, sœur.)
L’album Georges et Louis qui vient de sortir en intégrale est à méditer en regard de ce que je viens d’écrire ou alors lisez un édito de Guillaume Roquette du Figaro Mag parlant du RSA et vous comprendrez ce qu’est le monde réellement renversé. Mais vous pouvez le voir autrement. Georges et Louis sont des types dont vous faites peut être partie, vous savez ces gens qui parlent tout seul, sans lâcher le morceau, sans tenir en compte de la conversation avec l’autre. Comme Guillaume Roquette du Figaro Mag, par exemple. Vous voyez bien, ces gens pas méchants mais insistants.
Si Goossens a quelque chose de Flaubert, c’est que Gustave, pas seulement dans Bouvard et Pécuchet, moque une société, et des types sociaux. Prenez Charles Bovary, un éteignoir à lui tout seul, une sorte de député centriste, et bien Charles est ce type que veut quitter Emma car elle veut vivre, elle veut danser, fréquenter, s’amuser et aimer. Mais au delà de ça, c’est toute la société de Yonville qui s’ennuie à mourir dans cet époque corsetée. “Mais elle, sa vie était froide comme un grenier dont la lucarne est au nord, et l’ennui, araignée silencieuse, filait sa toile dans l’ombre à tous les coins de son cœur.” Et Léon, le clerc, qui rentrant de sa balade avec Emma se dit : “Comme je m’ennuie…comme je m’ennuie.” Sale époque d’avant la télévision.
Georges et Louis sont des employés de bureau, habillés de grosses chaussures, portant chapeaux et cravates, qui s’engagent dans des grands défis aussi importants que de découvrir le futur. Ce monde d’après où l’on ne relève plus ses braies car on a découvert que c’était plus simple de vivre le pantalon en bas des jambes. Nos deux personnages voyagent dans un monde inspiré par des scènes de films et l’on se demande si l’auteur n’a pas découvert le pot aux roses sur les codes sociaux et leurs représentations. Il part de situations ordinaires pour les détourner de manière radicale. Rien ne l’arrête dans ce détournement flaubertien de la réalité. Mais Goossens est moins cruel que Flaubert. Ce dernier détruit la société bourgeoise et ses vices, il attaque ses faux semblants. Goossens lui pardonne au peuple. Il nous délivre par des catapultes temporelles, des ellipses. Il transforme les pauvres et les petites gens en héros du jour comme ils donnaient la parole aux bébés dans son encyclopédie. Goossens tourne l’artifice de l’art pour mieux révéler la sombre réalité. Diantre, ça c’est envoyé !
Georges et Louis, Goossens, intégrale Volume 2. Fluide Glacial. 2021.
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