Érika Riberi vous présente
Chronique littéraire

Marseille au rythme des années 20

Chronique
le 23 Oct 2015
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Marseille au rythme des années 20
Marseille au rythme des années 20

Marseille au rythme des années 20

Pour cette première édition week-end, nous vous proposons une plongée littéraire avec Erika Ribéri. Il y a quelques années, nous l’avons vu débarquer à Marsactu comme stagiaire. Jeune journaliste prometteuse, elle a été très vite rattrapée par la passion des belles lettres. Une thèse à la fac et une émission sur Radio Grenouille en cours, elle trouve encore le temps de nous proposer une chronique des auteurs et ouvrages qui prennent langue avec le territoire. Au programme, pour cette première, Banjo de Claude McKay.
L’équipe de Marsactu
Claude Mac Cay au côté de Max Eastman, le rédacteur en chef du journal Liberator, lors du 4e congrès de la troisième internationale à Moscou en février 1923.

Banjo de Claude McKay, Éditions de l’Olivier, 2015, 14,90 euros.
Traduction de l’anglais (États-Unis) et postface par Michel Fabre


Vous ne l’aurez peut-être pas remarqué, mais s’il vous arrive de vous balader sur le Vieux-port en direction du Fort Saint-Jean, vous serez à coup sûr passé devant le tout nouveau passage McKay inauguré en juin dernier. Mais pourquoi donc, me direz-vous, un passage McKay à Marseille ? Je vous répondrai : car dans les années 20, un auteur jamaïcain naturalisé américain du nom de Claude McKay (1889-1948) a posé pour un temps ses souliers de bourlingueur inlassable dans la ville, et qu’il en a ensuite fait le cadre de l’un de ses romans publié en 1928 : Banjo. Alors, pour cette première chronique, parlons de Claude McKay et de Banjo.

Que se passe-t-il, d’abord, dans Banjo ? Pas grand chose, en fait… Ou plein de petites, c’est selon. Ce qui fait l’intérêt du roman, ce n’est effectivement pas tant ce qu’il s’y passe que ce qu’on nous y décrit : la vie quotidienne à la fin des années 20 de Banjo, Malty, Ray et tous les autres… Une bande de joyeux lurons noirs débarqués à Marseille et bien décidés à y mener la vie de vagabondage et de liberté dont ils rêvent entre les docks de la Joliette, le vieux port et la Fosse, surnom donné au Quartier Réservé de Marseille détruit en 1943. Et quelle Marseille ! Une Marseille dont le port nourrit l’imagination de tous les marins du monde et où la diversité et le mélange des cultures sont déjà une spécificité. A chaque chapitre, à chaque évocation de rue ou de lieu, on se dit que McKay a réussi à saisir et à nous rendre quelque chose de la ville.

Ce roman, c’est donc bien sûr le plaisir de retrouver une ville que l’on connaît, mais aussi une époque qui nous fascine : celle du jazz des années folles, dont les notes semblent avoir volé d’Harlem aux bas-fonds marseillais. Une fois encore, l’écriture de McKay fait des miracles, et sa plume nous offre une plongée entraînante dans les bars de la Fosse qui s’animent à la description des corps entraînés par les derniers airs de blues à la mode. Au-delà de l’intérêt pour Marseille, le roman est ainsi aussi largement porté par tout le contexte historique, culturel mais aussi social et politique dans lequel il s’inscrit… Et c’est progressivement la question de l’inégalité raciale qui va s’imposer comme l’un des thèmes centraux du roman.

Il y a dans Banjo et dans la polyphonie de ces voix qui s’élèvent une volonté toute remarquable d’envisager les rapports humains dans ce qu’ils ont de plus complexes et de plus véridiques.

Rien de bien étonnant quand on sait que Claude McKay est un écrivain noir américain à une époque où les Etats-Unis sont encore marqués par la ségrégation mais aussi par un renouveau culturel afro-américain très fort (la Harlem Renaissance, dont McKay est l’un des principaux représentants) et par plusieurs mouvements visant à l’émancipation des Noirs Américains. Le roman devient ainsi le lieu de débat de nombreuses questions autour des relations entre Blancs et Noirs, chaque membre de la bande donnant à entendre son opinion.

Il y a ainsi, dans Banjo et dans la polyphonie de ces voix qui s’élèvent une volonté toute remarquable d’envisager les rapports humains dans ce qu’ils ont de plus complexes et de plus véridiques. McKay refuse de voir le monde en une ou même en deux couleurs : il préfère l’exception à la moyenne et recherche l’authenticité de la voix singulière au discours de vérité bien établi. Comme le dit McKay lui-même : « ce qui m’intéresse c’est la vérité et non la propagande ».

C’est à peu près le même combat de Ray, le « poète vagabond » qui se détache progressivement parmi les personnages du roman. [Difficile de ne pas voir dans cet intellectuel de couleur une sorte de double littéraire de McKay]. Difficile [aussi] de ne pas être sensible à ce personnage tout en subtilité, amoureux de la variété et du changement, qui refuse de « dédaigner les fruits de la vie parce qu’il trouv[e]  un ver au cœur d’une pomme ou deux ». Lui-même se place pourtant en observateur privilégié de la société occidentale, et le constat qu’il en fait n’est jamais très reluisant… Tout comme il se révèle souvent d’une déconcertante actualité. Car in fine, c’est bien aussi pour ça que Banjo vaut la peine d’être lu en 2015.

En 2015 peut-être encore plus qu’en 2014, d’ailleurs, à l’heure où la France et l’Europe songent à fermer leurs frontières et où les discours de repli sur soi et de rejet de l’autre se multiplient. Dans ce contexte, il est vrai que l’on ne peut s’empêcher d’être sensible aux analyses du personnage qui peut par exemple dénoncer l’hypocrisie d’une France orgueilleuse de ses valeurs humanistes. Presque 100 ans après avoir pris vie sous la plume de son créateur, Ray continue ainsi, plus que tout, de nous mettre en garde : contre les préjugés et les stéréotypes, contre la xénophobie et contre la fermeture nationale.
Alors lisons, et donnons à lire le grand Banjo. Parce qu’il y a Marseille, parce qu’il y a le jazz, mais surtout parce qu’il y a cette indépendance d’esprit et cet amour de la vie et de la diversité d’un auteur qui donne définitivement envie d’être un peu plus libre avec Banjo, Ray, Malty, Ginger et tous les autres.



Commentaires

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  1. Michael Birritteri Michael Birritteri

    Les gens ne liront pas les pancartes ! Il est préférable d’enlever ces statues (comme de renommer l’école Bugeaud mais aussi celle qui porte le nom de Jules Ferry) et d’intégrer celles ci dans un musée qui reviendra sur le passé coloniale de Marseille, un peu comme l’a fait des villes comme Liverpool. Cela permettra aux enfants d’apprendre ce qui a été fait d’horrible dans le passé à Marseille !
    Qui lira une pancarte ?
    Un enfant ? Certainement pas !
    Un adulte ? Rarement !
    Avec un musée, les gens viendront avec le désir d’en savoir plus et les enfants auront l’occasion d’apprendre (notamment dans le cadre d’une sortie scolaire) , ce qui ne se produirait pas avec une simple plaque !
    Ainsi combien de personnes lisent, par exemple, la plaque du boulevard des dames pour savoir la raison pour laquelle il est nommé ainsi ?
    Regardez, à Aix, l’existence du camp des Milles qui a été transformé en musée à beaucoup fait pour que les gens en sachent plus !

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    • Alceste. Alceste.

      Fatigant cette manie de la repentance.
      Fatigant cette culpabilisation incessante.
      Si vous voulez une réécriture de l’histoire au profit d’idéologues il faut le faire aussi en confrontant tout ceci à une véritable méthode historique et ne pas faire de de l’histoire à charge.
      L’esclavage est malheureusement universel. Romains, Arabes, Africains ont été des prédateurs esclavagistes et ce n’est pas la panacée des seuls Européens. Mais face à ceci nous avons des crises d’amnésie de ces soit disant penseurs.
      Dans mon esprit les uns n’excusent pas les autres.
      Alors faire un lieu de mémoire, oui mais pas fait d’une histoire culpabilisante surtout pour les jeunes d’aujourd’hui ou alors il faudra aussi rappeler aux autres ce que nous avons pu subir aussi dans notre histoire. Mais cela ne serait pas très intelligent.

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