Étudiants désespérés face à la crise : “J’ai zéro euro qui rentre sur mon compte”
Cours à distance, perte de petits boulots, confinement... En début de cursus ou sur le point d'être diplômés, les étudiants vivent avec grande difficulté cette crise sanitaire et économique.
Distribution de produits de première nécessité pour les étudiants à la fac Saint-Charles le 28 avril 2020. Photo : PID
La file d’attente s’étend et se renouvelle en même temps que les minutes. Des dizaines d’étudiants, chariots et sacs de courses à la main, font la queue sur plusieurs mètres devant le petit local de l’association Vendredi 13, à Plombières (14e). En ce dernier week-end de novembre confiné, des bénévoles, gilets fluorescents sur le dos, s’activent pour distribuer des denrées alimentaires aux étudiants. “Des conserves, des légumes, des yaourts, des féculents… Il y a un peu de tout”, liste Daniel Rocheteau, responsable de l’entrepôt. “C’est un panier d’environ une vingtaine d’euros”, estime-t-il.
Une vingtaine d’euros que Dieu-Sadrefin, étudiant en école de commerce est bien content d’économiser. Discret, il attend son tour en retrait des autres. Le jeune homme de 25 ans bénéficie du dispositif pour la première fois. Au précédent confinement, il était encore à Brazzaville, au Congo. Il ne s’est installé en France qu’en septembre dernier, avec pour objectif de travailler en parallèle de ses études, “pour soulager les parents”.
Dieu-Sadrefin ne peut même plus payer le loyer et la nourriture
Même l’argent que m’envoient mes parents baisse au fur et à mesure du temps
Dieu-Sadrefin
Déjà diplômé en comptabilité, il espérait trouver rapidement un emploi à mi-temps ou en alternance. Mais à peine a-t-il eu le temps de poser ses valises que la crise sanitaire est venue chambouler ses plans. Impossible pour lui de décrocher un travail avec l’annonce du second confinement. Et son statut d’étudiant étranger ne lui permet pas d’obtenir la bourse sur critères sociaux proposée par le CROUS. “Même l’argent que m’envoient mes parents baisse au fur et à mesure du temps, constate-t-il. Au début, ils comptaient m’envoyer le même montant chaque mois, environ 600 euros. Là, déjà, c’est 300 euros de moins“. Eux aussi sont touchés par les effets de cette crise sanitaire et économique.
Avec un si maigre budget et des frais de scolarité de 2 900 euros à payer, Dieu-Sadrefin n’a d’autre choix que de remettre son indépendance financière à plus tard. “Vu la situation, je n’arrive pas à subvenir moi-même à mes besoins. Les trucs essentiels comme le loyer et la nourriture, je ne peux pas les payer”, regrette-t-il. Heureusement, il a pu compter sur l’hospitalité de son cousin, chez qui il crèche en attendant des jours meilleurs.
Sarah est seule en France, derrière un écran
Plus loin dans la file, Sarah*, chariot à la main, longue chevelure brune ondulée, lunettes rondes et masque chirurgical sur le nez, récupère le 102ème panier de la journée. “Habituellement, on en distribue une trentaine par jour, mais depuis le premier confinement, on dépasse régulièrement les 100 paniers”, précise Daniel Rocheteau en feuilletant le carnet sur lequel sont notés toutes les distributions.
Sarah est accompagnée de deux amis. Elle raconte avoir mis du temps avant de trouver des personnes sur qui s’appuyer. Arrivée elle aussi à Marseille cette année, la Marocaine de 21 ans n’avait aucune connaissance dans cette ville. Ni ami, ni famille. Elle aurait pu remédier à la solitude en rencontrant ses camarades de master à la faculté d’économie et de gestion à Marseille (1e), mais “difficile quand tu suis tes cours derrière un écran et que t’as un confinement au milieu“.
De fin septembre à fin novembre, Sarah décrit une période où elle était “déprimée, sans aucune motivation” dans son studio en résidence universitaire. “Être nouvelle dans un pays que tu ne connais pas, dans un système éducatif différent, une culture différente, le tout sans pouvoir rencontrer personne, c’est horrible, retrace-t-elle la gorge nouée. Heureusement, maintenant, j’ai noué des liens avec cinq ou six personnes que j’essaie de voir le plus souvent possible pour ne pas sombrer dans la dépression”.
Eddy a du mal à se “réveiller pour assister à un cours sur ordinateur”
Chez Eddy aussi, les cours à distance font chou blanc. “J’ai peur de décrocher comme une partie de ma promo l’a fait”, s’inquiète l’étudiant de 18 ans, fraîchement arrivé sur les bancs de l’université aixoise. Inscrit en première année de langues et civilisations étrangères, il n’imaginait pas vivre le début de sa vie étudiante enfermé dans une chambre chez son père, où il vit.
“Je n’ai eu droit qu’à une seule semaine en présentiel”, regrette-t-il. Depuis, il doit composer avec les bugs de réseau internet et ses problèmes de concentration pour suivre les cours en visioconférence. Il confie d’ailleurs avoir déjà loupé quelques séances : “Devoir me réveiller pour assister à un cours sur ordinateur, ça ne me donne pas envie. Puis même quand je le fais, j’ai beaucoup de mal à enregistrer les informations.” Eddy raconte avoir besoin d’un cadre bien défini, “comme on peut en avoir en classe”, pour réussir à garder le rythme. En attendant, il se raccroche aux dernières annonces données par le président lors de son allocution du 24 novembre. Il espère que “ce sera une vraie reprise en physique en février”.
Violette en fin de cursus est toujours étudiante mais sans bourse
La crise sanitaire affecte aussi bien les étudiants de première année que ceux en fin de cursus. Violette aurait dû être diplômée en psychologie en septembre. “Avec le Covid, ils ont prolongé notre statut étudiant jusqu’en décembre pour qu’on puisse faire nos stages et rendre notre mémoire”, explique-t-elle. Une bonne initiative, mais qui amène son lot d’imbroglios. “ J‘ai 25 ans donc normalement je peux toucher le RSA mais mon statut d’étudiante m’en empêche. En même temps, je n’ai plus droit à la bourse car je ne suis plus considérée comme étudiante”.
La galère ne s’arrête pas là. Pandémie ou pas, il faut toujours payer ses 375 euros de loyer
je note tous les achats sur un tableau Excel. Même une brique de lait.
Violette
et se nourrir, avec pour seules ressources les 150 euros virés par sa mère et les 220 euros d’APL. Le confinement la prive aussi de son boulot de nounou qui jusqu’alors lui permettait d’arrondir les fins de mois. “C’est très stressant de se dire que j’ai zéro euro qui rentre sur mon compte”, se soucie Violette pour qui désormais toute dépense est calculée. Stage non-rémunéré de juillet à novembre, pas de job d’été… Le seul emploi que Violette a eu en septembre ne lui assure pas une grande trésorerie. D’après ses calculs, elle ne peut s’appuyer sur ses économies que jusqu’en janvier. “Je fais beaucoup moins de courses, je mange beaucoup plus de conserves, je ne prends plus de petit-déjeuner et je note tous les achats sur un tableau Excel. Même une brique de lait.”
Les associations se mobilisent
Le CROUS propose des aides ponctuelles pour les étudiants boursiers et non boursiers. “Je n’y ai eu recours qu’une seule fois cette année. J’ai eu 250 euros mais j’étais très gênée”, raconte Violette. La première fois qu’elle est allée voir l’assistante sociale, “ça a été vraiment très dur psychologiquement, je me sentais dépendante de quelqu’un d’autre que de moi-même, même si le rendez-vous en soi s’est très bien passé”.
Comme elle, ils ont été nombreux en cette rentrée à solliciter cette aide auprès du CROUS d’Aix-Marseille Avignon. Depuis la rentrée 2020, le dispositif a connu un bond de demandes de 32,6% par rapport à la même période en 2019. “Cette hausse est toutefois moins élevée que lors du premier confinement durant lequel une augmentation de plus de 50% avait été constatée”, tempère Marc Bruant, directeur général du CROUS d’Aix-Marseille-Avignon.
Le CROUS a développé plusieurs dispositifs de soutien aux étudiants : consultations gratuites de psychologues, bons d’achats alimentaires délivrés sur avis d’assistants sociaux ou autres aides ponctuelles. Mais face à l’importante demande, les étudiants se plaignent de la lenteur des délais avant un rendez-vous.
Outre le CROUS, d’autres organismes comme le syndicat étudiant UNEF ou encore la Fédération Aix-Marseille Interasso œuvrent au quotidien pour lutter contre la précarité étudiante. Mais face à une situation qui s’éternise, certains perdent patience. Pour Lyes Belhadj, président de l’UNEF 13 qui distribue hebdomadairement plus de 600 colis alimentaires, “ces associations font le travail à la place de l’État. Elles se transforment en banques alimentaires alors qu’elles n’ont rien à voir avec ça à la base. Je préfèrerais mieux organiser la défense des droits, des événements, faire des bourses aux livres, plutôt que de devoir chaque semaine donner un colis de nourriture à des étudiants.” Mais aujourd’hui, dans les campus, l’urgence est de tenir jusqu’au retour à la normale.
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Comment est-ce qu’on peut individuellement apporter une aide financière, matérielle, morale à ces étudiants ? Est-ce qu’il y a des associations locales qui font le relais ?
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Moi aussi je suis partant pour aider ces étudiants,
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