Au centre de rétention du Canet, le virus se propage en silence

Enquête
le 17 Nov 2020
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Depuis le reconfinement, trois retenus du centre de rétention du Canet ont été testés positifs au Covid-19. La problématique des conditions sanitaires se pose, mais la préfecture se refuse à tout commentaire. Pourtant certains retenus ne peuvent assister aux audiences qui les concernent, ni rencontrer leurs avocats.

Le centre de rétention de Marseille est situé au Canet, dans le 14e arrondissement. (image Clara Martot)
Le centre de rétention de Marseille est situé au Canet, dans le 14e arrondissement. (image Clara Martot)

Le centre de rétention de Marseille est situé au Canet, dans le 14e arrondissement. (image Clara Martot)

À travers les fissures du mur de béton qui délimite le centre de rétention administrative (CRA) du Canet (14e), on peut observer la forme en “peigne” du bâtiment. C’est dans l’une de ses ailes que, selon nos informations, au moins trois personnes retenues ont été testées positives au coronavirus ces dernières semaines. Dans un autre local de l’établissement, le coronavirus a également contaminé trois des cinq membres de Forum réfugiés, l’association mandatée pour l’accompagnement des retenus dans leurs démarches.

Lors de la première vague, plusieurs centres de rétention administrative dont celui du Canet avaient été en partie vidés, parfois même intégralement, sur recommandation de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. Mais cet automne, la situation n’est pas tout à fait identique. Contrairement au printemps, plusieurs pays ont conservé leurs frontières ouvertes, permettant aux autorités françaises de continuer à expulser des personnes en situation irrégulière. En attendant une date de retour forcé, certaines d’entre elles sont ainsi placées dans ces lieux fermés. À Marseille, le CRA compte 136 places pour 69 chambres.

Un rapide calcul suffit alors à comprendre la complexité d’y faire régner les règles de distanciation sociale. “À partir du moment où l’on abolit l’idée d’une seule personne par cellule, il ne faut pas être surpris”, résume amèrement Assane Ndaw, directeur adjoint en charge des CRA à Forum réfugiés. Depuis le reconfinement, l’association a déposé une dizaine de demandes de libérations au tribunal. “Aucune n’a été acceptée, regrette Assane Ndaw. Les juges se cachent derrière la perspective des expulsions.” Sauf que celles-ci ne sont pas toujours réalisables : la frontière algérienne est par exemple fermée depuis le printemps. Et selon un rapport associatif annuel sur les CRA, il s’agit de la nationalité la plus représentée parmi les hommes qui transitent au Canet. Sur les 1 431 retenus enregistrés en 2019, 458 étaient Algériens.

Une communication verrouillée

Afin de désengorger les chambres et après détection du virus, le centre du Canet a été “gelé” par la préfecture. Depuis le 4 novembre, il n’enregistre plus de nouvelles entrées. De quoi faire redescendre le taux d’occupation, pour se fixer aujourd’hui à 67 hommes. Mais malgré cette initiative, la situation sanitaire continue de préoccuper les associations, déjà habituées à dénoncer les conditions précaires subies par les retenus (lire notre enquête sur le centre du Canet ou la série qu’y a consacré plus récemment notre partenaire Mediapart). 

Plusieurs incidents ont en effet été signalés ces dernières semaines. Après une première contestation fin août, une nouvelle grève de la faim s’est déclenchée le 30 octobre, juste après l’annonce du reconfinement. Dans un communiqué rédigé de l’intérieur, plusieurs retenus dénoncent vivre “avec la peur du virus en permanence”. Ils expliquent subir un “climat anxiogène” et assurent que plusieurs retenus et surveillants “ont été testés positifs au Covid-19”. Le 5 novembre, soit au lendemain de la mise en quarantaine du CRA, des cellules ont été incendiées. L’évènement a été relayé par le collectif El Manba, qui dénonce dans un communiqué une prise en charge tardive des malades.

Aucune source officielle ne vient se confronter à ces allégations. Du côté de Forum Réfugiés, Assane Ndaw confirme les contaminations mais croit savoir que “seulement trois personnes ont refusé de prendre leurs plateaux. Cela implique qu’ils ont quand même pu prendre du pain et d’autres garnitures, donc je ne parlerais pas de grève de la faim”. Mais le travail de l’association au sein du CRA ne fait pas l’unanimité. “Quand un épisode de crise se déclare, Forum Réfugiés verrouille la communication et les cadres s’expriment à la place des travailleurs de terrain. Ce n’est jamais bon signe”, estime Philippe Perollier, avocat en droit des étrangers. Du côté de la police aux frontière (PAF) qui tient la direction du centre, le verrou est encore plus net. “La préfecture ne souhaite pas que nous nous exprimions sur le sujet”, abrège un agent interrogé sur la présence, ou non, du virus dans l’enceinte du CRA.

Des audiences fantômes

Ce n’est que le 13 novembre, soit neuf jours après le gel du CRA pour cause de Covid-19, que l’information franchit officiellement les murs de l’établissement. Elle provient d’une juge des libertés et de la détention. Des audiences publiques se tiennent en effet tous les jours, week-ends compris, à une centaine de mètres du centre de rétention. Elles permettent d’examiner les dossiers des retenus et les recours de la préfecture. L’institution peut en effet demander la prolongation d’une rétention, du moment que celle-ci ne dépasse pas 90 jours au total.

L’accès de la salle d’audience du centre de rétention. (Image Clara Martot)

Vendredi dernier, un seul homme est escorté à l’audience par la police aux frontières. Originaire du Tchad, il est retenu à la zone d’attente de l’aéroport Marseille Provence, d’où il est arrivé avec de faux-papiers via un avion pris à Malte. La préfecture souhaite son renvoi à Malte,  tandis que lui souhaite déposer une demande d’asile. En attendant, la juge autorise la prolongation de sa rétention. Trois autres dossiers doivent suivre, tous pour des demandes de prolongation de rétention émanant de la préfecture. Mais les trois hommes concernés sont retenus au CRA voisin et placés en quarantaine, pour une raison inconnue, soit de maladie ou de contact avec un malade. L’avocate commise d’office doit alors les défendre seule. Pour chaque affaire, elle plaide la nullité pour absence de procès équitable, puisque les retenus ne sont pas autorisés à se rendre à leurs audiences. 

“Ces nullités n’ont pas lieu d’être. Pour pallier les absences, les avocats peuvent toujours visiter leurs clients au CRA”, estime la représentante de la préfecture lors de l’audience. Pas selon l’avocate, qui regrette n’avoir reçu “les dossiers que la veille en fin de journée”. En dépit des arguments de la défense, la juge formulera la même réponse aux trois demandes : “je rejette la demande de nullité, car l’absence du retenu est due à une cause insurmontable. Suite aux contaminations, une septaine a été mise en place le 4 novembre, elle a été renouvelée le 12 novembre.” Les trois rétentions sont alors prolongées. 

Un dépistage complexe

En sortie d’audience, l’avocate peste : “je savais que la juge allait refuser mes demandes, mes confrères ont tenté la même chose hier dans huit dossiers, cela n’a pas marché.” Elle ajoute : “c’est la première fois dans ma carrière que je ne peux pas rencontrer mes clients !” Avec la septaine promulguée, ces audiences fantômes se poursuivront au moins jusqu’au 19 novembre. Pour l’avocate Vannina Vincensini qui intervient régulièrement au CRA, “le placement en centre de rétention est une punition et non pas une mesure d’éloignement, puisqu’on sait pertinemment qu’avec le virus, ces gens ne pourront pas être expulsés.” 

Dans le cas où la frontière du pays de renvoi serait ouverte, un retenu sur le point d’être expulsé doit effectuer un test de dépistage. Mais cette précaution est difficile à mettre en place, dans la mesure où le prolongement du “gel” du CRA du Canet laisse penser que le virus n’a pas encore été éradiqué. C’est d’ailleurs sur ce motif que les trois hommes jugés vendredi ont vu leur rétention prolongée, la juge ayant estimé qu’il n’était “pas possible de faire réaliser des tests de dépistage dans le contexte actuel”. Car même en supposant que les retenus positifs puissent dormir dans des chambres individuelles, les mesures barrières semblent délicates à faire respecter dans les espaces communs. 

À défaut de communication de la préfecture, les inquiétudes des retenus et des associations restent entières. Quant à la procureure de Marseille, Dominique Laurens, elle estime que “les conditions sanitaires sont respectées et que comparés à d’autres CRA, les locaux du Canet sont vraiment de bonne qualité”. Selon la loi, le procureur de la République est tenu de visiter le CRA “au moins une fois par an” ainsi que “chaque fois qu’il l’estime nécessaire”. La visite de Dominique Laurens date du mois de juillet. Selon la Cimade, en 2019, son prédécesseur ne s’était pas déplacé.

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Commentaires

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  1. Minh Derien Minh Derien

    Je croyais naïvement qu’une dénommée Dominique Simonnot, était Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Elle n’a pas encore terminé sa formation initiale peut-être…

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  2. Jacques89 Jacques89

    S’il y a bien un endroit où l’efficacité du confinement pouvait être démontrée, c’est bien là !
    Manque juste la volonté de tester, isoler….chloroquine ? Les centres de détention auraient dû être des laboratoires pour évaluer les techniques de soins. Aurait-on eu peur de faire des détenus des cobayes ? Avait-on la place suffisante pour isoler ? Les centres de rétention souffrent du même mal que les hôpitaux : le manque de place et « le virus » à combattre pour régler ces problèmes c’est l’acharnement contre la dette publique.

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  3. jasmin jasmin

    Certes ce sont des personnes sans pays fuyant leur pays d’origine et entrant illégalement sur le territoire français, en espérant gagner de quoi nourrir leurs familles au pays. Ils sont dans ces centres de rétention en attendant que l’on vérifie la légalité de leur séjour et de les renvoyer dans leur pays si le contraire s’affirme. Tout plaide pour qu’on se fiche de leur situation sanitaire.

    Et pourtant, il y a de quoi frémir en pensant qu’on aurait pu être à leur place et naitre dans le mauvais pays, dans la mauvaise famille et culture, sans doute dans une ex colonie de la France pour avoir appris le français comme ce tchadien, et se dire que tout vaut mieux que rester avec sa famille et dans son pays. Et puis se faire gauler évidemment à l’arrivée à l’aéroport alors que les déplacements sont si controlés pour le peu de voyageurs en tant de pandémie (quelle imprudence), et atterrir dans une cage à la lapin où on vous met à plusieurs dans la même cellule faute de place, et vous attrapez le COVID avec tous les co-retenus. Pas moyen de vous soigner parce que les hôpitaux sont débordés et pas moyen de voir le juge parce que débordés, pas moyen de parler à un avocat commis d’office. Vous pouvez appeler votre famille s’ils y ont accès. On imagine juste l’horreur. Ce ne sont pas les plages glacées d’Argiles-sur-mer où les réfugiés Républicains espagnols ont creusé le sable pour dormir à l’abri du vent, car il y a des murs, mais ces murs là enferment les maladies.
    C’est juste insupportable. Il n’y a pas de place pour la charité dans un monde isolé dans la peur.

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