Premier tournant majeur dans l’enquête sur le drame de la rue d’Aubagne
Ce vendredi, les juges chargés de l'information judiciaire sur les effondrements de la rue d'Aubagne reçoivent pour la deuxième fois les familles des victimes et le reste des parties civiles. Une rencontre cruciale puisqu'elle permettra aux magistrats de détailler les conclusions des deux experts chargés d'établir les causes des effondrements. Avant d'éventuelles mises en examen.
Le 5 novembre, Jean-Claude Gaudin, ses adjoints et la sénatrice PS Samia Ghali accompagnent le ministre du logement Julien Denormandie rue d'Aubagne après l'effondrement de deux immeubles (Photo Patrick GHERDOUSSI / Divergence)
Pour la deuxième fois, ils vont monter les marches du palais de justice de Marseille. Ce n’est pas encore pour qu’y soient jugés les responsables, directs ou indirects, des effondrements qui ont ensevelis leurs proches sous les gravats des 63 et 65 de la rue d’Aubagne, le 5 novembre 2018. Ces marches sont celles du tribunal d’instance dont les salles permettent d’accueillir la soixantaine de personnes, parties civiles dans ce dossier.
Les trois juges d’instruction emmenés par Matthieu Grand les ont convoqués pour un nouveau point complet sur l’avancée de leur enquête, après celui réalisé en mai 2019. Et, malgré le confinement et les multiples rebondissements de ces derniers mois affectant son déroulement, l’enquête avance tambour battant. “Il y a quasiment tous les jours des actes qui sont produits par les dix fonctionnaires de police qui y travaillent, explique Brice Grazzini, l’un des avocats des parties civiles. Ce sont des juges très actifs et très à l’écoute des familles de victimes”. Pour celles-ci, cette réunion est un tournant majeur dans l’instruction.
Un tournant parce que les juges arrivent devant les parties civiles avec dans leur dossier une étude qui assoit leur instruction. Rédigé par deux experts parisiens, Fabrice Mazaud et Henri de Lépinay, ce document de 500 pages – sans les annexes – permet de décrire la chronologie des faits, les causes probables et croisées des effondrements et les “manquements majeurs” qui permettent de dégager les premiers faisceaux de responsabilité. Lancé il y a un an, ce rapport est présenté modestement par ses auteurs “comme une interprétation, un avis de techniciens“. Pourtant par sa minutie “cristalline” selon le mot d’un avocat, il constitue une base solide à partir de laquelle les magistrats vont pouvoir passer à une nouvelle phase, celle des mises en examen, accélérant la procédure.
Grand secret sur la stratégie des mois à venir
“C’est un secret de polichinelle que de dire que les juges passeront à une phase de mise en cause juste après cette deuxième réunion qui est, en elle-même, un acte de procédure, constate Me Grazzini. Mais les juges gardent le plus grand secret sur leur stratégie dans les mois à venir”. “Ils veulent éviter tout risque de nullité, abonde Chantal Bourglan, conseil de deux familles de victimes. Annoncer de possibles mises en examen de manière publique en serait un.”
Si les juges n’iront pas jusque-là, le rapport établit lui sur quinze pages parfaitement circonstanciées les manquements qui pourraient déboucher sur des mises en cause pénale pour “homicides involontaires” aggravés “par violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité”.
Relire notre article sur les manquements majeurs à l’origine des effondrements.
Experts, syndics et élus dans le viseur
Les premiers concernés sont les deux experts judiciaires qui se sont successivement penchés sur ces immeubles. Déjà placé sous le statut de témoin assisté, Reynald Filiputti connaît l’immeuble depuis le 24 octobre 2014, date à laquelle il est désigné par le tribunal administratif comme expert judiciaire dans le différend qui oppose le propriétaire du n°67, le cabinet Berthoz, et le syndic du 65, le cabinet Liautard et l’ensemble des copropriétaires. À ce titre, il va régulièrement visiter l’immeuble et ses voisins sans toutefois agir pour mettre fin aux désordres qu’ils constatent.
Son confrère, Richard Carta, intervient lui dans les jours précédant les effondrements. Il est mandaté par la Ville pour expertiser l’immeuble après un signalement de péril, le 18 octobre. Le rapport décrit une expertise en dilettante où il visite l’immeuble de manière incomplète, n’écoute pas les multiples alarmes des habitants et n’inspecte pas la cave, pourtant l’objet de multiples désordres depuis plusieurs années.
Pire, les confortements qu’il demande vont aggraver la situation de l’immeuble en faisant porter un poids important juste au-dessus d’un poteau en partie effondré qu’aucun des nombreux visiteurs de l’immeuble n’a eu l’heur de remarquer. Enfin, même s’il affirme le contraire, il autorise la Ville à inviter les habitants à réintégrer l’immeuble.
Les différents fonctionnaires du service de gestion et de prévention des risques sont également cités pour des “manquements majeurs” au même titre que l’adjoint en charge de ce service, Julien Ruas (LR), pourtant directement saisi par Reynald Filiputti, dès 2017. Enfin Marseille Habitat est également dans le viseur pour ne pas avoir mis hors d’eau la partie arrière du 63, dont la société d’économie mixte, filiale de la Ville, était propriétaire.
La Ville, le maire, l’adjoint ?
Dans ce cadre, l’ancien maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin pourrait être entendu. Une échéance à laquelle s’attendent ses proches depuis de longs mois. “Quand une collectivité locale est visée par une enquête pénale, la question n’est pas jusqu’où ils vont monter mais jusqu’où ils vont descendre”, formule Brice Grazzini. En clair, le maire est d’abord visé en tant qu’il représente la Ville et ensuite, en cascade, les élus et les fonctionnaires qui agissent au nom de la collectivité.
En clair, si la Ville de Marseille ne devrait pas être mise en examen en tant que personnalité morale publique, son maire est le principal détenteur des pouvoirs de police au nom desquels sont pris les arrêtés de péril. “Mais dans le cas présent, il a délégué ses pouvoirs à Julien Ruas qui signe les arrêtés de péril en tant qu’adjoint chargé de ce pouvoir, estime Pascal Luongo, qui défend plusieurs parties civiles. Les maires mis en cause et condamnés le sont souvent dans de petites communes où les délégations de pouvoir sont mal définies”. L’autre personnalité politique qui pourrait être inquiétée est Arlette Fructus, ancienne adjointe au logement de Jean-Claude Gaudin et présidente de Marseille Habitat.
C’est déjà long. Cela le sera encore.
Chantal Bourglan, avocate
Cette phase de définition des différents protagonistes du drame est très attendue par les parties civiles. “Après deux ans d’instruction, ils ne comprennent pas que ça n’ait pas eu lieu avant, explique Chantal Bourglan. C’est pour cela qu’il est très important que les magistrats prennent le temps d’expliquer les différentes étapes de la procédure. C’est déjà long. Cela le sera encore.”
La reconnaissance des victimes
En effet, une fois mis en examen les syndics, copropriétaires, élus et fonctionnaires susceptibles de l’être, ceux-ci sont en droit de demander une contre-expertise pour contester les conclusions de celle commandée par les magistrats. “D’expertise en contre-expertise, l’instruction peut alors s’étirer sur plusieurs années, commente Brice Grazzini. C’est souvent le cas dans des affaires de catastrophe majeure. C’est par exemple le cas pour l’effondrement de la scène de Madonna qui est jugée ces jours-ci après dix ans de procédures au cours de laquelle les différentes sociétés mises en cause n’ont eu de cesse de se renvoyer la balle.”
Les voisins, les amis et familles des personnes disparues vont devoir faire preuve de patience. “C’est pour cela qu’il est très important que les parties civiles soient pleinement reconnues en tant que victimes, reprend l’avocat. Les magistrats ont pris le temps de les écouter.”
Premier geste symbolique, les familles ont reçu une provision sur indemnités de la part des assurances. “Elles se sont réunies en pool et ont désigné l’assureur de l’immeuble pour verser ces sommes, détaille Philippe Vouland, l’avocat du plus jeune fils d’Ouloume Saïd Hassani, disparue le 5 novembre. Dans ce dossier, nous défendons des personnes souvent en grande précarité, c’est un premier geste important.” En droit des assurances, cette avance est portée “sur le compte de qui il appartiendra”. Dans quelques années, la justice mettra des noms au bout de cette formule.
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