[Fronts de maire] Le délicat dialogue avec les collectifs citoyens autour du logement
Dès l'arrivée à la mairie du Printemps marseillais, les collectifs citoyens militant contre l'habitat indigne ou pour la défense des droits des migrants ont interpellé la nouvelle mairie par des actions médiatisées. En parallèle du grand chantier du logement à Marseille, la nouvelle équipe va donc devoir tâcher d'apaiser une relation qui a été houleuse pour les sortants.
Militants devant un squat ouvert rue Flégier (1er). Photo : Elhia Pascal-Heilmann.
La série
Alors que la nouvelle majorité municipale promeut son "été marseillais", Marsactu lui soumet quelques travaux pratiques, sur des dossiers emblématiques et épineux.
Il aura fallu cinq jours à la nouvelle maire pour voir sous ses fenêtres la première manifestation. Dès le 9 juillet, plusieurs collectifs, dont le collectif du 5 novembre, né à la suite des effondrements de la rue d’Aubagne, le collectif du Manba et le collectif du 59 St-Just, qui a tenu ouvert pendant plusieurs mois le squat du même nom, appelaient à un rassemblement devant la mairie centrale de Marseille. Un comité de bienvenue organisé à l’occasion de la fin de la trêve hivernale, qui avait lieu cette année au 1er juillet, pour cause de Covid-19. Et alors que les revendications portaient précisément sur celle-ci – qui relève de l’État – et le sort des mineurs isolés – qui relèvent du département -, le choix du lieu n’était quand même pas innocent. Bien consciente de l’enjeu, la nouvelle équipe a reçu une délégation en mairie dans la foulée.
C’est un des gros chantiers symboliques qui se pose sur la table de la gauche élue : apaiser le dialogue avec les collectifs citoyens. Le Printemps marseillais a déclaré le logement “grande cause municipale” et une certaine proximité idéologique existe avec ces militants. Mais ces derniers ont montré dès les premiers jours du mandat qu’ils allaient jouer leur rôle d’agitateur. Et mettre au défi Michèle Rubirola de montrer un autre visage que celui de l’équipe sortante, avec qui, selon les groupes, le ton était soit celui du bras de fer, soit, pour les collectifs plus radicaux, celui de l’indifférence mutuelle. “Un collectif, c’est un feu de paille”, lançait en septembre 2019 Catherine Pila, alors adjointe aux relations avec les CIQ de Jean-Claude Gaudin, tout en critiquant leur “aspect partisan”.
Chargé du portefeuille de la démocratie locale et des relations avec les CIQ, Théo Challande-Nevoret affiche, malgré de premiers remous, un grand optimisme et comprend l’attente des collectifs : “On ne se pose pas la question de savoir s’il s’agit de “coups de pression”, il faut écouter ce que les gens disent. Il n’y a pas de peur de discuter de notre côté, on répond à toutes les demandes de dialogue.”
Des premiers “coups de pression”
Dans la foulée de cette première manifestation, le collectif du 5 novembre a publié le 20 juillet dans Libération une tribune “pour assurer le droit au logement digne et au relogement”. “Une façon de dire vous êtes nouveaux, on met les compteurs à zéro, nous on continue sur notre ligne”, résume Kévin Vacher, l’un des porte-parole du collectif.
Puis fin juillet, après l’échec de l’installation d’un premier squat rue Breteuil, des militants pour la défense des mineurs migrants isolés revendiquaient l’occupation du bâtiment d’une ancienne école rue Flégier, propriété de la Ville, obligeant cette dernière à se positionner. Un épisode qui s’est soldé par une évacuation pour des raisons de sécurité, alors que Sophie Camard, la maire de secteur issue du Printemps marseillais, avait assuré la veille qu’il n’y aurait pas d’expulsion. Premier couac. Du côté de l’hôtel de Ville, on affirme avoir eu affaire à “des militants cagoulés qui refusaient de laisser entrer les services sociaux”.
“Ça a été une déception, on ne s’attendait pas à ça”, reconnaît Robert* militant du collectif St-Just qui ne cache pas ses espoirs pour la suite : “Le fait que ce soit une mairie de gauche, on part du principe qu’ils vont être plus à l’écoute, que ce sera une mairie plus ouverte, plus sociale, et que si nous on met davantage la pression, ça pourrait mieux marcher.” Il reconnaît un changement de stratégie, jusqu’à présent tournée vers Martine Vassal, présidente LR du département : “On n’a pas beaucoup interpellé Gaudin, parce qu’on savait que ce n’était pas leur truc, qu’ils n’allaient rien faire.”
Questions de compétences
“On ne veut pas devenir un CIQ de gauche, un soutien de l’action de la mairie
Kévin Vacher, collectif du 5 novembre
Logement, sans-papiers, mineurs isolés ou même urbanisme, les collectifs citoyens les plus actifs interpellent sur des sujets qui ne sont pas ou que partiellement du ressort des compétences de la municipalité. “Ce sont des choix politiques qu’ils doivent faire”, soutient Roger. “La maire de Marseille doit se préoccuper de tous ceux qui y vivent, et même quand ce n’est pas de sa compétence, elle a la responsabilité d’alerter les autres collectivités, pour que ces personnes soient mieux accueillies et mieux prises en charge”, poursuit-il, en appliquant l’exemple au sujet des mineurs isolés, qui sont de la responsabilité du département.
“S’ils continuent à se renvoyer la balle entre collectivités, ça va être long”, complète Kevin Vacher, en illustrant avec la question de l’habitat indigne comment la mairie pourrait, selon lui, peser davantage dans ces dossiers : “La mairie peut se saisir du pouvoir qu’elle a d’instruire sur le péril et l’insalubrité, du pouvoir de police qu’elle a, pour peser dans les rapports de force.”
Changer le dialogue “dans la durée”
Reste donc à trouver un mode de fonctionnement et des courroies de transmission pour que le dialogue se fasse sans manifestations et coups médiatiques permanents. “Les collectifs mettent des coups de pression, c’est compréhensible, ils veulent marquer le pas très vite, mais le plus important pour nous c’est de changer les choses dans la durée. Si les collectifs sont très remontés aujourd’hui, c’est parce que pendant des années, la mairie n’était pas du tout dans la concertation”, plaide en off un adjoint de la nouvelle majorité, qui met en avant la réunion tenue en mairie mardi par l’adjoint à la sécurité comme exemple des outils de dialogue à mettre en place.
“Une de nos forces c’est d’avoir parmi nous beaucoup de gens qui ont fait partie de collectifs, qui ont milité. Cela facilite la communication, les ponts sont déjà établis”, souligne Challande-Nevoret, qui a sur sa feuille de route d’adjoint la mise en place de conseils de quartiers où seront représentés tous les différents acteurs. “CIQ, association, collectifs, chacun est complémentaire”, avance-t-il.
“On ne veut pas devenir un CIQ de gauche, un soutien de l’action de la mairie, prévient en tout cas Kévin Vacher. Il pourrait y avoir des réflexes spontanés, on se connaît, on se fait la bise, on a pu militer ensemble… Mais de notre côté, on tient à garder un formalisme. Il n’y a pas eu d’appels privés depuis l’élection. Avec l’équipe Gaudin, en dehors de grands moments de dénonciation, on faisait nos propositions, co-écrites avec les citoyens, les militants, les experts, qu’on pose sur la table et qu’on négocie. Ce sera pareil, même si on s’attend à des réponses différentes.”
Mégane, militante du collectif 59 St-Just, reconnaît pour sa part un certain malaise. “D’habitude au sein des militants, on est tous d’accord pour être opposés aux politiques en face. Là on est plus dans la négociation, on ne sait pas s’il faut attendre, être en réaction à ce qu’on va nous proposer… J’ai l’impression qu’on va davantage être dans la prise de rendez-vous, demander des audiences, négocier. Je ne suis pas habituée”, confie-t-elle un brin désorientée, de peur de se faire mener en bateau par les nouveaux élus qui, à ce qu’elle a vu lors de l’occupation rue Flégier, ne joueraient “pas franc jeu”. “C’est hyper délicat de négocier avec des personnes dont on sait qu’elles partagent nos points de vue, sur des sujets comme la charte du relogement où des adjoints ont participé. C’est peut-être encore un peu tôt pour eux aussi.”
“Comme à Barcelone” avec Ada Colau
La nouvelle équipe compte deux adjointes militantes pour l’habitat, qui ont été chargées d’autres dossiers.
“Au Printemps marseillais, ce sont des militants de gauche, bienveillants devant le mouvement citoyen, mais qui n’en viennent pas”, corrige Kevin Vacher, qui a un temps souhaité le rapprochement entre le mouvement d’union de la gauche et les collectifs citoyens, avant de renoncer. Parmi les adjointes nommées en juillet, deux ont tout de même milité et participé à la création du collectif du 5 novembre, Marie Batoux et Nassera Benmarnia, mais elles n’ont pas dans leurs portefeuilles les questions de logement – peut-être une façon d’éviter les conflits de loyauté.
Le collectif s’est d’ailleurs fendu d’une note à la presse pour inviter les journalistes à ne pas les présenter comme membre actuelles du mouvement. “Elles n’appartiennent plus au mouvement dès lors qu’elles se sont lancées consécutivement dans les campagnes européennes et municipales”, a précisé le collectif afin de préserver son “indépendance” et sa posture “apartisane”.
Chez certains militants, la tentation est grande de “secouer” la nouvelle équipe pour obtenir des avancées rapidement. “Ça va être comme à Barcelone”, glissait une militante du collectif Manba-Migrants 13 avec un grand sourire, début juillet. Elle faisait là un parallèle avec le contexte de la capitale catalane où la maire, Ada Colau, issue des rangs des militants pour le logement, a ensuite dû faire face aux exigences de ses anciens camarades de lutte lorsqu’elle a endossé l’habit de maire.
En miroir, l’opposition ne manquera pas de dénoncer une politique d’ouverture en direction des sans-papiers et des migrants. Dans les dernières semaines de la campagne, Martine Vassal (LR) comme Stéphane Ravier (RN) avaient repris dans leurs supports de communication les propos de Michèle Rubirola en faveur d’un “port d’accueil des migrants”. Le souci de ne pas prêter trop facilement le flanc à cette critique explique peut-être la prudence de la nouvelle équipe.
Le Manba, collectif fondé en 2015, a déjà durci le ton en direction de la mairie. “On ne dit plus expulsion mais évacuation, dans la novlangue socialiste”, pouvait-on lire sur sa page Facebook après la fermeture du squat rue Flégier. Le même jour, une image était postée, figurant deux policiers à vélo, avec le commentaire “les hirondelles ne font pas le Printemps”, jeu de mot entre le surnom donné à ces agents cyclistes et le nom du mouvement de la nouvelle mairie. Le Printemps marseillais a une belle pile de dossiers à régler, mais s’il remet à plus tard celui-ci, foule de militants seront prêts à leur donner des nouvelles.
Commentaires
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Plaques tectoniques?
les assoc, collectifs et autres face à la municipalité à moins de 20% ça va le faire à condition qu’ils ne s’affrontent pas directement. Mettre de l’huile dans les glissements de terrain et à terme que les futurs électeur.trices soient pris à témoin (et non en otage…!) afin qu’ils arrivent les uns et les autres à une côte mal taillée.
L’agenda des assoc ou des collectifs n’est pas le même que celui d’une Municipalité même si elle a un conflit à la fois de loyauté ou un déficit de légitimité.
De toute façon l’ennemi, c’est la désillusion, l’abstention et le vote R.N.
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Jeudi, à l’invitation du collectif de la Porte d’Aix et de Laisse Béton, différents collectifs se sont réunis (voir un bel article dans la Provence du 9 août dernier). Si chacun a fait part d’une attente bienveillante vis-à-vis de la nouvelle municipalité (après 2 ans de luttes épuisantes pour les plus anciens, on est pas à quelques mois près), 3 points ont été partagés :
1 – Le regret de l’absence des adjoints en charge des délégations concernées (logement, citoyenneté, etc.). Seul S. Barles était présent.
2 – Malgré de nombreuses demandes de RdV, les collectifs disent n’avoir jusqu’à présent pas eu de réponses des nouveaux adjoints ou des maires de secteur concernés.
3 – La nécessité de coordonner les engagements de chacun car, cette expertise d’usage peut être un vrai plus pour le PM qui visiblement hésite encore sur sa stratégie en matière de développement des quartiers de Marseille.
Tous ne demande qu’à coopérer de manière très constructive, encore faudrait-il que cet engagement citoyen soit considéré. Si vous avez des idées pour faire passer ce message n’hésitez pas à mettre un commentaire
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Bonjour Kitty,
Est-ce que les collectifs que vous mentionnez, ou certains d’entre eux, auraient un document avec des mesures concrètes et échelonnées (“cette expertise d’usage”) qui puisse servir de support à “passer le message”? Où le trouver (sur internet?) ?
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Ne pas oublier que l’élection comme beaucoup d’élection depuis un certain temps s’est faite contre( M. Vassal )plus que pour (le Printemps) en conséquence et compte tenu du peu de compétences restant à la Mairie le changement s’il a lieu sera surtout sur la forme
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Accepter d’exercer des responsabilités politiques c’est accepter de décevoir. “Ses” électeurs, les militants qui se sont engagés, et aussi soi-même. C’est aussi accepter que l’on va être déçu, car la réalité, administrative, budgétaire, règlementaire et in fine politique, résiste beaucoup.
Le PM ne fera rien en 3 coups de cuillère à pot, et ne fera pas tout ce qu’on attend de lui, ni ce qu’il attend de lui même.
Ce que l’on peut raisonnablement attendre c’est qu’il s’engage dans des politiques de long terme concernant le logement et l’urbanisme, la reprise en main des Ressources Humaines municipales et les écoles.
Si cela est en bonne voie dans un an et se maintient dans cette voie jusqu’au bout du mandat dans 5 ans le PM aura déjà beaucoup fait et bien fait.
Mais rien, rien, rien de cela ne se verra vraiment ni dans quelques mois, ni même en moins de 2 ou 3 ans.
Le job des collectifs, d’après moi, ce doit d’abord être d’être collectif, c’est à dire de permettre l’expression des marseillais dans leur diversité, et c’est très différent que d’être seulement la voix de leurs activistes, qui pour sympathiques et sincères qu’ils soient, ne représentent eux mêmes qu’une opinion, forcément minoritaire et “extrême” (au sens de tranchée, sans concession, privilégiant son propre agenda et non pas un agenda général) sur les sujets qui les préoccupent. Ce doit être aussi de faire œuvre d’éducation populaire en formant par le débat, l’étude des dossiers et l’argumentation une nouvelle génération de militant-e-s, permettant d’élargir et de qualifier la base sociale et politique d’un projet progressiste pour Marseille et par les marseillais.
Ce n’est pas exactement “ma” tendance politique, mais je trouve que le reportage du Media “Marseille, la gauche impuissante” https://www.lemediatv.fr/emissions/2020/marseille-la-gauche-impuissante-oj8drj-lTL-BbbXP_7efPQ et surtout le diagnostic posé par Sophie Camard sont justes. Ils font d’ailleurs écho à l’analyse conduite par la note de la Fondation Jean Jaures https://jean-jaures.org/nos-productions/comment-la-gauche-neo-marseillaise-a-ejecte-la-bourgeoisie-locale. (Je m’étonne et regrette que ces deux documents n’aient pas été présentés et analysés dans Marsactu -coucou La Rédac !!)
Les élu-e-s vont et doivent faire ce qu’ils/elles peuvent et ça va prendre du temps avant de se voir.
Les “autres” : les collectifs, les associations, les activistes… doivent élargir leur base, sortir du centre-ville, sortir du sectarisme, apprendre eux-mêmes et apprendre aux autres en même temps.
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