Les petits dej’ d’Emmaüs, l’indispensable dernier café de Marseille

Reportage
le 28 Mar 2020
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A l'heure de la crise sanitaire liée au coronavirus, les plus démunis de retrouvent encore plus démunis que d'ordinaires. L'association Emmaüs tente de leur venir en aide en apportant dons alimentaires, accès à l'eau et réconfort humain. Marsactu a passé une matinée aux côtés de ces bénévoles, pour certains nouveaux venus.

Dessin : Malika Moine
Dessin : Malika Moine

Dessin : Malika Moine

Il est 8h du matin et ce mardi 24 mars, il fait froid à Marseille. Au square Stalingrad (1e), le camion vert pomme d’Emmaüs est revenu après une semaine de confinement. Il est garé en face de la boutique Solidarité de l’association. Des tabourets placés à distance prudente les uns des autres et le petit îlot de solidarité qui jouxte les grandes terrasses désormais vides des cafés reprend vie. Quelques hommes de tous âges sont venus pour la distribution de café, de gâteaux et de bananes.

César, qui assure la distribution depuis ses débuts, en 2014, témoigne : “J’ai vu ce matin des habitués mais pas seulement, beaucoup de jeunes que je n’avais jamais accueillis jusque là.” Certains restent un moment, s’assoient, d’autres repartent aussitôt. Le va-et-vient est constant pour cette reprise. Pour l’instant, les horaires ne sont pas encore tout à fait calés mais le camion ouvre à 7 h 30 et, alors que d’habitude la distribution s’arrête à 8 h 30, il y a aujourd’hui du monde sans discontinuer jusqu’à 11 h, l’heure de la soupe. Les compagnons ont aussi installé une arrivée d’eau reliée à la boutique Solidarité au tout début de la rue Consolat.

Dessin : Malika Moine

“Il y a encore plein de monde dans la rue”

Devant les allées et venues, Fathi Bouaroua, un des responsables de la communauté Emmaüs de la Pointe-Rouge, rappelle que “quelqu’un dans la rue bouge, marche beaucoup, c’est le bouche-à-oreille”. Il déplore le peu de moyens déployés par la Ville pour mettre les SDF à l’abri. “Ils prétendent avoir proposé des places à l’UHU [unité d’hébergement d’urgence de la Madrague-Ville, ndlr] à tout le monde mais il y a encore plein de gens dans la rue et à l’UHU, le confinement est impossible : la journée, ils sont tous ensemble dehors devant l’immeuble.” Malgré ces difficultés, le Samu Social a accompagné une cinquantaine de personnes dans des hôtels ou des foyers d’accueil, et a distribué savons et repas.

Aujourd’hui, seules les associations agréées par la préfecture peuvent continuer à intervenir, le Secours Catholique, Médecins du Monde, l’ADDAP 13 par exemple. La préfecture a toutefois demandé à la police de ne pas entraver les actions d’Emmaüs, pourvu que les règles d’hygiène soient respectées. En revanche, des petites associations ont cessé momentanément les actions. Sur le répondeur de l’association « On se gèle dehors », le message dit que c’est faute de ne plus pouvoir récolter des invendus que l’activité est suspendue. Daniel, le responsable, joint par téléphone déclare avoir aussi préféré arrêter les maraudes pour ne pas mettre en danger les bénévoles, souvent SDF eux-mêmes.

“Plus d’économie informelle, plus de marché”

Dessin : Malika Moine

Molly Fournel, membre du collectif du 5-Novembre s’approche. Elle s’inquiète pour les délogés, isolés et résidant dans des quartiers éloignés, le 3e, le 4e, et qui ne peuvent pas venir prendre des colis ou de l’argent, de peur de se prendre une amende. “On n’a plus d’encre, bientôt plus de papier pour leur faire des attestations. Sans compter qu’il n’y a plus d’économie informelle, plus de marchés…”

Comme pour étayer ce constat, un jeune explique qu’il est à l’hôtel avec sa compagne malade. Des éducateurs de rue les ont amenés il y a 3 jours mais ils doivent partir à 11 h 30 aujourd’hui. Fathi Bouaroua appelle le 115, qui ne répond pas. Au bout de 45 minutes d’attente, il obtient une réponse : le garçon peut aller à l’UHU et sa compagne sera dans un autre hébergement d’urgence. Le jeune refuse qu’ils soient séparés, il retourne à l’hôtel pour demander à l’hôtelier d’essayer de rallonger la prise en charge.

“Des policiers ont amendé des SDF” reprend Fathi Bouaroua, rebondissant sur la question des attestations. Emmaüs leur propose d’apporter les amendes pour les transmettre à la préfecture qui devrait tenir compte de leur situation. Pour l’heure, Fanny donne des attestations aux personnes qui boivent le café. À l’item “domicile”, elle note l’adresse du comité communal d’action social ou du foyer. C’est son premier jour de bénévolat à Emmaüs. Réalisatrice, elle n’a pas envie de filmer un journal de bord de la période actuelle : “Je suis pas sûre qu’après le confinement, on ait envie de revoir en film notre quotidien, on se réhabitue juste au huis-clos familial. Par contre, suivre un SDF relogé à l’hôtel, ce serait intéressant…”

Anniversaires

Je n’en ai pas parlé à ma famille, sinon, ils m’auraient dit « mais tu es folle ! »

Fabienne, bénévole

Un vieil homme à l’œil vif et au sourire enjôleur boit un kawa tandis que Fanny remplit l’attestation. “Mais c’est votre anniversaire !” s’exclame-t-elle. Et tout le monde de chanter en cœur “Joyeux anniversaire Monsieur, Joyeux anniversaire Monsieur…” Une demi-heure plus tard, le refrain reprend mais cette fois-ci c’est “Joyeux anniversaire Madame…” un petit air de fête, des sourires, de la chaleur humaine partagée.

Fabienne est là pour discuter avec les gens qui arrivent, leur demander de se laver les mains. Puis, elle va dans le camion aider César à faire et à distribuer les cafés. “J’en avais marre de mon confinement de bourgeoise au Roy d’Espagne. Mais hier, je me suis dit « est-ce bien raisonnable ? », je n’en ai pas parlé à ma famille, sinon, ils m’auraient dit « mais tu es folle ! ». Elle qui faisait chaque samedi son marché à Emmaüs Pointe Rouge, a déjà été bénévole au repas de Noël il y a quelques années. Elle raconte l’argenterie, la super bouffe, les écoliers venus faire le service… Fabienne et Fanny font partie des quarante nouveaux bénévoles d’Emmaüs.

Couches et médicaments

“Sur les 90 personnes qui s’étaient proposées dans les premiers jours, la moitié des bénévoles a fait machine arrière, angoissés ou dissuadés par leurs familles”, rapporte Fathi. En reste une quarantaine qui va tourner sur les semaines à venir. Certains sont sur liste d’attente, mais devant la durée annoncée du confinement, tout le monde devrait pouvoir agir. Des masques fabriqués par Nadjet, couturière à la communauté, leur sont distribués. Un mouchoir jetable doit se glisser à l’intérieur, et le masque doit être lavé à 60° précise Fathi Bouaroua qui ajoute : “Un EHPAD a sollicité Emmaüs pour en avoir !”.

Devant la boutique Solidarité. Dessin : Malika Moine

Anna, une autre bénévole, qui vit dans le quartier, accueille les personnes qui apportent des dons à la boutique Solidarité. Un homme d’une soixantaine d’année arrive du Vieux-Port avec des médicaments et des couches qu’il avait chez lui. Il se propose pour devenir aussi bénévole. Deux jeunes femmes arrivent : “On va faire les courses, qu’est-ce qu’il vous faut ?” Une dame a acheté une dizaine de boîte de biscuits après avoir vu sur les réseaux sociaux qu’une collecte était à nouveau en place. Patrick, un compagnon, reçoit les paquets et fait le tri à l’intérieur : gâteaux, sucre, fruits, produits d’hygiène. Ce qui se mange directement est porté au camion, le reste part à la Pointe Rouge. “Les quatre-quarts, le lait, les biscuits secs sont bienvenus mais quelqu’un a apporté des pizzas et on prend !”. Ainsi que les vêtements. Les SDF demandent ce dont ils ont besoin et les compagnons et bénévoles apportent “la commande” le lendemain.

Un homme surgit « Je me suis dit : si je ne donne pas un coup de main maintenant, ce sera quand ? »

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