Roger Meï, 43 ans de règne sans transition
Roger Meï tient l'une des plus longue longévité politique de France. À 84 ans, il ne se représentera pas, après 43 ans à la tête de la mairie de Gardanne. Il laisse derrière lui une guerre de succession fratricide.
Roger Meï, 43 ans de règne sans transition
C’est un monument du paysage politique des Bouches-du-Rhône qui s’apprête à prendre sa retraite. Élu maire sous la bannière communiste depuis 1977, Roger Meï, ne rempilera pas pour un huitième mandat. Celui qui quittera la mairie de Gardanne au bout de 43 ans et juste avant son 85e anniversaire, connait une fin de règne agitée.
La CGT souffle sur une grève des agents municipaux depuis le 5 décembre. Le secteur le plus mobilisé est celui de l’éducation, où les agents dénoncent une détérioration des conditions de travail qui mettrait à mal la sécurité des écoliers sur le temps de cantine (lire notre article à ce sujet). L’éducation est pourtant affichée comme une priorité de la politique municipale. Par le maire lui-même, dont “le seul regret c’est d’avoir quitté [s]on métier”, après une vingtaine d’année comme instituteur, avant de devenir maire. Mais il n’y a pas qu’à la CGT qu’on formule des reproches au patron de la Ville. “Ils sont incompétents depuis longtemps concernant la gestion du personnel”, plaide Jean-Luc Debard, militant associatif gardannais et ancien responsable de l’union locale CFDT qui a connu d’autres conflits sociaux avant celui-ci. Il faisait partie d’une liste dissidente à Roger Meï aux municipales de 2001, menée par Francis Montarello (qui a récolté 25% au premier tour).
Contrairement à la tradition d’affiliation entre Parti communiste et CGT, la défiance semble désormais enracinée envers Meï. Le syndicat lui reproche en particulier de ne pas soutenir suffisamment activement le mouvement contre la réforme des retraites, ainsi que les travailleurs de l’usine Alteo et ceux de la centrale thermique, deux industries dont l’avenir est incertain, dans une ville déjà marquée par la fermeture des mines qui l’ont longtemps fait vivre.
Majorité fracturée
Côté politique aussi, les transitions sont difficiles à Gardanne. Au fil des mois, les relations se sont dégradées entre le maire et celui qui pensait être un temps son successeur, le conseiller municipal et départemental PCF, Claude Jorda. Et Roger Meï a choisi un autre dauphin, en la personne de Jean-Marc La Piana, son adjoint à la culture. Deux listes issues de la majorité s’affrontent donc pour les municipales (lire notre article sur ces deux listes héritières). L’une “sans étiquette” menée par La Piana avec le soutien de Meï qui sera en dernière position sur la liste et souhaite devenir maire honoraire. L’autre de “collectifs citoyens” appuyées par le Parti communiste et la France insoumise avec Claude Jorda à sa tête.
Le 21 novembre, ce dernier a déclaré son départ de la majorité en conseil municipal. Ce jeudi 16 janvier, huit de ses colistiers actuellement élus ont tenu à exprimer à leur tour leur divorce. “On a été spolié de certains droits d’élus. Il se passe des choses qui concernent ma délégation sans que j’en sois informée. Concernant le conflit actuel, je n’ai même pas été invitée à rencontrer les agents syndiqués, alors que cela concerne une partie de ma délégation”, exprime Jocelyne Masini, adjointe à l’enfance, à la jeunesse et à la famille.
Désormais, il appartient au maire, qui ne s’exprime pas encore sur ce point, de décider s’il souhaite retirer la délégation aux sortants de sa majorité pour les dernières semaines du mandat. Le prochain conseil municipal se tiendra le 13 février. Si Jorda est considéré comme un traître par Meï, la trahison reprochée en retour par l’équipe du candidat communiste est celle de s’être détourné des valeurs de gauche. “À force de s’enfermer dans la gestion, ils [Meï et ses proches] ont perdu le sens politique”, analyse Jorda, tout en tenant “à reconnaitre que Roger Meï a consacré sa vie à la ville de Gardanne”. “Il a été un grand maire, mais malheureusement, il ne l’est plus”, s’agace une ancienne collaboratrice.
Les raison de la “trahison”Cet automne, Roger Meï affirmait que Claude Jorda l’avait trahi, sans toutefois argumenter. “Roger n’a pas apprécié que les communistes se soient réunis sans lui pour décider”, explique Jean-Marc La Piana. “Il a reçu l’invitation comme tous les adhérents de la section”, répond Claude Jorda. Avec ses colistiers ce dernier regrette qu’il n’y ait pas eu de débat au sein de la majorité pour désigner le successeur. “Si la majorité avait désigné un autre que moi, je l’aurais accepté”, dit-il. “Il y a eu un rendez-vous manqué, dont je ne suis pas responsable dont je ne comprends pas tout”, déplore Jean-Marc La Piana. “On est triste que notre majorité finisse comme ça”, partage Claude Jorda.
Fier de son bilan
Du côté de l’équipe La Piana / Meï, on dit préférer se concentrer sur la transition et ne pas parler des nouveaux adversaires. Vendredi 10 janvier, le maire nous a reçu dans son bureau. L’homme, qui est né à Hyères et a grandi au nord de Marseille, a aujourd’hui les difficultés physiques de son âge mais un esprit encore vif qui enchaîne les galéjades. Son bureau est décoré de sculptures qui lui ont été offertes, à l’effigie de mineurs. Ému, le maire nous montre un tableau représentant la centrale thermique dans les années 1960. “À la mine ou à la centrale, il y a eu des morts. Mais en même temps les gens qui y travaillaient faisait preuve d’une grande solidarité”, dit-il. Cette solidarité, il l’a érigée au pignon de ses valeurs, lui l’instituteur venu de l’Estaque en 1958. “Quand je suis arrivé ici je ne voulais pas rester. J’ai pris le bus à Marseille. Je suis passé sous les tuyaux d’Alteo [Péchiney à l’époque]. Ce qui m’a retenu, c’est la qualité des gens”, se souvient Roger Meï. Il a adhéré au parti en 1961.
“Quand je suis arrivé ici je ne voulais pas rester. J’ai pris le bus à Marseille. Je suis passé sous les tuyaux d’Alteo [Péchiney à l’époque]. Ce qui m’a retenu, c’est la qualité des gens”, Roger Meï.
Au cours de l’entretien se joignent Jean-Marc La Piana et Guy Porcedo, adjoint à l’éducation et responsable de la communication pour la campagne. “C’est un métier compliqué. Les gens sont de plus en plus en difficulté et la misère quoi qu’on en dise, elle croit”, considère Roger Meï à propos de sa fonction. Il laisse le soin à Guy Porcedo de répondre sur le mouvement social en cours.
Roger Meï file la discussion sur son amitié construite avec Jean-Marc La Piana. “Je suis fier d’une chose, dans tout ce que j’ai fait, c’est d’avoir un jour reçu dans ce bureau le docteur Colmars et le docteur La Piana”. Ils portaient un projet de lieu de soins palliatifs, qui devait en particulier accueillir des malades du sida. “C’était notre dernière chance. On était à deux doigts d’abandonner le projet tellement on avait des refus partout. c’était en 1992 et on a ouvert en 1994”, raconte Jean-Marc La Piana, toujours à la tête de La Maison.
L’autre grande satisfaction de Roger Meï, c’est celle de l’accueil de familles roms de 2012 à 2017. “On a failli perdre les élections pour cette action”, juge-t-il. Alors qu’il était plutôt coutumier de l’emporter au premier tour, en 2014, sa liste ne devance que de 69 voix celle de Jean-Brice Garella (DVG) au second tour. “Mais je suis fier de l’avoir fait. Il y a une seule ville de la région Paca qui a accueilli les Roms comme des êtres humains. Dans la bible il est dit, tu accueilleras l’étranger comme ton frère, dans le coran tu laisseras toujours une place pour l’étranger à ta table et nous, on a appliqué la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. C’est simple”. De quoi ancrer la mythologie d’un maire humaniste et solidaire que beaucoup lui reconnaissent, y compris parmi ses opposants et les maires de droite du territoire de l’ancien bassin minier.
Néanmoins, “six mois avant l’accueil sur le terrain du puits Z, il avait fait expulser d’autres familles. Ça ne lui est pas venu du saint-esprit d’accueillir les Roms, il a fallu qu’on l’interpelle sur le forum des associations pour obtenir un rendez-vous”, relativise Jean-Luc Debard, qui a fait partie du Collectif roms de Gardanne (lire notre interview à propos d’un livre retraçant cet accueil).
“Je ne suis plus stalinien”
L’autre réputation de Meï partagée par beaucoup est celle de quelqu’un de “courtois et à l’écoute”, comme le décrivent presque dans un même élan ses homologues des communes voisines de Bouc-Bel-Air, Richard Maillé (LR) et de Meyreuil, Jean-Paul Gournès (DVD). “Je ne suis plus stalinien, je l’ai été mais je ne le suis plus”, dit l’intéressé au sujet de son rapport au pouvoir. Les opposants historiques gardannais ne partagent pas vraiment ce sentiment. “Il maîtrise tout. Le maire est décisionnaire de tout quoiqu’il arrive”, assure Jean-Brice Garella (ex PS), qui a passé d’abord trois ans dans la majorité depuis l’élection de 2008 avant de passer le reste de ses mandats dans l’opposition. “Elle ne nous a jamais été refusée, mais même pour demander une salle pour EELV, ça passait par le bureau du maire. Il y a un verrouillage, tout le système passait par lui”, appuie Brigitte Aphotéloz qui a été élue pour la dernière mandature avec Jean-Brice Garella. “Il y a une sorte d’arrogance dans son entourage à ne pas accepter que l’on puisse penser d’autres choses qu’eux”, affirme le député François-Michel Lambert (UDE) qui a aussi été conseiller municipal d’opposition de 2008 à 2013. Pour le scrutin à venir, Jean-Brice Garella repart en campagne en tête de liste, tandis que des membre du groupe local d’EELV participent à la liste de Jean-Marc La Piana et François-Michel Lambert annonce son soutien à celle-ci.
Garella comme Lambert reproche à Meï de ne pas avoir su prendre le virage au moment de la fermeture des mines en 2003 pour conserver des activités, et notamment de ne pas avoir su attirer ce qui est devenu la zone d’activité de Rousset. “La fermeture de la mine c’était 1700 inscrits à pôle emploi. On a créé 250 emplois au puit Morandat et l’engagement pour toute entreprise qui s’installe c’est “vous nous prenez un jeune en formation”. Ça fait partie du contrat. Et d’autres viendront”, rétorque Roger Meï. Non rien de rien, il ne regrette rien.
Actualisation lundi 20 janvier à 16h13, en ajoutant des précisions à la demande de François-Michel Lambert.
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Un bon maire après un ou deux mandats doit préparer sa succession.
La démocratie dans une ville (ou ailleurs!) n’est pas une carrière.
Tant de femmes ou d’hommes aimeraient tant servir leurs camarades-habitants-assujetti.e.s-citoyens que tenir la place c’est faire injure à la Madame la Démocratie.
Et puis les permanents élus finissent par prendre de mauvaises habitudes en, par exemple, faisant travailler leurs p’tits copains.
Être démocrate, c’est partir en retraite ou après un voire deux mandats…
Vivement le referendum révocatoire où une majorité qualifiée d’habitants pourra f…tre dehors les arapèdes élus !
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