LA CRISE DU COMMERCE AU CENTRE DE MARSEILLE (3)
Nous proposons une suite de la chronique consacrée à une réflexion sur la situation du commerce dans le centre de Marseille.
L’enjeu politique de l’étude sur le commerce dans le centre
Bien sûr, l’étude proposée par la Chambre de commerce ne paraît pas n’importe quand : nous sommes l’année des élections municipales et, par conséquent, elle s’inscrit dans l’ensemble des confrontations, entre les candidats et les partis, mais, au-delà dans l’ensemble des débats sur les conceptions de la ville et de l’urbanisme qui se font jour aujourd’hui. Notamment à Marseille, où la question du commerce est une vieille histoire, on ne peut dissocier le débat sur les activités et les entreprises commerciales d’une réflexion sur l’histoire du commerce à Marseille dans le temps long. Au fond, tout se passe comme si les débats électoraux s’inscrivaient dans un débat situé dans une culture ancienne. C’est que l’identité politique de la ville de Marseille s’est toujours fondée sur le commerce, qui continue à être une activité essentielle pour y comprendre l’urbanité. Dans le champ des élections municipales, les candidates et les candidats ont à faire connaître leur position sur la place du commerce dans le centre-ville, sur la diversité des cultures commerciales actives dans la ville – je pense, notamment, à la place des activités commerciales issues de l’immigration et au déclin des formes classiques du commerce, et sur la place du commerce dans l’urbanisme et dans les prévisions d’aménagement urbain proposées par les candidates et les candidats dans le débat public. Mais c’est aussi le rôle de la municipalité et de la métropole qui est questionné autour de cette étude. Le rôle des institutions et des pouvoir est triple. D’abord, il s’agit d’un rôle de requalification des centres urbains : la transformation du Centre Bourse et la recherche de nouvelles configurations pour ce site relèvent des pouvoirs partagés entre ville et métropole. D’autre part, il s’agit d’un rôle d’information, de communication et de sensibilisation du public, interpellé à la fois comme ensemble de citoyennes et de citoyens et comme ensemble d’usagers des espaces commerciaux. Enfin, les pouvoirs ont un rôle financier essentiel à la fois par la fiscalité et par la planification des usages et des décisions dans le domaine de l’occupation des espaces urbains.
Repenser le centre
La question du commerce s’inscrit dans la globalité de la situation des centres urbains. Ce ne sont pas seulement les espaces commerciaux qu’il importe de repenser, mais bien l’ensemble des quartiers centraux de ville. À cet égard, la politique des transports et des déplacements a un rôle essentiel. En effet, d’abord, les commerces du centre ne peuvent être sauvés que par une véritable piétonnisation des rues – comme, d’ailleurs, cela a commencé à âtre compris à Marseille, même si ce n’est pas suffisant. Faire retrouver la rue aux piétons permet un véritable face-à-face entre les usagers et les boutiques dont les vitrines sont une sorte de musée urbain à la disposition des promeneurs qui, grâce à elles, peuvent redevenir de véritables usagers. C’est ainsi en se transformant en un espace de promenade grâce aux commerces que le centre de Marseille peut redevenir un centre. Mais repenser les centres urbains, cela passe aussi par ce que l’on peut appeler un plan de requalification du centre, destiné à lui faire retrouver les formes et la qualité qu’il avait auparavant. Un tel plan permet de repenser le centre en articulant les exigences écologiques et ce que l’on pourrait appeler une grammaire esthétique des commerces : cesser de ne concevoir les commerces que comme de simples espaces commerciaux et comprendre que les figures esthétiques de leurs vitrines contribuent à donner au centre de Marseille l’exigence et la qualité esthétiques qu’il a perdues à force d’être abandonné. Car, finalement, c’est bien de cela qu’il s’agit : en finir avec l’abandon, avec les magasins fermés tout au long des rues, avec les vitrines recouvertes de débris d’affiches qui jalonnent les trottoirs, avec ces sensations de vide que donnent les échoppes fermées qui font perdre aux rues leur voix et leur vie. Les vitrines et les commerces sont le point essentiel et prioritaire d’une véritable réhabilitation du centre de la ville. Mais à cela s’ajoute une autre dégradation des activités commerciales du centre dues à ce méfait que l’on peut appeler leur « périphérisation » : en s’installant dans les centres commerciaux de la périphérie, les magasins ont fait du centre un espace de commerces de deuxième catégorie, un espace de « sous-commerce », ce qui contribue à l’aggravation de la déqualification du centre.
Une question particulière : celle du Centre Bourse
La fermeture des Galeries Lafayette a été comme un symptôme de cette déqualification. En rendant plus précaire le Centre Bourse et en préfigurant sa fermeture, la fermeture de cette « grande surface » ancestrale permet de comprendre plusieurs faits importants. D’abord, la fermeture des magasins anciens venant s’installer au Centre Bourse pour se conformer à un effet de mode irrationnel, a abandonné des immeubles anciens en bon état, bien entretenus et symboles d’une ville ancienne du XIXème siècle encore prometteuse et a, ainsi, contribué à tuer le centre pour se lancer dans l’aventure précaire d’un centre commercial appelé à ne pas durer. Le départ des Galeries Lafayette n’a, somme toute, été, qu’un symptôme de la mort du centre-ville en raison de la disparition de ses activités commerciales. À cela s’ajoute le voisinage du Centre Bourse à côté d’immeubles des années soixante eux-mêmes en mauvais état. Le Centre Bourse ne peut être réhabilité, car il est tellement abandonné par les surfaces qui l’habitent en plus des Galeries Lafayette que rien ne peut contribuer à lui faire retrouver une vie réelle. Ensuite, l’incertitude sur le centre de la ville et sur son avenir empêche de prévoir un usage rationnel du Centre Bourse. On ne peut savoir ce que deviendront ses commerces puisqu’on ne sait pas ce que deviendra le centre de Marseille dans les dix ans à venir. Parmi les incertitudes, on peut compter l’évolution de la dégradation des constructions, l’impossibilité de prévoir quelles opérations de déqualification pourront être mises en œuvre et l’absence de vision à long terme du devenir de la métropole faute de véritable politique d’activité économique et d’habitation. Enfin, et surtout, on ne peut imaginer le futur d’un espace abandonné par les habitants de la ville. Pour pleinement retrouver un centre digne de ce nom, la première urgence est de faire en sorte que, dans leurs pratiques quotidiennes, celles et ceux qui habitent la ville se reconnaissent en lui et se le réapproprient. Alors le centre de Marseille pourra redevenir un centre urbain conçu comme un lieu majeur de sa géographie économique, politique et symbolique.
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