[Histoire d’atelier] Les marionnettes d’Alma et Ninon
Après s'être invitée dans les cuisines des Marseillais, la dessinatrice Malika Moine part à la découverte des ateliers d'artistes. Pour Marsactu, elle et ses crayons se glissent dans les coulisses de la création, afin de raconter des lieux qui en disent parfois autant que leurs occupants. Cette semaine, rencontre avec les marionnettes d'Alma et Ninon.
L'atelier de marionnettes d'Alma et Ninon. (Dessin : Malika Moine)
C’est inédit : je ne connais rien du travail d’Alma et Ninon et ne les ai jamais rencontrées lorsque je contacte Alma pour une chronique. J’ai juste eu une confiance aveugle en Cyril Bourgois, un copain marionnettiste, membre du collectif Octopode. L’évocation de marionnettes m’a rappelé un de mes plus beaux rêves : après avoir volé au-dessus d’Essaouira et frôlé l’océan, m’être reposée sur un nuage, je me suis retranchée en moi-même, avec une question : “Que faire de ma vie ?” Et subitement, je me suis écriée “Euréka !” Des marionnettes ! En elles, tout ce que j’aime se retrouvait, le modelage, la peinture, le spectacle. C’était comme une renaissance… Je partis peu après par le désert avec les Grandes Personnes, une compagnie de marionnettes géantes au Burkina Faso, mais c’est une autre histoire. Aujourd’hui, curieuse et un peu nostalgique, je m’apprête à rencontrer Alma et Ninon et découvrir leur atelier au cœur du quartier de la Conception.
Alma descend m’ouvrir et m’invite à boire un café au premier étage où elle habite, petite halte bénéfique avant de gravir les escaliers jusqu’au quatrième où se trouve l’atelier. Ninon ne tarde pas à arriver. On s’est déjà croisées, Marseille est une petite ville… De deux voix, elles racontent : “Ça fait six mois à peine qu’on travaille dans cet atelier… On savait qu’il y avait un appart vide au quatrième et on a œuvré au long cours pour convaincre la propriétaire de nous le louer… On est hyper heureuses, c’est l’idéal pour notre domaine, un appartement !” Je réalise qu’il n’y a pas une seule fenêtre, la lumière entre par des vasistas dans chaque pièce. “C’est très lumineux, mais il n’y a pas de vue, au moins, on n’est pas distraites !”
Légèreté et solidité
Le lien entre espace et création est singulier et essentiel dans cet appartement reconverti en atelier. Alma explique : “Plusieurs pièces, c’est assez parfait, car on utilise des matériaux très divers pour des usages différents. Ainsi, on n’a pas la poussière du plâtre, du bois ou de la limaille de métal dans l’espace de couture. À chaque pièce, sa destination. L’espace de stockage, c’est la salle de bain. La cuisine est dédiée à la sculpture en argile et en mousse, au moulage en plâtre et « autres dégueulasseries ». À la peinture aussi. Le salon est l’espace « établi », celui qui fait de la poussière et que je vais dessiner.” “Quant à la chambre, c’est la pièce propre, du dessin et de la couture”, complète Ninon. “Et de l’administratif”, soupire Alma.
“Ma p’tite Dame” du Théâtre du Mouvement. (Crédit : Claire Heggen)
Je veux voir des marionnettes et les filles font surgir un petit gars dans la main duquel peut judicieusement s’aimanter une valise, un harmonica, un balai ou un plumeau ; un vieux au doux regard et à la grosse bedaine ; une tête à taille humaine, très impressionnante, qui ressemble au croquis épinglé sur le mur. À leurs côtés, l’assez grande structure d’une marionnette articulée avec sa tête en papier, en devenir… “Les maîtres-mots de notre métier sont la légèreté et la solidité.”
Avant de les faire parler de leurs outils, je les questionne sur les matériaux, les uns et les autres se confondant parfois… “La terre, que l’on sculpte pour la première étape du moule. Puis, le plâtre, avant le papier ou le worbla, comme pour les masques de Virginie Breger. La mousse est un allié précieux, souffle Ninon. Et les colles, de toutes sortes : chaude, néoprène…” Elles en parlent comme d’ingrédients magiques. Ne sont-elles pas effectivement de merveilleuses sorcières qui donnent corps aux matières ?
De la scie à chantourner au couteau à rôti de la ménagère des années 70
Et les outils, alors ? “Tout !”, s’exclament-elles en chœur. Et l’une après l’autre ou d’une même voix, elles citent des outils, si vite que je peine à les écrire : “Les visseuses ; la scie à chantourner — une machine sur socle avec une toute petite scie un peu souple qui permet de faire des ronds, de dégrossir avant la Dremel qui va dans les détails — ; le couteau à rôti de la ménagère des années 70 pour faire les formes dans la mousse ; les (très bons) ciseaux de coiffeur et de couture ; l’indispensable cutter qu’on utilise tout le temps.” Là, elles se regardent dans les yeux d’un air entendu. “La râpe à plâtre pour lisser la mousse ; tous les outils de peinture, sculpture, poterie… le fer à souder ; la disqueuse ; la meuleuse ; la scie sauteuse ; plein de pinces, marteaux, pistolets à colle, limes, la perceuse à colonne ; la machine à coudre et tout l’attirail de couture… et… NOS MAINS !!!”
Les outils d’Alma et Ninon dans leur atelier de marionnettes. (Dessin : Malika Moine)
Je les questionne sur leur statut, leurs revenus. “On est constructrices, intermittentes du spectacle. On réalise des commandes et des créations pour des compagnies, des artistes ou des réalisateurs. On ne peut pas dire qu’on soit « tranquilles », la marionnette n’est pas l’art qui capte le plus de subventions…” En parallèle du travail en atelier, Ninon bosse parfois comme accessoiriste dans le cinéma et Alma fait des ateliers marionnettes dans les écoles ou pour réaliser des films d’animation, avec des compagnies qui jouent ensuite leurs spectacles.
Marionnettes en spectacle
La reconnaissance du talent de Ninon et Alma passe par le bouche-à-oreille dans le métier. Tant et si bien que c’est seulement à l’occasion de cette chronique qu’elles ont créé leur page Instagram afin que tout un chacun puisse voir leurs créations. Toutefois, rien ne vaut d’assister à un spectacle qui met en scène leurs marionnettes : Ce(ux) qui reste(nt) de la compagnie Inéluctable ; Poussière de la compagnie Infra ; Ma p’tite dame du Théâtre du Mouvement. Mon petit doigt me dit qu’il se pourrait que l’Octopode ou Les Vagabonds des Étoiles jouent prochainement dans les parages…
“Poussière” de la compagnie Infra. (Photo : Véronique Lespérat-Héquet)
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