A la recherche des bancs du Vieux-Port

A la recherche des bancs du Vieux-Port

A l'heure du déjeuner, pour peu qu'il y ait un grand soleil, il faut être rusé pour trouver un endroit où s'asseoir sur le Vieux-Port. Grilles d'aération, socles des Funny Z'Animaux et bords de quais sont pris d'assaut par les piétons désireux de se poser un instant. Même les M géants du pavillon M sont convertis en canapé deux places. Mais ces sièges de fortune ne sont pas du goût de tous.

Où sont les bancs ? Dans une ancienne plaquette de présentation, la communauté urbaine Marseille Provence métropole (MPM) vantait des bancs "en essence de bois clair et acier" dessinés par l'équipe Michel Desvigne/Norman Foster. Le document, pas plus que le site dédié à la rénovation, ne précise la date à laquelle ils seraient livrés. Interrogée, la maire de secteur des 2/3, Lisette Narducci s'étonne à son tour : "C'est vrai ça, quand est-ce qu'ils vont poser ces bancs ? L'été arrive et cela fait défaut". Travaillés au corps, les services de MPM finissent par lâcher une date ou plutôt une période : les bancs seront posés entre la mi-mai et la mi-juin, conformément à un accord avec la Ville et Marseille Provence 2013. Ce délai – "prévu" – se justifie pour "des raisons de sécurité lors de la tenue des grands événements populaires". ​

Selon la direction technique de MPM, seuls trois ou quatre exemplaires sont déjà prêts, les autres sont en cours de construction. La date de pose ne serait pas encore fixée mais Lisette Narducci n'entend pas laisser traîner l'histoire. Trouvant "ridicule d'attendre que les grands événements de MP2013 soient passés", la maire de secteur a écrit au président de MPM pour lui demander que les bancs soient installés sans délai, pour "qu'on puisse en profiter dès à présent".

"Contre les bancs en général"

La question des bancs n'est pas anodine. Dès l'enquête publique, les débats ont fait rage à ce propos. Lisette Narducci encore : "Les avis étaient très partagés sur la question, notamment car certains craignaient des nuisances nocturnes".  Parmi les opposants, le député et maire du 1-7 Patrick Mennucci qui se dit "contre les bancs en général car nous sommes dans une ville sans police municipale pour gérer les éventuels problèmes liés aux occupants des bancs notamment la nuit". C'est un argument qu'il avait déjà mis en avant lors d'une réunion de concertation en juin 2011.

Pour trancher, MPM a décidé que le nombre de bancs serait le même qu'avant la rénovation, soit une vingtaine. "Ni plus ni moins", Vassalcommente l'adjointe à l'espace public de la Ville, Martine Vassal qui poursuit : "Nous avons demandé à ce qu'ils soient déplacés car ils étaient au milieu". Comme par le passé, les bancs seront installés sur le quai du Port. Aucun n'est prévu sur celui de la Fraternité ou sous l'ombrière, afin de "conserver un grand espace dégagé" selon MPM. Là encore, la sécurité des grands rassemblements est mise en avant par la Ville pour justifier l'absence de bancs. "Par ailleurs, il y aura des bancs sur le quai Rive Neuve, alors que jusqu'alors ce n'était pas le cas", souligne Jean Viard, vice-président de MPM  en charge du projet Vieux Port.

Depuis le début du projet, leur sort n'a jamais été vraiment fixé. Lors des premières esquisses, MPM avait imaginé un temps de bancs amovibles mais cela posait un vrai problème technique. Dans le dossier soumis à enquête publique, ils étaient en pierre, collant avec l'identité minérale voulue pour le site. Pour les bancs de Foster, on a entraperçu quelques vagues visuels qui reprennent les matières des estacades.

"Toute une petite vie populaire"

Les bancs du Vieux-Port font pourtant partie de son histoire. "Beaucoup de gens s'y posaient, raconte l'écrivain marseillaise Sara Vidal, notamment des familles. Il y avait toute une culture et une petite vie populaire". Elle avait lancé un cri d'alarme dans Rue89 en 2008 sur la disparition progressive des bancs dans le centre. Pour elle, c'est "une façon d'éliminer un certain plaisir", qui l'inquiète sur le Vieux-Port. "Mon soupçon est qu'on cherche à orienter les passants vers les cafés pour qu'ils consomment", ajoute-t-elle. Sara Vidal poursuit en expliquant "sur les bancs, ils ont commencé par mettre des accoudoirs par crainte des zonards". Ces accoudoirs rassurent justement Patrick Mennucci puisqu'ils "empêchent les SDF de s'y installer".

"Les bancs sont pour ceux qui n'ont pas envie d'aller aux cafés. Il faut un équilibre entre les populations, se défend Jean Viard, par ailleurs sociologue spécialiste du temps libre. Jean Viard se félicite par la même du succès que rencontre le Vieux-Port rénové : "C'est un espace piéton et la logique de promenade fonctionne très bien".

Pour le sociologue urbaniste Eric Hamelin, de l'agence spécialisée Repérage urbain, la question est révélatrice de la mise en avant à Marseille de ce qu'il nomme une "logique circulatoire". Ainsi, "Marseille est la cousine de Paris, les gens doivent se déplacer dans l'espace public". Il les oppose à d'autres grandes villes françaises comme Bordeaux, Lille ou Lyon qui sont dans une logique différente de gestion d'espace public. "A Lyon sur les quais, on a aménagé de nombreux lieux de prélassement, illustre t-il. Eric Hamelin rappelle également le tiraillement des élus locaux face aux inquiétudes des riverains quant aux nuisances sonores que pourraient occasionner les occupants des bancs, notamment la nuit. Pour lui, "ce n'est pas nécessairement un choix politique délibéré mais plutôt un état d'esprit".