Bank of Paradise : le plan d'Aou monnaie sa légende

À la une
le 21 Déc 2012
2
Bank of Paradise : le plan d'Aou monnaie sa légende
Bank of Paradise : le plan d'Aou monnaie sa légende

Bank of Paradise : le plan d'Aou monnaie sa légende

Constamment balayé par un vent glacial, le plan d'Aou offre au-delà des pylônes en béton une vue à couper le souffle sur la rade marseillaise. Ce matin-là, les barres d'immeubles abandonnées laissent une impression de vide, de zone en friche, tandis que plane l'étrange sensation d'être observé. Jean-Luc Brisson, artiste en charge du "Quartier créatif" Bank of Paradise le confirme, nous sommes sur le territoire des dealers. Des carcasses de voitures en plein air provoquent la suspicion. Les stigmates d'une séance de vandalisme, sans nul doute. Et bien non. Pour notre guide, il s'agit en réalité d'un garage improvisé. Cet auteur plasticien, également paysagiste* connaît bien le quartier pour y avoir passé en 2007 deux années en résidence à la Gare Franche, à l'issue de laquelle il a publié un livre intitulé Le paradis, quelques observations sur le plan d'Aou. "Au début, j'avais un peu honte d'appeler ce quartier pauvre un paradis, et puis les habitants ont dit que pour eux, c'était bien le cas. C'est paradoxal, pour un quartier aussi isolé, mais les habitants s'y sentent bien, il y a beaucoup d'entre-soi, l'été les vieux sortent leurs chaises longues pour observer les va-et-vient de la rue… Et on a une vue époustouflante, comme si on flottait au-dessus de Marseille."

Lorsque l'association Marseille-Provence 2013 contacte Jean-Luc Brisson pour participer à un "Quartier créatif" au Plan d'Aou, il ne sait d'abord quoi répondre. "La situation est explosive dans ce quartier en pleine mutation, et au centre d'une politique de renouvellement urbain [l'un des objectifs de la rénovation urbaine est de désenclaver le quartier et de générer une mixité sociale – ndlr] L'idée répandue chez certaines institutions est que les artistes pourraient résoudre les problèmes là où celles-ci échouent. Or, l'artiste ne peut pas y remédier directement, ce n'est pas son rôle, il peut juste être là et veiller à ne pas se laisser instrumentaliser".

Vendre l'âme du quartier

Le but ambitieux des quartiers créatifs se résume à favoriser, par un projet artistique, l'appropriation par les habitants de leur cadre de vie en rénovation. Vaste projet lorsque l'on remarque, avec un oeil averti, les multiples vexations et frustrations des habitants, infligées par une politique de la ville parfois absurde ou incomprise. Telle cette aire de jeux, sous les fenêtres d'un immeuble, équipée d'installations ludiques mais dépourvue de bancs pour éviter les trafics…"Du coup, les mamans s'installent sur les balançoires et les enfants jouent autour", relève Jean-Luc Brisson, hochant les épaules en signe d'impuissance. Autre erreur de la ville, d'après l'artiste-paysagiste, lorsqu'elle a vendu à des particuliers un éperon rocheux, véritable belvédère sur Marseille. "Les habitants l'ont mal pris. En vendant cela, ils ont vendu l'âme du quartier. C'était un lieu de promenade pour les amoureux, les vieux."

Crédit: E.C

Justement, la question de la concertation citoyenne présentée dans le projet de Mp2013 séduit l'artiste, qui réfléchit à un projet hybride entre ses compétences d'artiste et de paysagiste. "On ne sait pas très bien comment s'y prendre, on sait juste qu'on ne peut pas imposer un truc tout fait." C'est là l'objet des polémiques et des critiques autour des quatorze quartiers créatifs, dont certaines associations considèrent justement qu'ils n'impliquent pas suffisamment les habitants. D'autres regrettent les sommes importantes investies dans ces projets, souvent non pérennes, comme celui des "Jardins possibles" de la Busserine, où des associations du quartier ont décidé de se retirer avec pertes et fracas.

De son côté, Jean-Luc Brisson refuse d'entrer dans la polémique et se concentre sur son projet. L'idée de créer une banque, "Bank of paradise", émerge très vite. "J'avais remarqué que les gens parlaient du film de Robert Guédiguian, l'Argent fait le bonheur, tourné à Saint Antoine comme si c'était réel. Il existe toute une mythologie dans le quartier et je voulais que cette banque s'en inspire et la reflète." Jean-Luc Brisson s'installe dans la Bastide de la Gare Franche, lieu artistique du quartier habité par une compagnie de théâtre permanente et propose de créer des faux billets avec les habitants, à partir des dessins récoltés sur le plateau du plan d'Aou. L'idée est de donner de la valeur aux dessins en leur attribuant une devise, imaginaire ou réelle.

L'histoire de la tempête…

Ce mercredi, des enfants du centre aéré de 7 à 10 ans ont rendez-vous à la Gare Franche pour créer leurs billets. Un tour de table est effectué pour entendre les histoires du quartier, celles que les enfants souhaiteraient dessiner sur leurs billets. Un gamin se lance, "moi je voudrais dessiner une rivière, parce qu'on m'a expliqué que derrière il y avait le Maroc, l'Afrique." Une autre poursuit, en référence à un fait divers : "moi je vais dessiner des balançoires et des gens qui sont venus tout brûler". Mutine, la petite Lylia explique, "je vais raconter l'histoire de la grosse tempête qui a amené un bateau sur le plan d'Aou". L'atelier se poursuit sur une bonne partie de la matinée entre les cris d'enfants et les coups de pinceaux appliqués.

Crédit: E.C

"A l'origine, c'est une banque du dehors, nous avions l'idée de fabriquer des guichets, des petits aménagements." Seulement voilà, le premier guichet tout en bois est brûlé, un mois et demi plus tôt, quelques temps après son installation. Jean-Luc Brisson refuse d'abandonner, en tire des enseignements. "C'est révélateur de ce qu'il se passe dans le quartier. Ici, des familles entières vivent du commerce du haschich. Cette entreprise, très familiale, n'a pas envie qu'il se passe trop de choses, et en même temps elle nous tolère parce qu'elle ne veut pas d'histoire. On a fait une erreur en organisant l'inauguration du guichet avec tout le gratin culturel." Le profil des auteurs du saccage ? "Des gamins désoeuvrés, avec un père en prison. On peut être vu comme des gens qui touchent du fric public. Nous ne sommes encore arrivés à atteindre tout le monde, mais nous recommencerons aux beaux jours, nous imaginerons autre chose." Le pari ambitieux des quartiers créatifs semble loin d'être gagné, mais ce matin, Jean-Luc Brisson se raccroche aux sourires des minots.

*Directeur du département Arts plastiques de Versailles, antenne marseillaise (ENSP).

Crédit: E.C

Cet article vous est offert par Marsactu
Marsactu est un journal local d'investigation indépendant. Nous n'avons pas de propriétaire milliardaire, pas de publicité ni subvention des collectivités locales. Ce sont nos abonné.e.s qui nous financent.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. Pizzaiolo Pizzaiolo

    Des faux billets? Une banque du bonheur? Des dessins d’enfants? Je ne comprends pas très bien en quoi tout ça peut aider les habitants à “s’approprier leur cadre de vie en rénovation”. Au lieu de projets farfelus, les artistes feraient mieux de faire du soutien scolaire ou de donner des cours de français ou d’anglais, pour aider les gamins des cités a acquérir de vraies compétences.

    Signaler
  2. Ro g Ro g

    C’est bien de créer des animations ou des identités culturelles dans les cités, sauf que, aujourd’hui et même de hier, c’est à dire depuis quelques années, l’état, la ville la région ou le département ne donne plus assez d’argent, il n’y a plus d’éducateurs de rues, les centres sociaux se débattent comme ils peuvent . Car si ils occupent les plus petits, les ados sont laissés de coté, et c’est malheureusement à cet age là qu’ils commencent à s’occuper en faisant les chouffs, en faisant les sacs, ou les colliers bref l’age de l’apprentissage de la délinquance . La situation économique, faisant aussi son lot de futurs assistés sociaux, déjà que beaucoup d’enfants ont des parents qui n’ont jamais travaillés, et donc n’ont aucuns principes à éduquer à leurs enfants, le système favorisant les mères célibataires, on voit dans les cités des familles “monoparentales” (soit disant) fleurir à qui mieux mieux, une mère 3 enfants, touchant un max d’allocations diverses, et des enfants laissés à l’abandon . Oui bien sur la cité est un village, les identités sont fortes et revendiquées, ici personne ne fait partis de la banlieue, on est Tous de Marseille, on aime tous l’OM, grands ou petits, mais voilà, Marseille est sinistrée, pas d’emplois, pas d’industries, plus d’encadrement des jeunes . Ce qui est encore une chance, c’est que entre habitants des cités et leur jeunesse une certaine paix existe, la délinquance ne concerne que le centre ville, et les quartiers “Riches”, bien sur il y a le trafic de schit sur place, mais les dealer aiment la tranquillité pour leur commerce, finalement les quelques règlements de comptes entre bandes rivales, ne font des victimes que dans leurs propres clans, moindre mal .
    Je sais relativement de quoi je parle, j’ai participé à des assos sur Frais Vallon, j’habite maintenant au Clos à la Rose .

    Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire