Après trois suicides, les salariés d’Air France à Marignane dénoncent le mal-être au travail
Depuis la mi-novembre, trois salariés d'Air France à l'escale Marseille se sont donnés la mort. Si les raisons de ces suicides restent pour l'heure non établies, les salariés dénoncent un mal-être général dans l'entreprise.
Les salariés d'Air France en grève ce lundi matin 7 janvier.
Ce lundi matin, les passagers des vols nationaux au départ de Marseille n’ont pas trouvé le calme habituel du hall B. Les voyageurs qui s’enregistrent sur les bornes automatiques se sont en effet trouvés face à une foule silencieuse d’hôtesses, stewards et agents de piste rassemblés, la mine grave. Sur des pancartes tenues par ceux qui s’affairent d’ordinaire à les conduire jusqu’aux avions, on peut ainsi lire “En mémoire de nos collègues disparus, plus jamais ça”. Entre mi-novembre et fin décembre, les salariés Air France de “l’escale Marseille” ont perdu trois des leurs. Trois suicides avec en toile de fond des conditions de travail difficiles subies par tous.
“Ce n’est pas normal d’être humilié et infantilisé. Nous les voyons les copains et les copines qui ne sont pas bien. Mais la direction ne cassera pas la solidarité sur l’escale de Marseille, même si elle sait s’attaquer aux plus faibles.” Après une minute de silence, les mots sont forts. Aimé Musto est secrétaire national de la CGT Air France, syndicat qui a lancé l’appel au rassemblement, accompagné d’un mouvement de grève ce matin à Marseille. “On veut pouvoir conjuguer vie professionnelle et sociale. Combien encore de couples déchirés ? De vies brisées ?”, reprend-il au micro rejoint par son homologue local Serge Bodrero : “Nos conditions de travail engendrent des problèmes personnels. Nous voulons retrouver un rythme. Maintenant ça suffit l’esclavagisme, on a une vie de famille et on va la reprendre !”
Pour les syndicalistes et nombre de personnes présentes ce lundi, cette série de suicides n’est pas sans lien avec les emplois du temps compliqués imposés par la compagnie.
Refus d’aménagement de planning
Pascal était agent de piste et venait de vivre une séparation. “Il a demandé un arrangement sur son planning au chef de pôle. On lui a répondu «ce n’est pas mon problème»“, explique avec colère David*, référent opération de piste. “Dire que c’est uniquement le travail c’est compliqué, mais ça a été un mélange”, poursuit l’homme qui connaissait le défunt depuis le lycée. “Il avait aussi demandé un rendez-vous avec l’assistante sociale. Je ne sais pas ce que ça a donné mais après ça, il n’est plus venu pendant trois ou quatre jours. Personne ne s’est soucié de son absence”, raconte Virginie, agent d’accueil venue dénoncer les conditions de travail à l’aéroport Marseille-Provence.
Selon les manifestants, au moins l’une des deux autres personnes qui s’est donnée la mort ces dernières semaines aurait fait les frais d’un refus d’aménagement horaire. Ils avaient entre 32 et 50 ans. Contactée, la compagnie ne souhaite pas communiquer sur “ces cas particuliers, ce qui serait trop douloureux pour les familles”. “Il s’agit de situations personnelles différentes. Et c’étaient des gens qui n’avaient pas la même activité. Actuellement, aucun lien n’est établi entre leur activité et leur situation personnelle. Air France répondra à toutes les questions s’il y a une enquête, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui”, ajoute-t-on. Les salariés, eux, alertent sur une situation qu’ils jugent représentative d’un mal-être général.
“Nous n’avons plus de rythme”
“Avant nous avions des grilles horaires qui changeaient toutes les trois semaines. Maintenant elles en font 18 et aucune semaine n’est identique à l’autre. Nous n’avons plus de rythme. D’autant plus qu’il arrive qu’on nous change notre emploi du temps trois jours avant sans nous demander notre accord, poursuit Virginie. Une collègue a demandé un aménagement horaire pour s’occuper de son enfant de trois ans, on lui a répondu “faites comme moi, laissez le seul”. Trois ans !”.
900 mises à pied auraient été distribuées en trois ans selon la CGT.
Pour la direction d’Air France, l’inconvénient vient plutôt de la profession. “La majorité de nos employés travaillent en horaires décalés. C’est un choix de vie. Un modèle de travail et de vie personnelle atypique. Alors oui, il peut être difficile de concilier les deux”, se défend-elle.
Réprimandes, humiliation, infantilisations sont des termes qui reviennent sans cesse dans la bouches des employés grévistes. 900 mises à pied auraient été distribuées en trois ans selon la CGT. Un chiffre que la direction d’Air France ne peut confirmer avec précision. Elle estime qu’il correspond aux dispositions de la loi Diard, selon laquelle les grévistes des compagnies de transport doivent se déclarer 48 heures à l’avance. “Cette loi, qui ne s’applique pas qu’à Air France, a eu du mal à passer”, juge encore la direction de la compagnie. Mais au delà d’un problème d’emploi du temps, c’est toute une méthode managériale que dénoncent les salariés rassemblés ce lundi matin.
“Il y a peu être eu des maladresses managériales”
Avec une date qui a marqué selon eux un changement. “Il y a trois ans, avec l’arrivée de la nouvelle direction parisienne, estime comme beaucoup Alexandra, agent de piste pour la compagnie à Marseille. En piste, on a senti un changement radical. Ils ont cassé les équipes, nous mettent une pression énorme, se cachent pour vérifier que l’on fait bien le travail.” Même sentiment de réprimandes et de brimades permanentes dans l’aéroport. “Ils mettent des affiches pour dire que si l’on refuse de rester plus longtemps pour un retard d’avion, on risque d’être licencié”, s’insurge encore Virginie. Là encore, la direction avance une explication qui ne dépend pas d’elle. “Notre entreprise vit un bouleversement à cause du TGV, des low-cost et de la digitalisation. Ce bouleversement fait que nous avons dû nous adapter. Et le changement est toujours difficile. Après, il y a peut-être eu des maladresses managériales.”
La direction a proposé aux salariés “des groupes de travail dans les jours qui viennent pour tout remettre à plat et parler des choses qui dysfonctionnent”, ajoute Air France. Mais ces derniers ont du mal à croire en la bonne foi de leur employeur. “Tout est sujet à pression. La nouvelle direction est là pour accomplir une mission. Celle de réduire les coûts. Et les coûts, c’est nous. Il y a de choses qui vont dans le bon sens avec le changement, mais la façon dont il est opéré est inhumaine, ne se contient plus David*. Tout le monde est à bout, et c’est la sécurité que la direction est en train de mettre en jeu.” Les salariés demandent un changement de cap radical. Dans une lettre ouverte, ils sollicitent un entretien avec Benjamin Smith, le tout récent président d’Air France KLM.
- Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressé.
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