Le “système” Jibrayel vaut un procès à l’ex député PS

Le “système” Jibrayel vaut un procès à l’ex député PS

Après Sylvie Andrieux, Henri Jibrayel. Après la condamnation de la première, l’autre ex député PS des quartiers Nord de Marseille (battu en 2017) comparaîtra lui aussi devant un tribunal correctionnel. Comme l’a révélé Le Monde, les juges d’instruction Valéry Muller et Benoît Couzinet ont décidé le 3 août 2018 de l’y renvoyer pour prise illégale d’intérêt et abus de confiance. Des qualificatifs pénaux pour définir “le système Jibrayel” qu’ils estiment avoir découvert.

Au cours de leur enquête, ils ont fait la connaissance de plusieurs associations sur lesquels celui qui est toujours conseiller départemental aurait exercé une tutelle. À ses côtés, une femme décédée en 2014, Berthe Quéro, était à la fois la cheville ouvrière de ces associations et son assistante parlementaire. Et elle n’hésitait pas à mélanger les deux rôles, admettait-elle face aux enquêteurs : “Chaque élu est en lien avec ses propres associations. (…) En tant que membre du PS, je suis totalement dévouée à l’élu de secteur. Aujourd’hui c’est monsieur Jibrayel, dont je suis l’employée. Je travaille à la fois pour le bien du quartier vis-à-vis des seniors et pour lui. Mes associations et mes interventions me servent dans les deux buts.”

Les croisières de “petits vieux”

L’activité associative pouvait donc servir les objectifs politiques. Elle fonctionnait à grand renfort d’argent public, qu’il s’agisse de la réserve parlementaire du député Jibrayel ou de subventions du conseil général auxquelles s’est intéressé l’enquête. Dans le détail, plusieurs associations étaient contrôlées par Berthe Quéro et touchaient des subventions dont Henri Jibrayel s’assurait du suivi auprès des services du département. Mises ensuite sans plus de formalités dans une sorte de pot commun, elles servaient à financer des activités présentées – diront de nombreuses personnes interrogées – comme “payées par Henri Jibrayel”.

L’événement le plus détaillé est aussi le plus connu : des mini-croisières organisées par l’association au cours desquelles a pu discourir l’élu. Durant l’instruction, l’ancien président du directoire Marc Dufour et des employés de la SNCM, qui mettait à disposition les bateaux, ont apporté des éléments confondants. Ainsi, une série de mails témoignent de l’implication constante d’Henri Jibrayel dans le choix des dates et l’organisation de l’événement. Pour les enquêteurs, le député est alors “le gérant de fait” de ces associations.

Entendu, Marc Dufour s’est souvenu d’un rendez-vous de mars 2011 : “Après avoir discuté des intérêts de la SNCM avec monsieur Jibrayel, ce qui était l’objet principal de notre rencontre, la grande préoccupation de monsieur Jibrayel était de transporter des petits vieux, il m’avait demandé si ça se faisait. Je lui ai répondu que oui, nous organisions souvent ce genre d’événements. Il me posait beaucoup de questions techniques”, rapporte-t-il ajoutant qu’Henri Jibrayel lui a même demandé “un prix”. Il obtiendra une ristourne de 15 %. En mai 2011, un peu plus d’un an avant les législatives qui verront Henri Jibrayel être réélu, 31 650 euros seront ainsi déboursés pour balader “les 1200 seniors du quartier” en Méditerranée.

Une fois le prix et la date calés par le député, les associations rassemblent tant bien que mal les fonds malgré des retards dans le paiement des subventions. “Il est manifeste que les croisières organisées en 2011 et 2012 ont été payées avec des sommes destinées initialement à d’autres fins”, estiment les magistrats.

Quand Henri Jibrayel devient “Monsieur Garcia”

D’autres cas viennent renforcer l’idée d’associations à la main du député. Un élément particulièrement accablant consiste en des réveils et autres petits cadeaux distribués aux anciens par l’association des seniors des 15e et 16e arrondissements présidée par Claude Garcia, lui aussi renvoyé dans ce dossier pour abus de confiance. Sur certaines boîtes s’imprime même le nom d’Henri Jibrayel. Pour le livreur, le réel dirigeant est “Sébastien Garcia” et il a parfois affaire à “monsieur Garcia” quand les factures tardent à être payées. Sollicité pendant l’enquête, le prestataire s’aperçoit vite qu’il s’agit en réalité de Sébastien Jibrayel, fils du député et conseiller régional à l’époque, ainsi que de son père.

Un autre cas étonnant emmène l’enquête au-delà des avantages offerts aux seniors. Une présidente de copropriété raconte avoir pu faire subventionner des travaux par le conseil général moyennant la prise de cartes au parti socialiste. Sur les conseils de Berthe Quéro dit-elle, elle aurait fait passer le goudronnage de sa résidence pour une construction d’un prétendu “local associatif”. D’autres subventions suivront. “Les gens du quartier
savent que j’avais les subventions grâce au Parti socialiste et à monsieur Jibrayel, expliquera la présidente. […] Lorsque j’organisais des manifestations je disais aux gens qu’on devait tout cela à monsieur Jibrayel, avec le sous-entendu que les gens pouvaient s’en souvenir en votant.”

La justice en a donc conclu à un système clientéliste dans une enquête marquée par les interventions récurrentes du clan Jibrayel auprès des différents témoins. Henri Jibrayel n’a jamais reconnu au cours de l’instruction avoir été le réel pilote de ces associations. Il s’est au contraire présenté comme “un homme envahi par l’intérêt général et l’intérêt commun” selon le résumé des juges d’instruction. Interrogé par Le Monde, il a indiqué être “serein et tranquille pour obtenir une relaxe devant le tribunal qui reconnaîtra que l’accusation est erronée”.