Le parti communiste se sépare de ses archives pour mieux préserver sa mémoire
En octobre prochain, la fédération départementale du parti communiste verra partir la quasi-totalité de ses archives transférée vers celles du département. Des milliers de documents militants seront ainsi accessibles au plus grand nombre. Un transfert douloureux mais nécessaire selon les membres du parti.
Raymond Navarro, responsable des archives et Jérémy Bacchi, président de la fédération du PC 13.
Elles sont stockées dans une salle fermée à clef, cachée dans les étages du siège de la fédération. La clef, ils ne sont pas nombreux à l’avoir et ne la sortent que si vous faites preuve de persévérance. Bref, pour accéder aux archives du parti communiste des Bouches-du-Rhône, mieux vaut être patient et tenace. En pénétrant enfin dans cette salle obscure surchargée d’étagères elles-même pleines à craquer, impossible de passer à côté des cartons qui jonchent le sol d’une partie de la pièce. Après l’été, cette salle sera vide : le parti a signé il y a peu un accord de mise à disposition avec le conseil départemental pour acter le passage de ses archives militantes vers celles de la collectivité territoriale.
Ce transfert, qui s’inscrit dans une volonté nationale débutée il y a une quinzaine d’années, a été une première fois reportée. La fédération l’avait dans un premier temps annoncé pour le centenaire de la révolution d’octobre, l’année dernière, avant que le département ne repousse la date pour cause de chantier. Cette fois-ci, tout doit pouvoir se faire dans les règles de l’art à la rentrée. “C’est vraisemblablement en octobre ou novembre que le fond des archives du PCF sera intégré dans les magasins”, fait désormais savoir le département. “Elles seront mieux là-bas. Ici, qui sait qu’il y a ça ? Des jeunes viennent parfois les consulter mais il faut que ces documents soient disponibles plus largement”, répète comme pour se faire à l’idée Raymond Navarro, responsable de l’amicale des vétérans des Bouches-du-Rhône et en charge de ces archives.
45 tours et médaille de la Commune
“Il y a de l’émotion dans ce déplacement, confie-t-il pudiquement. Ça nous touche car tout ça fait partie de notre mémoire, nous avons mis énormément de temps à classer, ranger, mettre à jour…”. Créées il y a une vingtaine d’années, les archives militantes du parti communiste des Bouches-du-Rhône représentent actuellement quelque deux mille ouvrages, une centaine de revues différentes, des centaines d’affiches, un millier de photos, autant de rapports, des cassettes vidéo, 33 tours, 45 tours, super 8, plus de deux-mille biographies, quelques objets historiques dont une médaille datant de la commune… “Le parti communiste a toujours eu le souci de conserver, de préserver sa mémoire, peut-être plus que dans d’autres organisations”, estime Robert Mencherini, historien spécialiste notamment du monde ouvrier.
Depuis plus de vingt ans, Raymond Navarro et d’autres membres du parti se sont attelés à regrouper, trier, et entreposer plusieurs milliers de documents jusqu’alors éparpillés. “Nous avons entamé ce travail avec le déménagement du siège en 1986. Lorsque nous étions dans les anciens locaux, rue Saint-Basile, nous n’avions pas la place, rend compte Felix Girolami, également membre de l’amicale des vétérans et qui a participé à l’archivage aux côtés de Raymond Navarro. Il a fallu regrouper toutes les archives que chacun entreposait dans son bureau, puis classer à partir des localités, des événements politiques, de la chronologie et des archives personnelles des dirigeants.”
“Les archives militantes ont un intérêt historique important”
Ainsi, une importante partie des archives du parti communiste des Bouches-du-Rhône sont rangées par personnalité, de François Billoux à Robert Bret en passant par Louis Minetti. “Quand la directrice des archives du département est venue, elle était impressionnée non seulement par le volume mais aussi par le contenu. Les archives militantes, qui retracent les échanges entre les cellules, les sections, les débats internes, c’est quelque chose de rare”, raconte fièrement Jérémy Bacchi, président de la fédération.
Du côté du service des archives départementales, on salue bien entendu l’arrivée de ce nouveau fonds. “Cela apporte un éclairage particulier sur l’histoire du département depuis les années 1930, tant sur le plan politique que sur les évolutions sociétales ou économiques qui ont marqué la période, y indique-t-on. Parmi les éléments remarquables, on peut citer les dossiers rassemblés sur la Résistance dans le département, dont des journaux clandestins assez rares, les dossiers biographiques, les dossiers sur des épisodes marquants (chantiers navals de La Ciotat, Naphtachimie), sur les femmes ou les jeunesses communistes…”
Le parti communiste a pesé lourd dans l’histoire politique des Bouches-du-Rhône. Après guerre, le maire de Marseille s’appelait Jean Cristofol et il était PCF. Jusqu’à une date récente, Marseille avait sa ceinture rouge de villes communistes avec qui Gaston Defferre, refusait de faire alliance. C’est cette défiance qui explique en partie le retard pris par la métropole autour de Marseille. Dans la ville centre, le même Defferre a longtemps fait alliance avec la droite plutôt qu’avec le PC. Il faudra attendre le programme commun pour que les deux gauches se rapprochent. C’est donc une histoire militante forte et longue qui tient dans quelques mètres cube de cartons.
“Souvent, les organisations ignorent la valeur de leurs archives. Elles peuvent aussi être réticentes et pudiques à l’idée de les rendre publiques en considérant qu’il s’agit de leur histoire, explique avec son regard d’expert Robert Mencherini. Mais les archives militantes ont un intérêt historique très important. Souvent, les chercheurs doivent s’en tenir aux documents institutionnels, autrement dit, aux compte-rendus de police et donc au point de vue externe de la répression. Avoir des archives militantes est essentiel pour avoir un autre point de vue, interne celui-là.”
S’ouvrir pour contribuer à la connaissance collective du passé, et pourquoi pas, avoir une influence sur le présent, c’est de cela dont rêve secrètement Raymond Navarro en regardant ses archives partir. “Ces archives doivent être ouvertes à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire, à la mémoire. Aux étudiants, aux historiens, à d’autres que nous. Nous savons que nous ne sommes plus le grand parti que nous avons pu être, auto-analyse celui qui est entré chez les communistes en 1963, alors qu’il avait 24 ans. Mais notre histoire peut offrir des repères intéressants pour la société actuelle. Le Front populaire, la Libération, les conquêtes sociales… Comment y sommes-nous parvenus ? Quelle était la stratégie politique ? On ne va pas refaire 68, mais on peut en tirer des enseignements”.
“Nous ne garderons qu’une infime partie”
Le parti communiste des Bouches-du-Rhône va-t-il pour autant se dévoiler dans son intégralité ? En 2005, lors du transfert des archives nationales, il a été reproché au PC de transmettre un inventaire expurgé notamment de ses relations avec l’URSS. “Je ne vais pas vous mentir, vous ne le croiriez pas : nous n’allons pas donner 100 % de nos archives mais nous n’en garderons qu’une infime partie, ce qui peut prendre le caractère d’attaque personnelle, qui engage des personnes encore vivantes entre autres”, assure le responsable des archives.
Dans ces 600 boîtes d’archives, se trouvent notamment des fiches d’informations que le parti faisait remplir sur ces propres membres. “Oui, c’est vrai, cela a existé. Et si l’on voulait entrer ou rester au parti, il valait mieux avoir par exemple des parents communistes. Mais aujourd’hui, on ne fait plus ça. Je sais que de l’extérieur, les communistes peuvent passer pour des gens étranges, contre la liberté et la démocratie et il est vrai que notre histoire comprend des zones d’ombre. Mais nous avons tout à gagner à nous dévoiler tels que nous sommes, ça ne sera jamais pire que de ne laisser parler que nos adversaires”.
Même après le transfert, le parti communiste restera propriétaire de ses archives. Ainsi, les demandes de consultation, qui sont soumises aux mêmes conditions que les archives publiques, devront passer par son accord lorsqu’il s’agit de document de moins de 25 ans. “A priori, elles seront systématiquement validées. Sauf si c’est le FN, là on se posera la question.” L’inventaire des archives du PC devrait être “intégré dans les bases de données et accessible en ligne sur le site internet des archives, vraisemblablement dans le courant de l’année 2019”, fait-on savoir au département.
Et si l’idée de voir partir ses dossiers provoque à Raymond Navarro un “pincement au cœur”, il ne doute désormais plus sur l’intérêt d’aller jusqu’au bout de la démarche. “Nous avons tous des leçons à tirer du passé alors que certains veulent le faire oublier. Les peuples finissent toujours par avoir raison. Seulement, on ne sait jamais quand.”
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Une démarche intelligente et bienvenue dans le contexte actuel où la participation du PCF à l’histoire de notre pays est systématiquement oblitérée.
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