LE POUVOIR DU FRIC
C’est volontairement que j’emploie le terme « fric » au lieu de « argent » dans le titre de cette chronique : c’est que je souhaite y interroger de façon critique la façon dont le poids de l’argent et son pouvoir, justement, rendent le politique vulgaire, le soumettent à des logiques qui le détournent de son rôle fondateur – la bonne vie de la cité et de la société – pour le réduire à un champ de conflits d’intérêts et à une confusion incessante entre intérêt général et intérêts particuliers.
L’argent dans la société contemporaine
Une sorte d’icône s’est brisée, au cours de la semaine écoulée : il s’agit de D. de Villepin. Tout le monde a en mémoire son discours au Conseil de sécurité de l’O.N.U., alors qu’il était ministre des affaires étrangères, à propos de l’intervention des Etats-Unis en Irak, le 14 février 2003. On se disait alors que la France venait peut-être de retrouver un ministre des affaires étrangères. Et puis cette image vient de s’écrouler. Mediapart a publié, le 7 novembre dernier, un échange téléphonique entre D. de Villepin et A. Djouhri, un « intermédiaire », comme on dit, à propos de l’origine, sans doute libyenne, de fonds qu’il aurait versés à la société de l’ancien ministre des affaires étrangères. « Tu peux le pendre par les couilles », dit D. de Villepin dans l’extrait publié par Mediapart, c’est un menteur ! C’est des petites frappes… C’est des gars qui michetonnent des petits billets de 10 euros dans les coins pour faire leurs fins de mois… Je déteste cette race ! » « Moi, poursuit D. de Villepin, je fais pas comme toi : “On m’attaque, je réponds pas, je me planque, je me cache”… Moi, c’est pas mon truc… Et je ne laisse personne aller raconter des saloperies sur moi ! ». En-dehors du fait qu’il y a lieu de s’indigner de cette pratique, devenue courante, des anciens ministres, notamment des anciens ministres des affaires étrangères, de ne pas se contenter de leurs retraites quand ils quittent leurs fonctions, mas d’aller faire de l’argent en organisant des sociétés de conseil profitant, ainsi, des fonctions qu’ils ont occupées et détournant, ainsi, en quelque sorte, la confiance qui leur avait été reconnue par les électeurs, on est frappé par la vulgarité du ton, de la façon de parler, qui montre justement que le pouvoir de l’argent va jusqu’à transformer l’exercice du pouvoir en une activité de maquignons grossiers et avides.
Cela rejoint la préoccupation exprimée par la récente étude de l’Observatoire des Inégalités, elle aussi publiée par Mediapart, le 10 novembre, qui montre comment la pauvreté et l’exclusion s’aggravent en France depuis dix ans, pendant que les profits augmentent, ce qui engage une aggravation de l’écart entre les riches et les pauvres, mais même entre les plus pauvres et le classes moyennes.
L’argent dans la vie politique marseillaise contemporaine
Mais, si je cite ces propos de D. de Villepin, c’est pour montrer que cette déformation du politique par le pouvoir de l’argent se retrouve à notre échelle, dans la conduite de la politique marseillaise. Je le montrerai par deux exemples récents. Le premier est la brisure d’une autre sorte d’icône qui a perdu toute respectabilité. Françoise Nyssen, qui dirigeait Actes Sud à la suite de son père, devenue ministre de la Culture dans le gouvernement d’É. Philippe constitué par E. Macron, vient de montrer qu’elle était prête à sacrifier au pouvoir de la finance – en l’occurrence du projet de Vinci, un acteur de l’immobilier – un espace important de l’histoire de Marseille. Si la loi a fini par obliger les constructeurs immobiliers de commencer leurs chantiers par des fouilles archéologiques, c’est justement pour éviter que l’immobilier ne sacrifie des vestiges à la rapacité des promoteurs. Or, sur le site du boulevard de la Corderie, F. Nyssen s’est soumise à l’argent en concédant à Vinci l’idée que conserver 635 m2 du site, c’est-à-dire à peu près le tiers de sa surface, suffirait bien à la recherche archéologique. L’immobilier a gagné. La ville se vend à l’immobilier, ce qui est une sorte de prostitution. Cette complicité de l’éditrice avec les agents immobiliers et les promoteurs incite à engager un boycott des éditions Actes Sud. Alors que le région pouvait être fière de ces éditions et de leur rôle dans la vie culturelle, la ministre a brisé cette image.
Un autre exemple vient illustrer cette tendance de Marseille à se vendre : le sort de la villa Valmer. L’ancien siège de l’Agence d’urbanisme va être vendu à une entreprise privée qui va y installer un hôtel. Marseille perd son activité industrielle et son activité maritime pour se vendre de plus en plus au tourisme, comme les grandes villes des pays des pays du Sud du monde. Au lieu de chercher à développer une véritable vie et un véritable dynamisme économique, la ville s’endort en réduisant son activité au tourisme. Ne nous trompons pas : la vieille rengaine selon laquelle cela permet de créer des emplois – comme si cela justifiait tout – est un mensonge, un leurre : d’abord, en effet, il ne s’agit que d’emplois de faible qualification, ce qui permet de dissimuler l’absence de perspectives et de projet de formation réelle dans la région, et, ensuite, il s’agit d’une économie fictive car les pouvoirs sur ses orientations échappent à la ville et se situent hors d’elle.
Sans doute ces deux illustrations d’une tendance inquiétante de la politique menée par la municipalité marseillaise et par la métropole retrouvent-elles une autre aberration de la politique municipale : l’absence de réelle politique de transports en commun et la soumission de l’espace urbain à la voiture particulière ne font que manifester l’absence de vie urbaine dans une ville qui semble se réduire de plus en plus à une vie d’habitants enfermés dans leur voiture comme dans leur individualité et dans la recherche du profit sans regard réel et sans préoccupation réelle pour l’intérêt général, pour la vie collective et pour la vie sociale urbaine.
Il est plus que temps de faire retrouver à Marseille le sens de la cité et de la citoyenneté. Il y a urgence.
Commentaires
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Tiens le fric pourrit tout ?. Quelle nouvelle!
Tiens le fric pourrit tout à Marseille ?.Quelle nouvelle!
Tiens nos maires successifs sont incompétents et intéressés ? .Quelle nouvelle!.
Tiens Marseille se meurt (elle est déjà morte ) ?.Quelle nouvelle!
Tiens on maquille Marseille comme l’on farde une vieille qui ne veut pas mourir?. Quelle nouvelle!.
Ce constat est fait et depuis des années , trop d’années.
L’Etat se fout complètement de la cité phocéenne, sauf de temps en temps quand le ministère de la Culture corrige des magouilles ou apporte ses compétences ( Silos du Port, Jardin des vestiges, Mucem) , et là où aujourd’hui le municipalité tente de s’approprier la paternité de ces réalisations . Enfumage. J’exclus bien sûr la dernière ministre sur le cas de La Corderie de ces bonnes appréciations.
Sur l’Economie , Marseille est sous perfusion avec les emplois publics. Le port a des années de retard par rapport au marché du maritime . Les croisières ? , les chiffres de dépenses par passagers sont gonflés à outrance .
Le Tourisme ? :les plages de Marseille, bon courage. La propreté , bon courage. La circulation , bon courage. La culture, bon courage: des bibliothèques en souffrance (merci FO) , des taux d’absentéismes effarants (Est-ce la faute des employés ?), la dernière exposition majeure : “L’orient des Provençaux”, c’est dire .
La sécurité, no comment !
L’intérêt général . Très simple . Les quartiers nord de débrouillent avec les dérives que nous connaissons. Les quartiers sud se protègent , surtout pas de pauvres . Donc un léger problème à terme . Ce denier étant très proche, vraisemblablement.
Le personnel politique, voisin du zéro absolu quelque soit la tendance.
Vivement un grand préfet qui mette de l’ordre.
L’Agora est utile et MARSACTU encore plus, mais malheureusement , les bonnes nouvelles sont rares et la chronique quotidienne ressemble de plus en plus à une nécrologie de cette ville .
Quel gâchis !
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Je suis en phase totale (qui pourrait ne pas l’être à part ceux affublés d’œillères politiques ou clientélistes) avec ce constat de l’absence désespérante de politique de la ville dont Gaudin est le premier responsable depuis plus de vingt ans maintenant. Cet homme ne vit que dans la manœuvre politique et le cynisme vis à vis des habitants de ce territoire. Pour ce qui concerne le dossier Corderie, c’est un peu plus délicat d’accabler Françoise Nyssen qui récupère tout de même un bâton peu ragoûtant. Ce projet immobilier est arrivé à un stade d’avancement donné qui rend difficile je pense toute action massive d’interdiction (conflits juridiques avec les acheteurs) alors que l’autorisation a été donnée antérieurement. Peut-être cette opposition au projet aurait dû se faire jour d’une manière forte bien en amont, même s’il est vrai que la situation du sous-sol n’était pas connue du grand public… Par ailleurs peut-on suspecter les personnels des affaires culturelles d’avoir ménagé un compromis acceptable pour le promoteur? Leur avis semble aller dans le sens de la solution retenue. Ainsi le dossier Corderie s’inscrit plus dans la problématique générale de la gestion urbaine de la ville (espaces verts et publics) que dans le cas spécifique des vestiges. La sanction de ces élus devra se faire (entre autres) sur cet aspect de leur faillite.
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La sanction actuelle est le vote. Or, trop de marseillais ne votent plus ou ont abandonné face aux (vieux) routiers de la politique.
Il faudrait qu’elle engage réellement leur responsabilité et donc passe par la justice. Responsable ET coupable. On y vient, mais tellement lentement !
Il y a par exemple, eu condamnation pour homicides involontaires à La Faute sur Mer (tempête Xyntia) du maire (4 ans fermes) et son adjointe à l’urbanisme (2 ans fermes) pour avoir attribué des permis de construire sur des terrains inondables pour de sombres magouilles immobilières (tiens y a pas que chez nous…)
Mais il y a trop d’écueils : le manque de volonté politique, la lenteur de la machine judiciaire par rapport à la mandature, la capacité à diluer dans le temps grâce à des avocats zélés (affaire Guerini brother’s) au point de tomber dans l’oubli, l’immunité et le sentiment d’impunité….
Pourtant, les motifs de sanction pourraient être sans limite.
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N’oublions jamais que JC Gaudin a été élu par moins de 200.000 Marseillais…
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90 000 il me semble.
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96 813 plus précisément .
Ce qui renvoie bien au billet de blog du même auteur du 19 novembre 2017.
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