Voyage en Alcazarie : Oh, les amoureux !
Image : Ben 8
José Rose est sociologue et écrivain. C’est aussi un usager de l’Alcazar. Des mois durant, il s’est rendu dans la grande bibliothèque de Belsunce comme on se rend dans un pays lointain soudain si familier. Cette exploration est devenue un livre qui vient de paraître. Sur l’Agora de Marsactu, il publie en feuilleton des premiers épisodes de ce voyage.
Ce matin a des airs de printemps. Les jupes sont courtes et les jambes dénudées, les décolletés le sont vraiment et les sourires sont à l’avenant. Mais quelle idée d’aller s’enfermer ici un jour pareil ? L’humeur est à prendre le cri des gabians pour un gazouillis de tourterelles. Bref, ce mercredi, je croise des amoureux à tous les coins de tables. Qui n’a délaissé un temps ses livres pour dévisager une voisine de table ? Qui ne s’est évadé de ses notes à l’odeur ambrosiaque d’un parfum de passage ? Qui n’a suspendu son crayon à la vue d’un bel homme? Qui n’a jamais donné rendez-vous à quelque ami(e) dans une bibliothèque ?
En voici deux dont je ne vois que les profils enchâssés. Quasi nez à nez, ils se regardent dans la profondeur intrigante de leurs yeux tandis que leurs mains s’entrecroisent. Les cahiers restent ouverts devant eux en forme de prétexte. Ils ont une longue conversation muette, semblent se lire à livre ouvert. Ils seront peut-être encore là dans dix ans. D’un geste en volute, elle remonte ses cheveux en souriant et il lui glisse une fine caresse sur la joue ainsi libérée. “Si ce que tu as à dire n’est pas plus beau que le silence, tais-toi” dit un aphorisme chinois. Ils se dévorent, se livrent, s’effleurent. Simple romance ou début de roman avec le petit tome de sa vie ? On ne sait et peu importe le temps puisqu’il est suspendu. “Au fond, c’est ça l’amour : une déclaration d’éternité qui doit se réaliser ou se déployer comme elle peut dans le temps. Oui, le bonheur amoureux est la preuve que le temps peut accueillir l’éternité”, écrit Alain Badiou dans Éloge de l’amour.
Les bibliothèques sont les bancs publics des amoureux studieux. Lieux de silence et de chuchotements, de frôlements, lieux anonymes et protecteurs, lieux de proximité et de promesse, de gestes esquissés, d’attente délicieuse.
Et je me prends soudain à rêver. Si tous les alcazariens amoureux se mettaient soudain à chanter dans cette cathédrale de silence? Si les haut-parleurs envahissaient la bibliothèque des chants d’oiseaux de Messiaen ? Si les bécasses, les cailles, les grues, les perruches se mettaient à crouler, à margoter, à glapir, à jacasser ? Si les dindons, les paons, les pigeons se mettaient à glouglotter, à brailler, à caracouler ? Si tous les tourtereaux se mettaient tout simplement à roucouler ?
“Le fou, l’amoureux et le poète sont farcis d’imagination”, écrit William Shakespeare dans Le songe d’une nuit d’été.
Ce nouvel épisode du Voyage en Alcazarie est tiré de l’ouvrage Scènes de vie en bibliothèque -Voyage en Alcazarie, paru aux éditions de l’Harmattan et disponible en librairie et sur le site des éditions.
© Editions l’Harmattan.
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