Au Panier, l’école des Accoules s’apprête à héberger une famille sans abri

Actualité
le 10 Mai 2017
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Parents et enseignants de l'école des Accoules se mobilisent pour une famille rom, dont les trois enfants sont des élèves. Depuis l'expulsion de leur squat mi-avril, les membres de cette famille n'ont plus de logement fixe. Une caisse de solidarité à réuni 1500 euros en quelques jours.

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L'école des Accoules, dans le 2e arrondissement. (LC)

L'école des Accoules, dans le 2e arrondissement. (LC)

Il est 11 h 30, une multitude d’enfants dévalent les grands escaliers de l’école des Accoules. Certains filent vers les rues voisines qui serpentent dans le Panier, d’autres prolongent leur parcours vers la cantine dans un brouhaha joyeux. Parmi ceux-là, trois frères et sœurs, Sonia, Narghita et Dolari, âgés de 7 à 11 ans. Roumains, et roms, comme leurs parents, ils se trouvent actuellement dans une situation qui a déclenché un souffle de solidarité rare au sein de la communauté scolaire. C’est la directrice de l’école, Corine Lefort, qui a appris aux parents d’élèves et aux enseignants que cette famille était en situation d’urgence. Expulsés le 12 avril du squat où ils vivaient depuis octobre, rue Flégier (1er), ils sont sans réel lieu d’hébergement depuis cette date.

En alignant quelques mots d’espagnol, que les parents roms parlent mieux que le français, des parents d’élèves ont pris contact avec eux et certains les ont même hébergés quelques nuits. Puis une caisse de solidarité s’est ouverte pour pouvoir payer une location digne à la famille. Les dons récoltés avoisinent désormais les 1500 euros. La famille a donc été à l’abri quelques jours, pour passer le week-end prolongé du 8 mai. Jusqu’à mercredi, où la cagnotte ne suffira plus. Après avoir sollicité tous les interlocuteurs possibles sans succès, la solution est donc apparue clairement au groupe de soutien : la salle de bibliothèque de l’école se changera en lieu de vie pour la famille le temps qu’il faudra, avec des tatamis en guise de matelas. “Il semble que l’école soit le seul lieu pour eux”, pose Laurent Quintard, enseignant dans l’école.

“Une situation d’urgence”

“Cela fait sept ans que je suis dans cette école, je n’ai jamais eu des enfants qui se retrouvaient à la rue”, reconnaît-il. Avec la directrice, d’autres professeurs et des parents, ils ont essayé de comprendre comment une telle situation était possible. “Nous, on découvre tout ça. Le 115 [la plateforme téléphonique unique pour l’hébergement d’urgence, ndlr], les règles qui vont avec. Ce qu’on voit c’est une situation d’urgence qui justifierait un traitement prioritaire. En n’étant pas du tout des spécialistes, on voit à quel point les associations sont débordées par les demandes.”

Ces dernières ne peuvent que confirmer. “Il y a eu coup sur coup deux expulsions sèches, il n’y avait rien de prévu derrière”, explique Caroline Godard de Rencontres tsiganes, en évoquant celles du squat de la rue Flégier et du campement de la Rose qui ont toutes deux eu lieu en avril. Dans le squat où vivaient Sonia, Narghita et Dolari, trois autres enfants étaient scolarisés et se retrouvent aujourd’hui dans la même situation qu’eux. “On ne comprend pas l’urgence qu’il y avait à expulser, complète Jane Bouvier de l’École au présent, Nous avons saisi le défenseur des droits à ce sujet. Ces enfants sont vraiment à la rue, sur le trottoir.”

Dans les premiers jours après l’expulsion, la famille a pu bénéficier de nuitées d’hôtel au titre de l’hébergement d’urgence, mais passé 10 jours, le dispositif est arrivé à son terme. “Ils ont épuisé le quota du 115. Ils sont inscrits sur les listes du SIAO [Service intégré accueil orientation, qui chapeaute les dispositifs d’hébergement d’urgence pour le département, ndlr], mais ça n’aide pas plus”. En effet, dans les Bouches-du-Rhône, en dehors de rares exceptions, les nuitées d’hôtel sont limitées à 10 par famille et par an. Un quota qui n’est pas du tout appliqué dans d’autres départements. Cette famille a pu en avoir “douze” nous précise la préfecture et se trouve aujourd’hui sur une liste d’attente pour un accueil en CHRS (centre d’hébergement et de réinsertion sociale). Les délais ne permettent cependant pas de tabler sur le court terme. “Le parcours classique pour accéder à un logement, c’est six mois à un an”, estime Caroline Godard.

Une première expérience à l’école

Dolari, l’aîné, et ses deux sœurs semblent pourtant confiants, rassurés par l’élan de solidarité qui les entoure. Entre quelques mots de français et d’espagnol – la famille a vécu en Espagne avant de venir à Marseille – il fait comprendre qu’il n’a “pas peur” et qu’il sait qu’il va “dormir à l’école”. Arrivés dans la ville il y a moins d’un an, ils ont pu obtenir, avec l’aide de l’École au présent, leur place dans cette école, certes éloignée de leur ancien lieu de vie, mais où des cousins sont aussi scolarisés.

Dolari, Narghita et Sonia, scolarisés à l’école des Accoules depuis octobre. À partir de mercredi ils vont aussi y dormir. (LC)

Pour tous les trois, c’est la première expérience de l’école française, et peut-être même de l’école tout court. “Ce sont des enfants assez timides, surtout à cause de la barrière de la langue. Au début ils restaient dans leur coin, mais aujourd’hui ils sont à l’aise. Malgré les événements, ils sont assez heureux, observe Laurent Quintard. Au niveau de la présence, ils sont bien là à l’école”. Un exploit, quand les associations estiment qu’une expulsion équivaut quasi systématiquement à une déscolarisation, tant les urgences pour les familles sont bouleversées dans ces moments-là. En face de l’instituteur, les deux petites aux grands yeux font des sourires gênés en écoutant en silence leur frère parler. Une scolarisation en classe spécialisée pour les néo-arrivants a été suggérée par l’équipe éducative pour accélérer leur apprentissage, mais les parents ont choisi de les laisser à l’école des Accoules à laquelle les enfants se sont attachés.

Ce mercredi, le comité de soutien organise donc un repas à l’école, pour alerter les habitants du quartier et les élus. Si sa situation n’évolue pas d’ici là, la famille s’installera à ce moment-là dans la bibliothèque au dernier étage de l’école. “L’objectif c’est de récolter des sous, mais aussi d’avoir un temps pour faire du bruit, parce que ça ne se fait pas de loger des gens dans une école”, lance Clothilde Baudon, mère d’élève impliquée dans la mobilisation. Depuis plusieurs jours, avec d’autres, elle colle des affiches dans le quartier. Et ces actions payent pour le moment : deux bars du coin ont récolté à eux deux 150 euros.

“On est agréablement surpris par la mobilisation, y compris financière, se réjouit Laurent Quintard, c’est très réconfortant. Je pense que le contexte électoral a favorisé cela. C’est une façon pour beaucoup de gens de manifester leurs idées.” Habituée aux combats difficile, Caroline Godard se félicite de cette “belle mobilisation”. Elle l’assure : “C’est avec une forte pression qu’on trouve des solutions.”

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Commentaires

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  1. Laurent Malfettes_ Laurent Malfettes_

    Je salue le courage de Corinne Lefort et de Laurent Quintard dont l’initiative de soutenir de cette famille en détresse doit beaucoup agacer “en haut lieu” (je pense à la Ville de Marseille (propriétaire des locaux) et à l’inspection académique, (tutelle hiérarchique de ces instits) qui s’arrachent sans doute les cheveux devant un tel irrespect des sacro-saintes procédures). Bravo ! La vraie insoumission, c’est ça !
    J’admire la solidarité des familles de l’école des Accoules. J’aime l’exemple qu’ils donnent à leurs enfants. Sur le mur de l’école des Accoules, ils peuvent écrire son nom : Fraternité !
    Merci Lisa Castelly, pour cette belle histoire. Merci de nous avoir prévenus. Merci de nous tenir au courant de la suite et de nous alerter si les choses ne devaient pas s’arranger rapidement.

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