Dans le port, la discrète lutte des marins avitailleurs pour leur activité
Une grève a lieu depuis le 19 décembre dans les bassins du port. L'équipage du Cap Pinède, qui approvisionne en carburant certains bateaux - dont les ferries qui desservent la Corse - conteste le remplacement de leur navire par celui d'un armateur britannique. Un bras de fer qui n'a rien d'anodin et où le préfet est venu mettre son grain de sel.
Dans le port, la discrète lutte des marins avitailleurs pour leur activité
L’équipage du Whitstar n’aura pas eu le loisir de passer Noël en France. Ce navire devait arriver à Fos le 23 décembre mais à l’heure actuelle, il fait toujours des ronds au large de l’Espagne. Appartenant à l’armateur britannique Whitaker, il devait prendre la relève au 31 décembre du contrat jusqu’à présent assuré par le Cap Pinède, de la société Maritima. Basée à Port-de-Bouc, cette dernière est en charge de l’avitaillement, c’est-à-dire de fournir en fioul des bateaux qui font le plein à Marseille ou à Fos.
Le Cap Pinède opérait jusqu’ici pour Esso et remplissait entre autres les réservoirs des bateaux desservant la Corse depuis Marseille, mission que la compagnie pétrolière souhaite confier à Whitaker. Chaque armateur négocie directement avec le producteur de fioul de son choix un prix et un volume. Ce dernier a ensuite recours à un sous-traitant pour la livraison. “Nous sommes des pompistes flottants”, résume, non sans humour, le capitaine du Cap Pinède Yann Guessard. Une quinzaine de personnes vivent sur le bateau qui effectue des allers-retours entre Marseille et Fos, les cuves pleines de pétrole à livrer. Leurs emplois sont directement menacés par le non-renouvellement du contrat avec Esso pour lequel le Cap Pinède travaille exclusivement.
En raison de ce remplacement inopportun à ses yeux, le personnel est en grève depuis le 19 décembre avec la ferme d’intention d’empêcher toute manœuvre du Whitstar. Le bateau est aujourd’hui à quai, à Fos, avec ses dix-huit membres d’équipage à bord, dans l’attente d’un déblocage de la situation alors que le préfet a commencé à s’intéresser à leur situation.
La répression des fraudes saisie
Une grève sans trop d’impact pour l’instant. Esso était d’ailleurs absent lors de la réunion organisée en préfecture la semaine dernière avec les organisations syndicales. De même que la Méridionale et Corsica Linea, toutes deux titulaires d’une délégation de service public pour desservir la Corse et clientes d’Esso. Faute des principaux responsables, la rencontre n’a pas donné grand-chose. “Nous tiendrons une nouvelle réunion le 26 janvier, a annoncé le préfet ce mardi. Maritima a trois barges qui ne fonctionnent pas à 100 % et beaucoup d’autres navires n’avitaillent pas à Marseille.”
En somme, il serait possible de trouver d’autres clients pour la société… si les conditions tarifaires du service étaient plus intéressantes. “Je me suis rendu compte de différence de tarifs entre Toulon et Marseille qui me paraissent étonnantes, a poursuivi le représentant de l’État. Je souhaite que la répression des fraudes se penche sur la manière dont les prix sont établis à Marseille pour voir s’il n’y a pas d’abus de position dominante” de la part des compagnies pétrolières. Pour le préfet, la question semble donc dépasser largement le cas des dix-huit marins du Cap-Pinède. Le Marin annonce dans son édition de mercredi que des négociations ont lieu entre Esso et Maritima.
De son côté, le géant du pétrole justifierait le recours à l’armateur britannique pour des raisons techniques. “Nos navires, explique Yann Guessard, ont la même taille mais pas les mêmes caractéristiques. Le leur, c’est vrai, a une chaudière à bord permettant de garder le fioul entre 50 et 60 degrés, température à laquelle il doit être livré”. Le capitaine s’inquiète en revanche du fait que le nouveau navire, à la différence du sien, ne dispose que d’un moteur et non deux, ce qui peut poser problème en cas d’avarie. “Je ne comprends pas comment avec la chaudière ils peuvent être moins chers que nous”, interroge-t-il.
Mais derrière la technique, la question sociale est prégnante. “Nous vivons tous ici, dans la métropole, s’inquiète Nicolas Errani, délégué du personnel CDFT de Maritima. Demain, avec Whitaker, ce seront des Anglais et des Polonais”. “Il ne faut pas qu’un navire battant pavillon étranger puisse faire de l’avitaillement (…) dans le port de Marseille, s’indignaient au début du conflit les grévistes dans une lettre ouverte. Ce serait une première française”. En 2013, Esso avait déjà, en vain, essayé de faire travailler dans les bassins Est et Ouest un navire italien. Dès le deuxième jour du blocage, Esso assurait au journal spécialisé le Marin que “Whitaker souhaite recruter des marins français prêts à travailler conformément aux standards de sécurité stricts de Whitaker et d’ExxonMobil [maison mère d’Esso, ndlr]”.
Débat autour du pavillon français
“Un avitailleur étranger devra respecter l’ensemble des obligations du droit du travail français, que ce soit en termes de salaires, de cotisations ou d’horaires”, tempère le préfet. “Nous demandons au préfet de faire un agrément portuaire pour l’avitaillement qui codifierait les règles”, défend pour sa part Nicolas Errani de la CFDT. Il lorgne là vers la reconnaissance de “service portuaire” dont bénéficient d’autres activités.
La France s’est battue face à l’Europe pour que ces services portuaires ne soient pas complètement ouverts aux compagnies européennes. Le règlement portuaire, adopté mi-décembre, a entériné ces règles. Ainsi, le lamanage (opérations d’amarrage des navires), le pilotage (aide à la manœuvre dans le port), le dragage (nettoyage des bassins) ou encore le remorquage ne peuvent pas être confiés à des compagnies employant exclusivement des marins “communautaires”, c’est à dire originaires d’autres pays européens. À Marseille-Fos par exemple, les lamaneurs sont historiquement constitués en coopérative. “Cela fait partie des débats qui ont lieu autour du pavillon français”, admet le préfet.
À terme, c’est aussi l’activité locale d’avitaillement qui est menacée. “Nous sommes les derniers, et sans Esso, il ne reste plus qu’un client à Maritima, le producteur Ineos”, s’inquiète Yann Guessard. Il rappelle également la perte d’un client avec la fermeture récente de la raffinerie de LyondellBasell. “Il est courant aujourd’hui que des navires se ravitaillent au large”, déplore-t-il par ailleurs. Pour Nicolas Errani, le constat est sans appel : “Le port de Marseille sans avitailleur c’est comme le plus grand des supermarchés qui fermerait sa station-service”. Et les bateaux vers la Corse ou vers la Chine ne sont pas prêts de passer à l’énergie solaire.
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L’enjeu dépasse largement le motif premier de la grève.
J’espère que marsactu pourra s’attacher à en suivre tous les aspects
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