Michel Samson : “Les comparutions immédiates, c’est la justice des “sans””
L'ancien journaliste du Monde Michel Samson sort un livre, Marseille en procès. Au printemps dernier, il avait raconté dans une chronique sur Marsactu ses visites au Palais de justice. L'ouvrage décrit le fonctionnement de la justice aujourd'hui, des comparutions immédiates aux assises. Il nous en dit plus sur sa démarche.
Michel Samson : “Les comparutions immédiates, c’est la justice des “sans””
Michel Samson est en quelque sorte la dernière recrue de Marsactu. Depuis mars, vous avez pu lire sur notre site celui qui a longtemps été correspondant du Monde à Marseille. Dans une première série d’articles parue au printemps 2016, il décrivait, interrogeait et racontait audiences et sentences. Ces plongées quasi quotidiennes dans l’univers particulier qu’est celui de la justice s’inscrivaient dans un travail d’enquête destiné à prendre la forme d’un livre. L’ouvrage en question, intitulé Marseille en procès, édité par la Découverte et Wildproject, est sorti en librairie ce 5 janvier. L’occasion d’interroger l’intéressé sur sa démarche.
Vous avez précédemment beaucoup écrit sur Marseille, notamment Gouverner Marseille, publié en 2006 avec l’anthropologue Michel Péraldi. Pourquoi avoir choisi, cette fois-ci, de vous intéresser à la justice ?
Parce que je la connaissais un peu et parce que je pense qu’elle joue un rôle majeur dans l’histoire de l’image de Marseille. Ces questions d’image m’intéressent : si je fais du journalisme, c’est pour voir ce qu’il y a dans le réel par rapport à l’image que l’on a du monde, de Marseille. C’était un terrain possible, j’adore le terrain. Aller, voir. Je suis plutôt du genre vertical qu’horizontal. Creuser, c’est ce qui me plaît. C’est complémentaire du travail horizontal de journaliste que je fais depuis trente ans.
Qu’est ce que vous appelez l’approche horizontale du journaliste ?
Aller tous les jours quelque part, passer d’un sujet à l’autre sans approfondir un sujet. Si j’ai écrit cinq ou six livres sur Marseille, ce n’est pas que Marseille est une ville plus passionnante qu’une autre. J’y suis donc je creuse. Sinon, c’est redondant, on répète un peu toujours la même chose.
Vous revenez sur l’histoire de cette Marseille “délinquante”, fantasmée. Vous écartez dès le début la thèse, défendue par exemple de Xavier Monnier, d’une ville tenue par le milieu, par des parrains. Était-ce un préalable nécessaire d’annoncer d’entrée de jeu que ce n’était pas votre thèse ?
Oui. Je comptais le mettre en conclusion de l’ouvrage mais François Gèze [PDG de la Découverte, ndlr] m’a proposé de le mettre en introduction. Je pense qu’il a eu raison. Cela permet d’accéder à des choses assez simples, une comparution immédiate, un règlement de comptes aux assises, en sachant qu’on a toujours cette légende en tête. On aborde donc le terrain en s’enlevant ces œillères. La question de la légende de Marseille, pour moi, est une compréhension majeure de ce qu’est la politique en France, au sens fondamental du terme. Les légendes ne veulent pas dire que ce qu’il y a sous la légende est entièrement faux. Il y a beaucoup d’éléments vrais, réels, mais ils sont racontés de façon légendaire.
La presse fait souvent référence aux grands parrains. Au contraire, les juges en semblent détachés. Est-ce qu’ils le sont complètement ?
C’est compliqué. Les procès ne sont pas jugés par les mêmes personnes. Quand le juge prépare un dossier, il va chercher d’autres éléments mais il ne peut utiliser que ce qu’il y a dans le procès. Il se nourrit pour comprendre et mettre en relation. Pour le droit, il doit bien condamner X pour le fait présenté dans le dossier. Les juges refont l’instruction c’est leur métier. Ce qu’un juge pense au fond de lui, j’en sais rien ou un petit peu.
Vous faites aussi un important travail de définition comme sur la délinquance ou le clientélisme. Avec en parallèle une critique relativement sévère du traitement journalistique de la justice. Est-ce que les deux sont liés ?
Ce n’est pas un contre-pied, c’est une vision critique du travail de journaliste sur tous les récits. Définir les mots me paraît essentiel pour comprendre le réel. Par exemple, dans le droit français, il n’y a jamais le mot délinquance. Or, au bistrot, chez les journalistes ou les éditorialistes, on parle de “la” délinquance. La justice parle elle d’un délit commis par une personne. La collectivisation est une question intéressante mais qui peut être totalement fausse ou vraie. J’ai été content, sur la question, de trouver cette citation de Giono sur l’affaire Dominici : “Nous sommes sur un procès de mots”. Neuf dixièmes des procès ne sont que des mots. Même les preuves physiques sont discutables et très rares dans les procès réels.
Concernant les comparutions immédiates, vous parlez de la “délinquance ordinaire de la justice des sans”. Est-ce à dire qu’il y a une justice de classes ?
Ce n’est pas une justice de classes. La société est injuste et devant la justice on est faibles ou forts. Quand on s’appelle Monsieur Bolloré, on peut avoir un bataillon d’avocats formidables, quand on s’appelle X pour une conduite sans permis ou un petit deal, on n’a rien. L’un se trouve nu alors que l’autre est protégé mais ce n’est pas la justice qui crée cela. C’est l’inégalité. On n’aborde pas l’éducation ou la justice égaux. Chaque individu comparaît comme un individu devant la justice mais il peut avoir des moyens de défense que d’autres n’ont pas. Les comparutions immédiates c’est la justice des “sans” (sans avocat, travail, argent, logement, papiers). Moi, si je passe en comparution immédiate, je trouverai tout de suite un avocat parce que j’en connais dix alors que quelqu’un qui ne connaît personne aura un commis d’office qu’il a vu une heure avant.
Vous passez d’une salle d’audience à une autre. Vous revenez par exemple sur le procès dit de la Castellane où a été jugé en 2015 un réseau de trafic de cannabis, un “supermarché de la drogue”. On y découvre une justice avec une approche très économique. Avez-vous été surpris par cet aspect ?
Pas tellement mais pour une raison particulière car j’avais lu les travaux du sociologue américain Sudhir Venkatesh. Ses calculs expliquent que dans le deal les différences de salaire sont les mêmes qu’à Walmart, la société de grande distribution. En revanche, ayant suivi les trois semaines qu’ont duré le procès, ce qui m’a surpris c’est le temps, le détail et les difficultés pour la justice de se faire une certitude. Elle doit se baser sur des écoutes téléphoniques, des surveillances policières pas toujours bien faites et il faut juger individuellement vingt-deux personnes. À la différence du politique, la justice n’utilise jamais le mot communauté, cela ne l’intéresse pas.
De surcroit, quand on assiste au procès, on s’aperçoit sur tous ces aspects que cette notion n’a aucun sens. La sœur de “Nono” [présenté comme la tête de réseau] travaille dans une entreprise ordinaire, sans lien avec ses affaires. Lui est en lien avec des Comoriens de Vitrolles qui eux-même travaillent avec un gars de la Côte d’Azur avec un nom provençal. C’est une communauté ça ? Non ! C’est une entreprise où les règles sont à coups de fusils ou de baffes et cela ne se règle pas aux prud’hommes. Le récit qui est fait ensuite parle en revanche de communauté, c’est une différence de point de vue selon d’où le procès est raconté.
Vous revenez sur un règlement de comptes survenu en 2011. Vous décrivez d’un côté les témoins sous X et le silence des autres. Comment la justice dépasse t-elle ce silence ?
Aux Assises, c’est particulier car les jurés co-décident avec les magistrats. Ils ne vivent pas dans la peur, eux. C’est dans l’instruction que la question de la peur se pose. La justice européenne et française a décidé d’utiliser des témoins de façon telle que la peur ne les réduise pas au silence d’où les témoignages sous X. C’est un débat de fond : sans témoin, il n’y a pas de justice. Après, est-ce que ces témoins sous X sont convaincants au sujet de la culpabilité des frères Laribi ? La justice a répondu que oui puisqu’elle les a condamnés. Il se trouve qu’il y a d’autres éléments comme le témoignage des policiers qui vont dans le même sens. Les autres actes de ce procès vont tous dans le même sens. Les jurés ont été convaincus car la contestation des témoins sous X de la part de la défense ne fonctionnait pas et tous les éléments du dossier confirmaient les propos des témoins sous X.
Vous donnez des chiffres sur les comparutions immédiates à Marseille, ces chiffres diffèrent peu des autres grandes villes, en dehors du pourcentage lié à la drogue (19,2% contre 11% à Paris). Marseille n’a donc pas de particularisme en la matière ?
Non. Je ne le décris pas dans le livre mais j’ai passé une semaine à Bobigny parce que Marseille, sociologiquement, ressemble à la Seine Saint-Denis. Je n’ai trouvé aucune spécificité majeure ici : ce sont tous des gamins, 95% d’hommes. Les comparutions immédiates sont un des seuls outils statistiques disponibles [voir le rapport de recherche de l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux] permettant la comparaison entre les villes. Pour le reste j’ai cherché, cela n’existe pas.
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Du bon boulot comme d’habitude bravo, et merci pour Marseille!
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