Lecture du livre de Marcel Roncayolo, « le géographe dans sa ville » (suite)
La ville en archipels
Npus poursuivons, ici, la lecture de l'essai consacré à notre ville par le géographe M. Roncayolo en analysant la question de la centralité à Marseille
Dans le livre qu’il vient de publier avec S. Bertran de Balanda, Le géographe dans sa ville, Marcel Roncayolo évoque la question, importante à Marseille, de ce que l’on peut appeler l’urbanité en réseaux. C’est que l’on peut, sans doute, distinguer, de ce point de vue, trois sortes de villes. Les unes sont dotées d’un centre, et leur identité repose sur un clivage entre centralité et périphérie : c’est le cas, par exemple, de villes comme Paris ou Lyon. Dans de telles villes, la métropolisation urbaine repose sur la centralisation de l’activité et de l’identité urbaine. D’autres villes ont une identité fondée sur la fragmentation et le morcellement des lieux, des activités et des habitations. On peut parler à leur propos de villes sans centralité. C’est le cas, par exemple, des villes nord-américaines comme New York. Les villes fondées sur des logiques de réseau sont le troisième type d’urbanité. Il s’agit de villes dont l’identité urbaine repose sur la logique de la métropole, de la circulation : on pourrait parler d’une forme de capillarité urbaine. Dans ces villes, il n’y a pas de centre à proprement parler, et habiter ces villes consiste à s’y déplacer, à les parcourir, à s’y engager dans des activités sociales fondées sur la relation et l’échange. Marseille appartient à ce type de ville. Je me suis toujours demandé pourquoi le nom anglais de cette ville, Marseilles, a un « s » : sans doute cela tient-il au constat de la multiplicité des lieux de l’urbanité à Marseille, au constat que la ville y repose sur une urbanité en réseau, sur une urbanité de relations entre divers lieux, peut-être différents centres, chacun correspondant à une forme de socialité : à Marseille, il y a le port et la mer, les lieux de l’activité économique représentent une autre centralité, les lieux des pouvoirs politiques une troisième centralité et un troisième réseau. Et l’on pourrait continuer à énumérer les réseaux et les formes de la sociabilité urbaine.
Cette urbanité en réseaux s’inscrit dans l’histoire de l’urbanité marseillaise, car n’oublions pas que le mythe fondateur de cette ville est l’arrivée de voyageurs de l’étranger dans son port. Dans ces conditions, quand Roncayolo parle d’un divorce consommé entre ville et port (p. 64), à propos de la Joliette, sans doute faut-il comprendre cette évolution comme l’expression de cette pluralité urbaine : la ville ne pouvait pas s’exprimer toute entière dans son port, et, au contraire, celui-ci ne pouvait, depuis le commencement, constituer qu’une part de la ville, opposée aux autres. Une telle urbanité en réseau fonde l’identité politique de la ville sur une forme de conurbation, que Roncayolo compare à celle de Lille (p. 93). Sans doute une telle pluralité inscrite dans une logique de réseau permet-elle aussi de comprendre, à Marseille, ce que Roncayolo y désigne comme une ville dotée de plusieurs paysages (p. 119). C’est que le paysage, médiation esthétique de l’espace, est ce qui donne l’urbanité à voir, tandis que la cité est ce qui donne l’urbanité à habiter en lui donnant une dimension sociale et politique. À Marseille, la pluralité se donne à voir et à comprendre autant dans les formes esthétiques de l’urbanité que dans ses formes politiques, dans ses formes sociales et dans ses formes culturelles. C’est pourquoi, selon nous, on pourrait parler, à propos de Marseille, de ses réseaux et de la complexité de sa capillarité, d’une ville en archipels. Sans doute est-ce la raison pour laquelle il est difficile de parler de banlieue dans le cas de Marseille : les banlieues y sont dans la ville, et l’urbanité ne s’y fonde pas sur l’identité d’un centre, mais sur la multiplicité des identités en partage, en échange, en circulation.
À propos de la place de la mer dans l’identité urbaine de Marseille, Roncayolo parle (p. 194) des multiples façons d’entrer en contact avec elle. C’est que cette figure de la ville en archipel tient, sans doute, à sa relation à la mer, qui fonde l’identité urbaine marseillaise sur deux faits importants. Le premier est la complexité d’une identité qui tient à ce qu’habiter Marseille est toujours à la fois y être à l’intérieur et à l’extérieur, comme c’est le cas de toutes les villes qui ont une histoire de port. Le second élément de cette « archipalité » de la ville, à Marseille, tient à ce que, dans cette ville, habiter y est circuler : l’expérience urbaine y est l’expérience de parcours, de réseaux, d’échanges. Cela accentue à Marseille le caractère imprévisible du fait urbain souligné par Roncayolo (p. 146) et le fait que, dans ce que Roncayolo appelle cet « amalgame intemporel », l’ancienne ville et la nouvelle se surimposent, comme dans la ville du Rivage des Syrtes de Gracq (p. 107). Finalement, « l’archipalité » de Marseille n’est pas seulement dans l’espace : elle est aussi dans le temps.
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